À l’âge de 9 ans, en 1989, Samuel Laflamme rencontre la musique par le cinéma. Trop jeune pour aller voir Batman au grand écran, il s’empare de la cassette VHS au club vidéo quelques semaines plus tard, mais seule la version anglaise est disponible. Même si ses parents lui racontent des bouts de l’histoire pour qu’il suive les péripéties du superhéros, c’est la musique qu’il écoute du début à la fin.
« Je me suis rendu compte de cet impact sur ma perception des choses beaucoup plus tard, explique le compositeur Samuel Laflamme. C’est fou comment la musique, ça peut créer un monde. » Davantage appelé par les blocs Lego que par les cours de piano auxquels ses parents l’inscrivent, il développe son intérêt pour la musique à l’image beaucoup plus tard. « J’écoutais tout ce qui se faisait: John Williams, Alan Silvestri… Les musiques de Star Wars, Indiana Jones, Jurassic Park, mais je m’en allais au cégep en sciences », se souvient-il.
Bifurquant vers la musique au cégep de Drummondville, il s’intéresse peu au jazz et rêve plutôt de grandes orchestrations. C’est à L’Université de Montréal auprès de Michel Longtin qu’il peut enfin « répondre à cet appel ». « C’étaient les débuts de la musique électronique et je voulais encore faire de la musique à l’image, raconte le compositeur. J’avais ouvert un petit studio sur Saint-Laurent et dans la même bâtisse, j’ai rencontré les bonnes personnes aux bons moments. Il y avait pas mal de postproduction qui se faisait là-bas et c’était l’époque des chaînes spécialisées. On avait besoin de toutes sortes de sons. On m’a donné ma chance. »
C’est grâce à son talent particulier et son intérêt précis pour la musique de film que l’INIS lui offre une classe: « je donnais des cours à des gens qui avaient fait des années de publicité et qui voulaient faire quelque chose de plus artistique, dit-il. J’ai donc rencontré énormément de personnes qui avaient de l’expérience et qui m’ont encore offert des opportunités par la suite. » C’est en effet à l’INIS qu’il a rencontré « sa gang ». Ses collègues de Passez-Go sont comme une seconde famille pour lui.
« Pour toujours plus un jour, Le chalet, L’académie, Chouchou. C’est toujours la même gang. On a commencé ensemble avec un petit projet pas de budget il y a plus de dix ans et aujourd’hui, on travaille tellement bien ensemble qu’on se comprend avant même de se parler. » Les musiques qu’il compose pour ses collègues-amis sont ficelées au projet dès la préproduction. « Ça nous permet d’avoir une vision commune, une compréhension les uns des autres et une complicité, ajoute-t-il. C’est extrêmement précieux, trouver des visions artistiques qui peuvent se fondre ensemble aussi facilement. »
Même si son talent rayonne à l’international en 2013 grâce à la musique qu’il crée pour le jeu vidéo d’horreur, Outlast, c’est donc auprès de ses amis qu’il ressent perpétuellement le sentiment de travailler sans travailler. Les jeux vidéo sont plaisants pour lui, mais pour d’autres raisons. Ce qui le passionne dans ses pièces musicales conçues pour la télé, c’est qu’elles font partie de l’œuvre complète. « Les commandes ne sont pas précises et je ne fais pas juste livrer un projet. On me demande dès le départ ce que je vois comme ambiance sonore et ma vision a un poids. » Sa première dramatique, le succès automnal Chouchou, diffusé sur Noovo, lui a permis de pousser encore plus loin cette méthode de création.
« On était en meeting Zoom avec toute l’équipe, se souvient-il. On regardait des moodboards, puis le DOP a dit qu’il voulait utiliser des lentilles des années 70 pour donner une vision plus organique, une douceur dans l’image. Tout de suite, ça a été un déclic pour toute l’équipe, tant pour moi avec les musiques que pour les costumes, les équipes des décors, etc. »
De manière très naturelle, l’équipe de réalisation s’est déplacée en studio pour écouter les jams de Samuel qui posaient des questions et s’ajustait musicalement au fur et à mesure que les idées évoluaient. « J’improvisais du piano et, à mon insu, ils ont envoyé mes essais à la monteuse, se remémore-t-il en riant. Il y a tellement de confiance dans cette gang-là. »
Invité sur le plateau de tournage pour vivre l’énergie de la série, il a discuté avec Evelyne Brochu (qui joue le rôle principal). « Je lui ai demandé si, dans son interprétation, elle pensait que son personnage – qui entretient une relation intime avec un de ses élèves mineurs – était malheureux dans sa vie de famille pour poser un geste comme celui-là. Elle m’a répondu que non, que c’était encore plus percutant, dans l’histoire, de réaliser que sa vie était parfaite avant qu’elle tombe dans ce moment de passion interdite. À ce moment-là, je savais que, musicalement, il ne fallait pas que je mette son personnage dans une situation de colère ou de mécontentement quand elle se balade à vélo, par exemple. Le sous-entendu émotionnel est beaucoup plus doux. La proximité avec l’équipe sur le plateau a complètement changé mon approche. »
Cet automne, Encore Télévision-Distribution et Passez-Go ont vendu les droits de diffusion de la version originale de Pour toujours plus un jour à TF1 et TV5 Monde, ce qui rendra la série disponible à plusieurs milliers de nouveaux spectateurs. « La fin de cette série-là, qui se passe dans la mort, mais surtout dans la sérénité, a vraiment été le début de l’étincelle de création de Chouchou pour moi, dit Samuel. Je pense que dans les deux cas, la musique se place sur les scènes comme un regard empathique. J’ai mis énormément de temps sur ces morceaux parce que ce qu’on entend, ça ne demande aucune virtuosité pour faire ça. Ce qui est long, c’est de prendre le temps de comprendre, dormir dessus, digérer l’histoire pour arriver au petit moment eurêka. »
Pour la suite, Samuel Laflamme souhaite simplement travailler avec des gens qui désirent travailler avec lui. « Je travaille sur un film d’horreur avec des fans de Outlast qui voulaient absolument que je fasse leur musique, explique-t-il. Peu importe le projet qui m’est offert, j’évalue les possibilités d’éprouver du plaisir. »
Mariant ainsi chaque moment visuel au son le plus exact possible, le compositeur est convaincu que « ceux qui disent que la musique à l’image, il ne faut pas l’entendre, n’ont rien compris. »