Longtemps avant de songer à faire carrière comme musicienne, Tamara Lindeman se considérait comme une mélomane pure et dure. « Je n’avais pas vraiment de liens avec la scène musicale et je ne connaissais pas de musiciens », explique-t-elle. « Je m’intéressais juste passionnément à la scène musicale torontoise. » Ses premières expériences personnelles comme créatrice ont été les paysages sonores qu’elle a commencé à concocter dans sa chambre à coucher au milieu des années 2000. Lorsqu’elle a songé à les partager sur MySpace, elle s’est rendu compte qu’il lui fallait un nom, et elle a choisi celui de The Weather Station. « Je disais qu’il s’agissait d’enregistrements sonores réalisés par une femme dans une station météorologique de l’Arctique », se souvient-elle en éclatant de rire.
La musique de Tamara Lindeman a rapidement évolué, mais le nom est resté. The Weather Station – aujourd’hui un projet, parfois solo, à saveur folk-rock, parfois un groupe de tournée – a décidément fait connaître Tamara Lindeman comme une auteure-compositrice-interprète à surveiller. Son quatrième album complet – éponyme et autoproduit – est sorti en octobre et a reçu des critiques dithyrambiques de la part de Pitchfork, The FADER, Exclaim! et le magazine britannique Uncut, qui lui a accordé le quatrième rang sur la liste des 10 meilleurs albums de 2017.
Mais l’artiste, dont le troisième album, Loyalty, figurait à la longue liste du Prix de musique Polaris de 2015, n’en continue pas moins de regarder son succès comme si elle était toujours en marge de la scène musicale. « J’ai un problème du fait que j’ai l’impression que je me considérerai toujours comme une parfaite étrangère », avoue-t-elle en évaluant son succès à ce jour. « Je n’arrive pas à trouver tout ça naturel, et je ne peux rien tenir pour acquis. »
Même si elle a chanté dans des chorales et appris le piano dans son enfance, Tamara Lindeman – dont on compare souvent la voix à celle de Joni Mitchell – demeure essentiellement autodidacte. Elle ne s’est aventurée dans l’écriture de chansons que lorsqu’elle s’est rendu compte qu’il lui fallait quelque chose de plus convenable que des paysages atmosphériques dans son répertoire si elle voulait commencer à partager sa musique dans le cadre de représentations publiques. « J’ai toujours chanté par instinct », explique-t-elle pour décrire la courbe d’apprentissage qu’elle a suivie « plus ou moins à tâtons ».
« Je vais faire des riffs sur une idée, ou encore chanter quelque chose sans savoir à quoi ça rime, et ensuite je vais essayer de comprendre ce qui se passe. »
Tamara Lindeman, qui a derrière elle une expérience de comédienne, a commencé à développer son métier d’auteure-compositrice grâce à une méthode axée sur le courant toujours changeant de la conscience, processus qui l’amène à développer un certain nombre de riffs et de mélodies solides, puis à leur superposer des paroles improvisées. « Fondamentalement, je chante, et après je vois ce que je dis », explique-t-elle pour décrire le processus qui l’amène à tout enregistrer en chemin et à voir ensuite ce qui mérite d’être gardé. « Je vais faire des riffs sur une idée, ou encore chanter quelque chose sans savoir à quoi ça rime, et ensuite je vais essayer de comprendre ce qui se passe », confie-t-elle, expliquant ensuite que ça veut parfois dire qu’elle chante très lentement ou qu’elle fait de longues pauses pour réfléchir à ce qu’elle va dire ensuite.
Consciente d’être perfectionniste, Tamara Lindeman admet que le processus du montage peut s’éterniser puisqu’elle doit d’abord transcrire les idées qu’elle a fredonnées avant de retenir les paroles qui semblent le mieux capter ce qu’elle essaie de dire. « C’est le processus de la sélection qui est le plus fou », explique-t-elle en riant.
Il en découle des paroles à caractère plutôt personnel qui sont parfois suivies de passages à bâtons rompus qui ont un effet poétique, et ce, particulièrement sur son plus récent album, qu’elle décrit comme étant « beaucoup plus fou que mes autres disques. » « Je crois que c’est mon disque le plus franc », ajoute-t-elle. « C’est définitivement mon plus culotté. Mes anciens albums sont plus subtils que celui-là. »
Selon l’artiste, cela tient en partie à un désir de créer un album plus confiant et plus rock avec des rythmes plus vigoureux correspondant à la fois à son état d’esprit actuel et au goût de l’heure. « La musique subtile ne fonctionne pas toujours – il faut parfois autre chose », explique-t-elle en parlant de chansons qui touchent à des sujets comme la politique, le changement climatique ou le divorce de ses parents. « Compte tenu de mon état émotif d’alors et de l’état actuel du monde, je sentais que j’aurais tort de jouer de la belle musique tranquille », précise-t-elle. « Je n’ai vraiment rien de beau à dire sur ce qui ce passe ces temps-ci. »
L’autre changement, sur cet album, c’est que Tamara Lindeman a pris la décision d’en diriger elle-même la réalisation. Tandis que ses tout premiers disques avaient été « super autoproduits », les deux derniers avaient été réalisés en étroite collaboration avec d’autres musiciens, notamment Afie Jurvanen (alias Bahamas) et Daniel Romano qui, explique-t-elle, bénéficiaient d’une expérience et de points de repère qu’elle n’avait pas nécessairement et qui l’avaient aidée à cesser à douter d’elle-même.
Par contre, Tamara Lindeman mentionne qu’au moment d’entamer la réalisation de The Weather Station, qui met en vedette Ben Whiteley à la basse, Don Kerr (des Rheostatics) à la batterie (ils sont également au cœur de son groupe de tournée) et plusieurs autres musiciens, elle savait déjà exactement quel son l’album devait avoir. « Je croyais pouvoir l’expliquer, mais je me suis vite rendu compte que personne n’est capable de dire ce qu’il y a dans ma tête sauf moi », dit-elle. « Donc il a fallu que j’apprenne à prendre le contrôle, à prendre des décisions et à devenir la force directrice de l’œuvre. »
Au dire de Tamara Lindeman, ça a été une expérience qui l’a amenée à mieux se fier à elle-même et à se faire davantage confiance comme musicienne. Elle admet qu’il y a encore des moments, souvent pendant ses propres spectacles, où elle s’étonne non seulement d’avoir fait salle comble, mais même de voir qu’elle s’est engagée dans une carrière musicale pour commencer. « C’est tellement dur, la musique. Il est difficile de réussir sur le plan émotif, artistique ou professionnel », explique-t-elle. « Le fait de réussir dans les trois domaines procure une satisfaction inouïe. »