Depuis des années, avant chaque concert, Terra Lightfoot se réunit avec ses coéquipiers et ils lancent en chœur le mantra suivant : « To the healing power of rock ’n’ roll! » [librement : « Vive le pouvoir de guérison du rock n’ roll! »]
Pas surprenant, alors, que son nouvel album s’intitule Healing Power. Ce n’est là toutefois qu’une partie de l’histoire derrière ce titre. Le projet a mis cinq ans à germer et il est rempli de joie, de tristesse et de toutes la gamme d’émotions entre ces deux pôles. Produit une fois de plus par Gus Van Go (Les Cowboys Fringants, Robert Charlebois), Healing Power est un petit bijou pop rock. L’album parle de ralentir, de faire le bilan et de reconnaître nos propres émotions et de trouver de la gratitude dans les petites choses.
Les grosses choses en lien avec sa carrière sont déjà en place. CBC Music dit de Terra Lightfoot qu’elle est « l’une des meilleures musiciennes canadiennes… un incroyable tour de force, de A à Z ». Le magazine Guitar Player dit d’elle qu’elle « a une voix énorme et le son de guitare imposant et audacieux qui va avec ». Le Globe and Mail dit qu’elle « frappe comme l’éclair sur un arbre » et elle fait des tournées marathon (huit pays sur quatre continents, jusqu’à présent), elle a assuré la première partie de Willie Nelson et de Bruce Cockburn, et elle a récemment fondé son propre label, Midnight Choir. En 2019, a conçu, créé, organisé, produit et été co-tête d’affiche du spectacle The Longest Road Show, une revue musicale entièrement féminine.
Lorsque Words & Music a pu passer une peu de temps avec Terra Lightfoot, elle en était aux dernières représentations d’une mini-tournée solo sur la côte ouest en programme double avec son collègue guitariste, Ariel Posen. L’auteure-compositrice-interprète voyage avec son mari Jon Auer, auteur-compositeur et guitariste du défunt groupe power pop américain The Posies, qu’elle a épousé à l’été 2023, ce qui a rendu l’un de ses récents simples, « Cross Border Lovers », encore plus personnel que lorsqu’elle l’a écrit. Leur nouvel amour imprègne la douzaine de chansons de son sixième album, tout comme la redécouverte de la simplicité au quotidien, même en tant qu’artiste en tournée vivant dans un monde qui évolue rapidement. « Il faut prendre tous ces petits moments de bonheur du quotidien », dit-elle.
Était-elle épuisée après avoir couru à un rythme aussi soutenu pendant beaucoup trop longtemps? « Oui, j’étais brûlée », confie-t-elle. « En plus, je ne saisissais pas très bien tout ce qui se passait autour de moi parce que tout allait tellement vite. C’est à chaque artiste de décider la vitesse à laquelle on travaille… Je suis occupée de nouveau, mais c’est différent maintenant parce que j’ai internalisé des manières de gérer ça. »
« Gérer les choses », pour Lightfoot, veut dire prendre le temps, sur la route, de profiter de la beauté et de la générosité de Mère Nature plutôt que de courir d’une ville à la suivante et d’un motel à l’autre. Sans de telles pauses, le périple n’est qu’un tourbillon dénué de toute beauté. Lightfoot raconte que, lors de sa dernière tournée, entre deux concerts, elle et Auer ont visité un temple bouddhiste à Austin, un sanctuaire de papillons monarques en Californie du Sud et ont fait de la randonnée au bord de la mer à Mendocino.
Mais l’inspiration pour Healing Power est arrivée loin de la côte californienne. C’est seule, au sommet d’une montagne suisse il y a quelques années, que Lightfoot a eu une révélation sous un mélèze d’Europe. Alors qu’elle contemplait la majesté du panorama et des montagnes, seule dans les Alpes autrichiennes, l’auteur-compositeur a ressenti quelque chose. Elle a commencé à chanter et jouer de la guitare sans retenue. C’est alors qu’un tsunami d’émotions l’a submergée comme elle ne l’avait pas ressenti depuis des années. Mère Nature lui disait de trouver un meilleur équilibre dans sa quête constante de succès. Cette catharsis a appris quelques leçons à la musicienne, comme le fait qu’il est acceptable d’écrire sur des sujets qu’elle considérait comme tabous : les amitiés, les dépendances et les histoires qui étaient auparavant trop personnelles pour être partagées en chanson.
« L’amitié et la communauté font partie des choses les plus importantes dans la vie, alors écrire là-dessus a été thérapeutique », explique l’artiste. « Pour la première fois, je parle aussi de colère sur cet album. Je ne suis pas quelqu’un de colérique, alors ç’a fait du bien d’écrire une chanson qui dit “En fait, je suis un peu en colère à propos de ça”. Je l’extériorise pour mieux l’assimiler. J’espère que les autres pourront faire la même chose. Ç’a toujours été ça, pour moi, écrire des chansons. »
L’autre morceau important de Healing Power a été d’enfin dire adieu à sa ville natale de Hamilton. « C’est un gros morceau de l’album le fait de quitter l’endroit qui a fait de moi la musicienne que je suis », confie Terra. « Je vis maintenant dans une maison dans le bois avec un étang, c’est un endroit où j’adore rentrer après une tournée, et ça rend tout le reste encore plus agréable. »
« Fired My Man » rend bien comment elle se sentait par rapport à son ancienne vie. Dans le deuxième couplet, elle chante « All my house plants were barely hanging on/It was emergency, ask you, it’s time I made it home » [librement : « Toutes mes plantes étaient en train de mourir/C’était une urgence, je te le demande, il était temps que je rentre »]. « J’ai carrément demandé à des amis d’entrer chez moi par effraction pour arroser mes plantes », avoue-t-elle, « parce que je n’avais aucune idée quand j’allais rentrer et j’étais sûre qu’elles allaient toutes mourir vu que ça faisait un mois que j’étais partie. Cette chanson-là parle de rentrer chez toi et de te sentir comme si tu n’y avais jamais mis les pieds. C’est là que tu te demandes ce que ça vaut dire avoir un chez-soi si tu n’es jamais là. »
Nouveaux départs. Nouvelle relation amoureuse. Une nouvelle maison et un nouvel album. La vie est bonne pour Terra Lightfoot, ces temps-ci. Vive le pouvoir de guérison du rock n’ roll, en effet.