Article par Kardinal Offishall | jeudi 17 dcembre 2015
« Comment puis-je faire partie de la “game”?? »
Voilà sans doute la question que me posent le plus souvent les artistes que je croise et qui désirent se tailler une place dans ce paradis que nous nommons « l’Industrie de la Musique ».
Mais, au juste, c’est quoi cette « game »?? Cette « game », c’est comme une roulette au casino qui ne s’arrête jamais de tourner et autour de la table se trouvent des monstres d’égo et d’insécurité pleins d’argent et de pouvoir. Après une telle description, qui voudrait — volontairement — établir une relation avec ce genre de monde?? C’est simple : peu importe les motifs ultérieurs de gens qui contrôlent la « game », il y a une chance que ces gens puissent vous aider à réaliser votre rêve de faire connaître votre art au plus large public possible.
« La « game » va vous changer. »
Ça fait maintenant plusieurs années que je suis à cette table de roulette et ma bille s’est arrêtée sur différents numéros qui pourraient tous être le dernier. Certains étaient des rencontres imprévues avec certains des héros musicaux de mon enfance, d’autres furent des séances en studio et autres collaborations avec certains des plus merveilleux et talentueux artistes au monde. La « game » attire les gens les plus déterminés et si vous y jouez intelligemment, elle vous permettra, ainsi qu’à votre famille, de très bien vivre tout en vous donnant l’opportunité de sortir ces mots et ces mélodies de votre tête et de les placer dans le lecteur MP3 ou la liste de lecture en continu de quelqu’un.
Imaginez faire la rencontre d’une jeune Rihanna âgée de 15 ans et participer à son démo, à peine deux semaines avant qu’elle soit mise sous contrat par Jay-Z?! Imaginez rencontrer Jay-Z pour la première fois six mois plus tard et que celui-ci vous invite sur scène avec lui dans votre ville natale?! Imaginez faire la rencontre de LL Cool J dans une salle privée chez Phillipe en présence de Raekwon et qu’en plus, LL vous explique le profond respect qu’il a pour les artistes hip-hop canadiens. Imaginez partir en tournée en Australie en compagnie de Pitbull, Sean Paul, Kelly Rowland, Akon et… wow. Cette « game » peut être la chose la plus magnifique au monde. C’est un peu comme vous retrouver au beau milieu d’un film où vous partagez l’affiche avec certains des meilleurs acteurs au monde, sauf que ces acteurs sont des musiciens.
Le conseil que je donnerais à quiconque veut faire partie de la « game » c’est de prendre bonne note de qui vous êtes avant d’y prendre part. Elle va vous changer, et quiconque vous dira le contraire vous ment. Le véritable défi et de vous assurer qu’elle vous change pour le mieux. Apprenez tout ce que vous pouvez à son sujet et abordez tous vos revers comme une leçon qui vous servira de tremplin sur un terrain de jeu rempli de serpents et d’échelles.
Alors, comment faire partie de la « game »?? Avec beaucoup de prudence.
Photo par Brian Smale
Trucs du métier : Comment utiliser les médias sociaux en 2016
Article par Kevin Young | jeudi 28 janvier 2016
Professeure de communications à l’Université du Kansas pendant 15 ans et actuellement chercheure principale pour Microsoft Research, Nancy Baym a publié des recherches et commenté in extenso les communications sociales, les nouveaux médias et le phénomène du « fandom ».
Lorsqu’il est question de l’utilisation des médias sociaux par les artistes du domaine de la musique, Mme Baym favorise une approche globale plutôt que des conseils pratiques du genre « Top 10 » ou une approche axée sur une plateforme en particulier. Tout est une question pratique : « J’aimerais que 2016 soit l’année où les gens retrouvent un peu de gros bon sens en ce qui a trait à ce que les médias sociaux peuvent et ne peuvent pas faire pour eux, qu’ils comprennent que c’est un outil pour bâtir des relations, pas un mode de diffusion », dit-elle.
La majorité des documents de recherche offerts sur son site www.nancybaym.com sont des recherches scientifiques très détaillées. Mais lorsque vient le temps d’offrir ses conseils aux artistes désireux de mettre de l’avant et de capitaliser sur leur présence dans les réseaux sociaux pour l’année qui vient, Baym n’y va pas par quatre chemins : « Écrivez de bonnes chansons. Je suis consciente que cela peut avoir l’air sarcastique, mais j’observe le monde de la musique sur les réseaux sociaux depuis des années. Je ne suis vraiment pas convaincue que c’est une bonne idée pour un auteur-compositeur de perdre son temps à se bâtir un auditoire sur les réseaux sociaux, car cela ne signifie pas qu’ils bâtissent un auditoire pour leurs chansons, pas à moins d’être pleinement conscients de qui sont leurs interlocuteurs. »
« Les médias sociaux, c’est des outils pour bâtir des relations, pas un mode de diffusion »
Ainsi, selon que vous créez de la musique dans l’optique où d’autres artistes enregistreront votre matériel ou que vous préférez enregistrer vous même vos créations, vous ne vous adresserez pas aux mêmes personnes. « Ces deux auditoires sont différents », explique Nancy Baym. « Ces artistes peuvent écrire des chansons qui ont de nombreux fans mais n’avoir eux-mêmes aucun fan en tant qu’artistes, car les auditeurs ne réalisent peut-être pas que ce sont eux qui ont créé les chansons qu’ils aiment tant. »
Pour les artistes en émergence qui ne chantent pas nécessairement peur propre matériel, « je m’assurerais d’abord que mon identité et ma présence sont constantes et uniformes sur toutes les plateformes et je ferais un survol des autres artistes et musiciens qui pourraient être intéressés à enregistrer mes créations », poursuit Mme Baym. « Observer et suivre ce que les autres font est un aspect trop souvent négligé de la relation avec son auditoire. »
Par ailleurs, au lieu de trop vous soucier de ce que vous publiez, où et quand, Nancy Baym suggère plutôt de vous soucier de vous assurer que les gens s’intéressent vraiment à vous et à votre musique. « Personne ne peut forcer quelqu’un d’autre à être attentif à quoi que ce soit, désormais », laisse-t-elle tomber. « Le concept de demander l’attention des gens est un vestige des anciens moyens de diffusion. »
Conséquemment, vous devez démontrer que vous avez quelque chose à contribuer à la conversation entre les membres de votre auditoire cible. Demandez-vous avec qui vous avez envie de parler et d’engager un dialogue, sur quelle plateforme ces personnes sont actives et ce qu’elles y font. Il est crucial d’identifier dès le départ qui sont les gens que vous désirez joindre. Vous devez ensuite trouver où ils sont puis les écouter et entamer la conversation — sans oublier les conventions propres à leur communauté et y contribuer de manière pertinente.
« C’est pour trouver des gens avec qui vous pourrez avoir une véritable connexion plutôt que d’essayer de simplement gonfler vos chiffres. »
« Imaginez que c’est comme vous rendre à une fête », dit Mme Baym. « Quelqu’un arrive à cette fête et tout ce qu’il fait, c’est de parler, parler, parler. Votre intérêt envers cette personne ne sera pas de très longue durée. Nous sommes naturellement plus attirés vers des personnes qui s’intéressent à nous. Il est important, idéalement, et tout particulièrement pour les gens qui ne sont pas déjà à l’avant-scène, d’approcher les réseaux sociaux comme un outil pour écouter, apprendre et trouver des gens avec qui vous pourrez avoir une véritable connexion plutôt que d’essayer de simplement gonfler vos chiffres. »
Les chiffres sont importants, mais ils ne veulent rien dire s’ils ne se traduisent pas par une licence ou un enregistrement de votre chanson et si vos efforts sur les réseaux sociaux ne se traduisent pas par un soutien durable à votre carrière.
Peu importe que vous soyez uniquement concentré sur la création musicale ou que vous soyez un artiste multidisciplinaire, Nancy Baym recommande toujours d’avoir son propre nom de domaine et un site Web actif à cette adresse.
« Nous sommes de plus en plus visuels », ajoute-t-elle. Toutefois, chacun de nous engage la conversation de sa propre façon. « Et d’ici à ce que nous trouvions des preuves concluantes que les gens qui sont actifs de façon A, B ou C ont plus de succès que ceux qui sont actifs de façon D, E ou F, je ne suis pas à l’aise de faire des déclarations du genre “voici la bonne façon de faire les choses” ou “utilisez cette application ou mettez tel genre de contenu en ligne”. Si vous détestez prendre des photos, mais que vous avez l’impression que vous devez le faire vous aussi, quelles sont les chances que vous preniez des photos qui attirent l’attention des gens?? »
« Les meilleurs résultats provenant des réseaux sociaux sont issus du fait que vous y passez du temps et que vous trouvez les outils qui vous conviennent le mieux », croit Mme Baym. Elle suggère de commencer par répondre aux gens, leur poser des questions et comprendre quand c’est le bon moment de contribuer à la conversation.
Une fois de plus, l’analogie avec un party est à propos. « Imaginez six personnes se trouvent devant vous, formant un cercle et en train d’avoir une conversation », poursuit-elle. « Vous avez envie de prendre part à cette conversation, alors vous vous tenez tout juste en retrait ou vous intégrez le cercle, et vous opinez de temps à autre. Puis, lorsque le moment viendra, vous saurez que vous pouvez vous joindre à la conversation. Maintenant, imaginez que vous voyez ces mêmes six personnes en train de discuter et que vous les interrompiez en disant “Salut, je travaille sur une nouvelle chanson”, on pourrait les comprendre de ne pas avoir envie de vous parler, puisque vous venez de les interrompre, et peut-être même de manière totalement hors-sujet. »
Peu importe votre domaine, les outils que vous utilisez, votre genre musical de prédilection, conclut Nancy Baym, « vous devez décider dans quelles conversations vous désirez être inclus. » Et trouver la façon polie et en lien avec leur conversation de le faire afin que les gens s’intéressent à vous.
Photo par Bruno Destombes (Grimes at/à M pour Montréal, November/novembre 2015)
Exportation : Du rêve à la réalité
Article par Nicolas Tittley | jeudi 3 dcembre 2015
En dix ans, le festival M pour Montréal est devenu une vitrine incontournable pour les artistes locaux aspirant à une carrière internationale. Mais au-delà de ces 4 jours de novembre, comment faire pour exporter la musique d’ici à l’année? D’où viendront les prochains Arcade Fire, Grimes, Coeur de Pirate ou Half Moon Run?
Sébastien Nasra, fondateur de M pour Montréal (Photo : Susan Moss)
Lors d’une récente édition de l’hebdomadaire britannique New Musical Express, le journaliste Luke Morgan Britton proposait une liste de « cinq artistes à l’avant-garde de la scène canadienne en ce moment ». Sans surprise, son palmarès (qui comprenait Nicole Dollanganger, Charlotte Cardin, She Devils, Jazz Cartier et Dilly Dally) était exclusivement composé d’artistes présents lors de la dixième édition de l’événement M pour Montréal, à laquelle il venait d’assister. Fondé par Sébastien Nasra, d’Avalanche Productions, en collaboration avec le Britannique Martin Elbourne (des festivals Glastonbury et the Great Escape), M sert de vitrine aux artistes de Montréal, mais aussi d’ailleurs au Canada, en conviant des journalistes, tourneurs, programmateurs de festivals, et autres représentants de compagnie de disques du monde entier à une grande kermesse musicale dans la ville la plus cool d’Amérique du Nord.
Au fil des ans, on ne compte plus les contacts qui se sont faits entre les artistes d’ici et le reste du monde lors des 4 jours de M. Outre les succès évidents de Grimes, Mac de Marco ou Half Moon Run, qui ont tous charmé les délégués au cours de la dernière décennie, des dizaines de groupes ont pu signer des ententes officielles ou simplement se faire de bons contacts pour l’avenir. Si bien que M fait maintenant partie de la stratégie de tout groupe local ayant envie de se lancer à l’étranger.
« Je pense que si tu es un artiste qui cherche à percer à l’international, il y a quelques événements incontournables auxquels tu dois assister, explique Sébastien Nasra. Le festival The Great Escape en fait partie, tout comme le South by Southwest à Austin et je pense qu’en toute modestie, on peut ajouter M à la liste. »
« Il est parfois plus rentable de faire venir quelques représentants de compagnies de disques étrangères voir ton band à Montréal, devant une salle comble, que de faire un showcase anonyme dans un gros événement international à 2 heures de l’après-midi » – Sandy Boutin
Kyria Kilakos, Indica
Kyria Kilakos, directrice générale et directrice artistique du label Indica (Half Moon Run, The Franklin Electric, Caracol), abonde dans le même sens, en ajoutant le Canadian Music Week et le festival Iceland Airwaves à sa liste d’incontournables. « Je trouve génial ce qu’a fait Sébastien avec M depuis 10 ans, mais on ne peut malheureusement pas emmener toute l’industrie mondiale à Montréal en même temps. Il faut évidemment aller vers l’autre et ne pas attendre de se faire offrir une tournée à l’étranger sur un plateau d’argent. »
N’empêche, la situation de Montréal (qui, selon le cliché, serait à mi-chemin entre Paris et New York) est un atout de taille. Mais la situation géographique n’explique pas tout : on peut être excentré et quand même se retrouver au cœur de l’action, comme en témoigne le succès du Festival de Musique émergente en Abitibi-Témiscamingue, qui accueille chaque année une forte délégation internationale.
Pour Sandy Boutin, cofondateur du FME et patron de Simone Records, le côté intime de l’événement permet d’établir ou de renforcer des liens avec l’étranger, mais il ne faut pas négliger les voyages à l’étranger: « Il y a des événements majeurs qui te donnent tout de suite un petit boost. Le fait que tu aies été sélectionné par un festival d’envergure comme les TransMusicales de Rennes ou le Printemps de Bourges te place déjà dans une autre catégorie. Mais honnêtement, si j’avais à choisir comment dépenser mon argent, entre faire de l’exploration sur d’autres territoires ou recevoir des étrangers au FME ou à M, je choisirais la deuxième option. Il est parfois plus rentable de faire venir quelques représentants de compagnies de disques étrangères voir ton band à Montréal, devant une salle comble, que de faire un showcase anonyme dans un gros événement international à 2 heures de l’après-midi. »
Sandy Boutin, FME et Simone Records (Photo: : Maryse Boyce)
Malgré l’importance grandissante des événements de type vitrine, il faut plus que quelques showcases pour lancer une carrière internationale. L’aide gouvernementale, par le biais de subventions au développement et à l’exportation, est une composante essentielle de l’équation. C’est pourquoi Sébastien Nasra a voulu organiser, lors de la dernière édition de M, un petit groupe de réflexion baptisé « Francos à Bord », qui réunissait des délégués de la Francophonie et des représentants des divers organismes subventionnaires.
Leurs conclusions? Sans prôner la création d’un bureau export canadien ou québécois (comme on en trouve partout dans le monde), les participants s’entendaient tous pour dire qu’une meilleure mise en commun des ressources était souhaitable. Une plus grande réciprocité entre les pays de la Francophonie a aussi été évoquée et tout le monde s’entendait pour dire qu’il fallait cibler les actions afin d’éviter d’envoyer un artiste faire un seul concert à l’étranger sans tournée à la clé.
Kyria et Sandy admettent tous deux que les programmes actuels, qu’il s’agisse de subventions de la SODEC ou de Musicaction remplissent bien leur rôle. « Les programmes en place sont amplement suffisants, affirme Kyria, j’irais même jusqu’à dire qu’on est chanceux par rapport à d’autres pays. Si j’avais une suggestion à faire aux organismes, c’est d’investir aussi dans la promotion. C’est bien beau d’envoyer des artistes à l’étranger, mais une fois là-bas, il faut s’assurer qu’ils sont vus! »
Souper des délégués de M pour Montréal, présenté par la SOCAN, le 18 novembre 2015.
Et peu importe d’où l’on vient, il est évidemment difficile de se lancer sur un nouveau marché. « Louis-Jean Cormier, dont on va lancer le deuxième album en France au printemps, en est un bon exemple, explique Sandy Boutin. Ce n’est pas parce qu’il est l’un des chanteurs les plus populaires au Québec et qu’il a connu un beau succès d’estime avec Karkwa qu’il est assuré d’un succès en Europe. Chaque fois, il faut tout recommencer avec modestie et assiduité et surtout connaître les subtilités du marché où on veut percer, d’où l’importance d’avoir de bons contacts sur place. »
Même son de cloche chez Indica, où, même si on est devenus experts en demande de subventions, on n’est pas du genre à attendre sagement l’aide gouvernementale. Fidèle à l’éthique punk do it yourself qui l’anime depuis ses débuts, le label a toujours misé sur le live. « Lorsqu’on signe avec un artiste, on lui fait comprendre très clairement que travailler avec nous, ça veut dire faire de la route. Il faut être prêt à se battre pour aller chercher les fans un par un et ça veut dire pas mal de temps passé loin de la maison. »
Et pour faire tout cela, il faut un réseau solide de partenaires. Qu’on les ait rencontrés au FME, à M ou lors de South by Southwest, les agents locaux représentent la clé de voûte de toute conquête internationale. « Chaque marché a ses défis particuliers, rappelle Kyria, qui a ouvert un bureau d’Indica en Australie. Certains genres fonctionnent mieux sur un territoire qu’un autre et les gens de la place sont beaucoup mieux placés que toi pour le savoir! »
Ce qui nous ramène à l’importance des vitrines et autres festivals. Car on aura beau dire ce qu’on veut sur notre époque d’hyperconnectivité virtuelle, rien ne vaut une rencontre en face à face. « Malgré tout ce qu’on peut croire, l’industrie de la musique est encore un « people business » » rappelle Kyria Kilakos. On développe des relations d’affaires sur des années et nos alliés finissent par devenir amis. C’est comme ça qu’on ouvre des portes: avec des bonnes tounes et de bons contacts. »