Article par Samantha Edwards | mardi 21 juillet 2020
Uptown Boyband appartient à de nombreux univers. Le trio torontois propose une musique qui est à parts égales K-pop, dance, rap et trap.
Baptisé ainsi à cause du quartier de Toronto où ils ont grandi, UBB est formé des chanteurs Joe Rascal et Roc Lee, qui se sont connus dans le club de breakdance de leur école secondaire, et du rappeur Justin Trash qu’ils ont rencontré peu de temps après grâce à un ami commun.
Cet éclectisme est bien représenté sur leur premier album, Club Ubb, qui paraîtra plus tard cette année. L’album est divisé en deux sections : Heartthrob est dédié au côté plus pop du groupe, tandis que Heartbreak propose des pièces trap qui frappent, incluant leur plus récent simple, « Kult Freestyle ». « On voulait créer un album qui reflète toutes nos influences. On ne voulait surtout pas se limiter au niveau des sonorités », explique Lee.
C’est en 2016 qu’ils ajoutent le mot « Boyband » à leur nom en référence et à fin de subvertir l’image de la K-pop. Tous d’origine coréenne, ils ont grandi en écoutant des groupes K-pop comme Big Bang et 1tym et ils ont fortement été inspirés par H.O.T., mais contrairement aux groupes à l’image parfaitement léchée comme B.T.S., ils ont également des « piercings » et des tatouages et ils « saupoudrent des touches de grunge et de punk » dans leur musique.
Et bien que la K-pop soit un des genres musicaux les plus populaires au monde, il y a très peu de groupes issus de Toronto dans ce créneau — du moins pour l’instant. « D’expérience, on sait que la scène n’est pas très grande, mais elle est en croissance et c’est un honneur d’en faire partie », affirme Rascal. Les trois jeunes hommes n’avaient pas vraiment d’artistes américains ou canadiens d’origine asiatique à admirer quand ils étaient plus jeunes, et cette lacune les motive créativement, désormais.
« Le manque de représentation nous a permis de défricher notre propre chemin sans aucune restriction », dit Trash. « Il n’y avait pas de mode d’emploi, alors on veut être le bon exemple que nous n’avons pas eu. »
Photo par Lisa MacIntosh
Julian Taylor nous parle de son album The Ridge
Article par David McPherson | mercredi 22 juillet 2020
There’s a westbound wind Blowing through the ridge again You can stay in, or go outside And wait for it to die But either way, it never ends
—“The Ridge” de Julian Taylor
Notre passé est toujours présent. Même quand nous tentons de laisser de vieux souvenirs derrière nous, ils reviennent de façon inattendue et inimaginable. Comment ou pourquoi ces bribes de notre histoire personnelle se révèlent à nous diffère d’une personne à l’autre. Pour Julian Taylor, l’étincelle qui a donné le coup d’envoi à son périple de contemplation nostalgique a été la mort.
Pas la mort d’une personne, mais la perte de presque tout le côté de sa mère — deux tantes, son grand-père, et sa grand-mère par alliance — en un très court laps de temps. Pour arriver à gérer ces deuils, l’auteur-compositeur-interprète a dicté dans son téléphone une série de messages destinés à ces femmes qui ont pris soin de lui quand il était enfant. Ces missives numériques sont devenues la charpente de The Ridge. Ces nouvelles chansons ont été enregistrées au studio The Woodshed (appartenant à Blue Rodeo et situé au centre-ville de Toronto) et lancées le 19 juin en l’honneur de l’anniversaire de sa grand-mère et Juneteenth, alias le jour de l’Émancipation, aux États-Unis.
Doucement acoustique, ce qui est une nouvelle sonorité pour celui qui, au cours des dernières années avec le Julian Taylor Band (qu’il décrit comme « des pèlerins du funk, du soul et du roll »), The Ridge a dépassé le cap des 300 000 écoutes sur Spotify, encensé pas la critique partout en Amérique du Nord (incluant un article dans American Songwriter), en plus de tourner beaucoup sur les ondes de la BBC 2 et sur plus de 70 stations en Australie et, comme si ce n’était pas assez, il a aussi été encensé par ses pairs, dont notamment William Prince, AHI et Rhett Miller (du groupe Old 97s). Taylor prend tout ça comme une leçon d’humilité, lui qui est aussi l’animateur d’une émission du retour sur la station ELMNT-FM de Toronto, réputée pour son ouverture aux communautés autochtones, et qui a éhttps://toronto.elmntfm.ca/galement été choisi pour siéger sur un comité consultatif de la Toronto Blues Society.
« Je tape sur le mur depuis longtemps », dit-il. « Tu lances quelque chose pour le partager avec le monde entier et tout ce que tu peux faire, c’est espérer que les gens vont aimer ça. »
“Le “ridge” [ndt : arête, crête] est comme une coupure, une chose qui me divise en deux”
Si ça plaît aux gens, c’est parce que ses chansons touchent son auditoire par le biais de thèmes universels auxquels ils s’identifient. Certaines abordent des thèmes comme l’espoir et l’amour (« Human Race », « Ola, Let’s Dance »), mais la plupart posent un regard sur notre place dans l’univers. Quant à la manière dont ses chansons touchent les gens, Taylor nous donne l’exemple d’un cultivateur noir du Midwest américain qui lui a dit à quel point « The Ridge » est important pour lui parce qu’il détruit le mythe que tous les noirs vivent en ville.
Les critiques ont souligné à quel point The Ridge est à la fois original et « vintage ». « Tous mes albums sonnent comme ça », dit Taylor. « J’ai pas mal tout le temps un pied dans le passé et un pied dans l’avenir. »
Commettre ces textes et ces mélodies sur un enregistrement a eu un effet thérapeutique, par ailleurs. Taylor tente visiblement de guérir une cicatrice invisible, une réalisation qui a marqué l’existence du musicien depuis son enfance : le fait qu’il est un « outsider ». C’est particulièrement vrai sur la pièce titre.
« Les gens me demandent souvent quelle est la signification de The Ridge », nous confie l’auteur-compositeur. « En premier, ça fait référence à Maple Ridge, la version courte du nom du lieu où je passais mes étés quand j’étais jeune. Mais c’est aussi une métaphore. Le “ridge” (ndt : arête, crête) est comme une déchirure, quelque chose qui me divise en deux, non seulement d’un point de vue émotionnel, mais d’un point de vue social en tant que personne noire et autochtone qui a grandi dans un environnement majoritairement blanc. »
« The Ridge parle de la douleur qu’a causé et laissé en moi la perte de tous ces êtres chers en si peu de temps », confie-t-il. « Ça parle aussi de cette déchirure et mon sentiment de non-appartenance. »
Taylor a commencé à écrire et à chanter à l’adolescence. Il est depuis un pilier de la scène musicale torontoise et il raconte sur « Ballad of a Young Troubadour » ses premiers pas alors qu’il cherchait encore sa propre voix. C’est à la fin des années 90 et au début des années 2000 qu’il connaîtra le succès et obtiendra un contrat de disques chez Warner Music Canada en tant que leader du groupe Staggered Crossing et plus récemment avec son Julian Taylor Band. Mais malgré son affiliation avec ces deux groupes, Taylor affirme qu’il s’est toujours considéré comme un auteur-compositeur-interprète avant tout.
Et malgré qu’il soit reconnaissant du succès que connaît son album, Taylor a beaucoup de difficulté a gérer la pandémie de COVID-19 et ce que nous réserve l’avenir. « Ça fait quatre mois que je n’ai pas dormi », avoue-t-il. « J’ai peur de plein de choses. Cette période ne ressemble à rien de ce que j’ai vécu avant. C’est difficile à expliquer. J’ai peur pour l’avenir de l’industrie de la musique et de l’industrie de l’hospitalité… J’ai peur pour la prochaine génération. Vont-ils devenir une génération de “germophobes’ ? Comment apprend-on aux gens à ne pas se toucher mutuellement ? Ça n’a aucun sens ! »
Aucun d’entre nous n’a de réponse aux questions rhétoriques de Taylor ni ne sait quand cette pandémie sera vraiment terminée, mais au moins nous avons ses chansons. Et, pour l’instant, c’est suffisant pour nous aider à guérir.
Photo par Sara Bo
Sous les projecteurs : Pantayo
Article par Samantha Edwards | jeudi 16 juillet 2020
« Pantayo est né de la nécessité d’en apprendre plus au sujet de nos racines », explique Katrina Estacio, l’une des fondatrices du collectif musical de Philippines dont le premier album éponyme a été inscrit, le 15 juillet dernier, à la courte liste des 10 finalistes pour le Prix de musique Polaris 2020.
Pantayo, qui signifie « pour nous » en tagalog, a pris forme lors d’ateliers de kulintang à la fin de 2011. Traditionnellement joué par des populations autochtones du sud des Philippines, le kulintang est un instrument percussif composé de plusieurs petits gongs frappés à l’aide de mailloches en bois.
Les chansons qu’elles ont apprises durant ces ateliers sont éventuellement devenues la base des pièces de l’album où le kulintang est combiné à de la pop, du R&B, du punk et de l’électronique. Le groupe composé d’Estacio, Eirene Cloma, Michelle Cruz, Jo Delos Reyes et Kat Estacio a travaillé sur ledit album de 2016 à 2019, déconstruisant et reconstruisant ces chansons et jouant avec leurs composantes comme des coups de gong, les textures vocales et des couches d’échantillonnages.
« On “jammait” pendant des heures pour trouver un “groove” », dit la chanteuse Cloma qui joue également claviers et basse. « J’aime revisiter des versions antérieures d’une chanson et constater comment notre son a changé, comment nous avons gagné en confiance en tant que musiciennes et comment notre groupe s’est soudé. »
Pendant qu’elles peaufinaient davantage leurs chansons, elles ont recruté alaska b – de Yamantaka//Sonic Titan – afin de produire leur album et les guider dans les étapes d’enregistrement, d’arrangement et de mixage.
Les influences qui animent l’album sont aussi diverses qu’elles sont vastes : sur « Heto Na », on reconnaît le disco OPM (pour Original Pilipino Music) des années 70, tandis que les voix de la ballade « Divine » ont été influencées par « Try » de Blue Rodeo et « Save Me » de kd lang, deux chansons que Cloma adorait quand elle était petite.
Pourtant, chaque pièce est solidement ancrée dans la tradition kulintang de la perspective de la diaspora FilipinX.
« Les Philippines ont été colonisées par les Espagnols, les Américains et les Japonais. Et l’un des effets de la colonisation est l’effacement de la culture », explique Cruz. « Nous sommes privilégiées de pouvoir jouer, apprendre et partager notre version de la musique kulintang. Je suis heureuse que la tradition se perpétue. »