Drake est peut-être l’un des Canadiens les plus connus à avoir collaboré avec Summer Walker, l’étoile montante du R&B, mais il n’est certes pas le seul. La première pièce de son nouvel album intitulé Over It met en vedette un échantillon de l’auteure-compositrice-interprète et productrice audionumérique vancouvéroise Teddi Jones.
« On a été mis au courant une semaine avant la sortie de l’album », raconte Jones au sujet de l’échantillon qu’elle a créé en compagnie de Coop the Truth et qui a été utilisé par Walker. « Ç’a été une expérience amusante. »
Pour Jones, la musique a toujours été un passe-temps qui remonte à l’époque où elle avait 9 ou 10 ans et qu’elle a commencé à écrire des chansons, un processus qu’elle trouvait thérapeutique. Ce n’est que l’an dernier qu’elle a réalisé qu’elle souhaitait en faire une vraie profession. « il y a tant d’avenues qui s’offrent à nous dans cette industrie », dit-elle. « C’est vraiment excitant d’avoir la liberté d’exprimer notre créativité de tant de façons grâce à la musique. »
Jones a également collaboré avec l’auteure-compositrice-interprète R&B montréalaise Shay Lia. Jones a participé à la création de deux des pièces du premier album de Lia, Dangerous : « Rock Baby » et « Find a Way ».
Jusqu’à maintenant, Jones a appris à « faire confiance à mon intuition et à ne jamais cesser d’apprendre », ce qu’elle s’efforce de mettre en pratique dans son travail tout autant que dans sa vie personnelle. Si 2019 a été « une année de préparation », Jones se dit prête à transposer toute son expérience dans sa musique en 2020.
Pour elle, la clé est de tisser des liens avec des artistes qui « partagent mon amour et mon respect de la musique et des gens. C’est au coeur de tout, pour moi. »
Photo par Joey James
Allie X : le besoin d’être reconnue
Article par Sarah MacDonald | jeudi 26 mars 2020
Allie X est un Lion. La vedette des signes du zodiaque aime avoir l’attention des gens. Il veut qu’on le remarque. Il en va de même pour cette artiste pop de Toronto établie à Los Angeles. Allie X veut être vue. Le hic, c’est que son approche artistique était en conflit avec sa réalité en tant qu’adolescente grandissant dans une banlieue ontarienne. Elle a dû affronter la dure réalité et admettre que les autres ados sont cruels et vous rendront la vie difficile si voues êtes le moindrement différent.
« Quand j’étais au secondaire, je voulais vraiment qu’on me remarque, mais socialement j’essayais de passer inaperçu. J’étais prête à accepter qu’on soit cruel avec moi en échange du fait qu’on me reconnaisse. »
Ce sont ces expériences qui sont la fondation du somptueux deuxième album d’Allie X, Cape God. En surface, ce nouveau projet semble très différent de ses précédents, a fortiori lorsque l’on compare Cape God à la pop plastique de son EP Super Sunset. Au chapitre des sonorités, elle prend des détours et se fait silencieuse avant de se propulser dans ce qu’elle appelle un « party segment ». C’est différent, mais on ne s’attendrait à rien d’autre d’elle, n’est-ce pas ?
Allie affirme qu’il était grand temps qu’elle confronte certaines des expériences difficiles de sa jeunesse, ce qu’elle n’a jamais fait auparavant. La majorité des articles et critiques publiés jusqu’à maintenant au sujet de Cape God parlent du fait qu’Allie a été touché par le documentaire Heroin : Cape Cod, USA. Le documentaire a certes une certaine importance dans ce projet, mais c’est avant tout un exercice d’ouverture émotionnelle où elle fait preuve d’empathie envers une version plus jeune d’elle.
« Ce que le documentaire a fait, c’est de me placer dans un état d’esprit où j’ai été en mesure d’explorer de vieilles émotions à l’aide de personnages », explique-t-elle. « Je m’identifiais à la peur, au désespoir et aux lutes des gens dans le documentaire. L’isolement et la difficulté à établir un lien avec notre famille, la honte, la gêne, ne pas savoir ce que l’avenir nous réserve à tous les niveaux. »
La création de Cape God s’est faite très facilement, à sa grande surprise. De toutes ses créations, incluant l’écriture de chansons pop pour d’autres artistes comme BTS, récemment, Cape God est celle qui a vu le jour le plus facilement. Elle n’a pas eu à se forcer ni à écrire et réécrire. C’est en vase clos, à Stockholm, Suède, qu’Allie a produit cet album en compagnie de quelques personnes, principalement Oscar Görres et James Alan Ghaleb.
L’album débute avec « Fresh Laundry », une pièce mélancolique et nostalgique. La définition de ce que « normal » signifie refait surface à plusieurs endroits, comme sur « Regulars », « Life of the Party » et « Super Duper Party People ». La dernière pièce du disque, « Learning in Public » est probablement le joyau de cet album, et c’est en quelque sorte un hommage à elle-même, un regard sur ce que ça signifie de grandir. (Ça n’est jamais facile.) Elle boucle la boucle avec « Fresh Laundry » et elle affirme que c’est un choix de séquence tout à fait volontaire dont elle est fière.
Cape God est un espace liminal, mais c’est également, comme Allie le confirme, un espace sécuritaire qu’elle a créé elle-même afin de pouvoir y faire le ménage dans ses émotions de jeunesse. « J’avais envie de créer un endroit plein de beauté et dont je contrôlerais l’esthétique », dit-elle. « C’est un espace où je me rends, où je suis en contrôle et où je peux exister sans aucune crainte. Je pense que c’est pour ça que l’écriture de ce projet a été aussi agréable. »
Selon elle, ce projet documente une période de sa vie pour laquelle elle ne s’est jamais sentie équipée avant maintenant, alors qu’une dose de maturité, de croissance et d’expérience lui permet désormais d’absorber tout ça. Elle a créé un dialogue empreint de sympathie et de tendresse entre une personne (Allie) et une autre (Allie ado) que pratiquement tous les adultes seront en mesure de comprendre.
Pas facile d’être jeune. On doit composer avec un manque d’expérience alors même qu’on se fait dire que c’est la plus belle période de notre vie et qu’on s’attend de nous qu’on soit au cœur de la culture. Alors lorsque de surcroit on est artistique et authentiquement différent, ça ajoute une couche de difficulté. Le désir d’Allie d’être vue et entendue, de faire quelque chose de remarquable avec sa vie est en train d’être assouvi, mais il n’y a rien qu’elle aurait faire, plus jeune, pour se rassurer que ça arriverait. Il fallait qu’elle grandisse et soit patiente.
Photo par Felipe Arriagada-Nunez
Le Rap Communautaire de LaF
Article par Élise Jetté | mercredi 25 mars 2020
La machine créative du sextuor LaF tourne toujours. Un carrousel à bord duquel montent d’abord Bnjmn.lloyd, BLVDR et Oclaz, véhicules de sons qui se complètent et se comprennent. Bkay, Jah Maaz et Mantisse se greffent au tout avec des mots qui s’imbriquent sans jamais s’invalider. Adepte de cuisine fusion ? LaF propose le rap fusion, là où convergent les sons et les mots dans un esprit de communauté. C’est ça la famille.
« En studio, on vient concrétiser des affaires explorées en chalets, dit BLVDR. On est en mode peaufinage. » Aussitôt l’album Citadelle terminé, les gars avaient déjà mis d’autres pains sur leur planche. « Parce que, quand on est ensemble, on fait de la musique. Notre relation amicale et notre musique sont indissociables. On ne sait pas laquelle arrive avant l’autre », ajoute Bkay. L’œuf ou la poule ? L’amitié ou le rap ?
Et prendre une pause, ça sert à rien. Pour Mantisse, c’est en fait un non-sens de s’arrêter. « On n’a pas pris de vacances de musique. C’est pas parce qu’on a sorti un album qu’on va arrêter de penser à ce qu’on pourrait faire », assure-t-il, toujours les yeux rivés sur la suite.
L’aspect communautaire de leur musique n’est pas né en une nuit. Il n’était pas prémédité non plus. « Avant les Francouvertes on faisait du rap de communauté. Notre public, c’était notre entourage. On ne faisait pas de show à 4 h de Montréal devant des gens qu’on ne connaît pas, lance Bkay. Il y a eu Les Francouvertes, Hôtel Délices (août 2018), la signature avec 7ieme ciel. Après ça a été le switch. On ne faisait plus juste ça pour nous autres. »
Ils estiment que leur vie a définitivement changé depuis tout ça et leur place dans l’industrie de la musique et du rap s’est cristallisée. Leur musique est leur première occupation, leur métier, leur vie. « Benjamin (Bnjmn.lloyd) est le seul à aller à l’école, rigolent les gars », soulignant que cela fait de lui le plus érudit du clan.
Pour comprendre LaF, il faut comprendre les « chalets de LaF », là où tout se passe. Le groupe a développé cette méthode, cette procédure ; un isolement entre eux pour laisser la créativité se manifester. Si l’un de ces chalets, au début, a failli avoir leur peau, ils se sont bien repris par la suite.
« La chanson Tangerine est née en janvier, durant de grandes vagues de froid, explique Bkay. On s’en allait dans le fond du bois à Saint-Adolphe-d’Howard et on avait prévu avoir une demi-heure de marche à faire dans la neige, mais finalement ça a pris trois heures. » Bouffe, eau et matériel d’enregistrement pour quatre jours en forêt étaient regroupés sur des traineaux pour atteindre un lieu profond parmi les arbres : une cabane qui se chauffe aux feux de bois. « On s’est créé une summer vibe au cœur de l’hiver et quand je suis allé couper du bois, j’avais l’impression de le faire pour sauver la vie de mes chums. Ça a ajouté un niveau à l’affaire », s’amuse BLVDR.
« On co-habite avec laisser-aller et on est toujours au service de la chanson. »
Dans tous leurs rassemblements hors des règles de la ville, ils procèdent aux rituels « On arrive au chalet, on sort tout le matériel et on choisit une pièce, explique Bkay. On est souvent dans des endroits différents d’une fois à l’autre. On veut un contact avec l’extérieur, une bonne vibe et que ça sonne bien. » « On installe le stock et ensuite c’est une journée complète où on mange, on chill, on écoute ce qu’on a fait la veille, on part du beat. Pendant que les boys joue sur une mélodie, nous on est en arrière et on écrit des mots, complète Mantisse. On travaille sur toutes les étapes en même temps. »
Quand l’un se fatigue, l’autre s’y met. Pas de raison de couper en plein vol l’inspiration d’un ami. « Bnjmn.lloyd étudie en musique numérique donc il nous apporte tout ce qui est plus académique, moi je suis très intuitif et Clazo a le house flavour », dit BLVDR en soulignant que, normalement, chaque bonne journée ensemble, mène à un bon beat à conserver. « Dans tous les cas, si quelqu’un est mad inspiré et que ça fait avancer le projet, on va y aller, dit Mantisse. On n’a pas la quête de l’équité. On est au service de la chanson et si ça veut dire que je fais juste des backs, ça me dérange pas. On co-habite avec laisser-aller et on est toujours au service de la chanson. »
Technique et versatile, Jah Maaz est, selon ses coéquipiers, « le meilleur rappeur à Montréal », Mantisse le poète extravagant et Bkay le chef de clan qui colle tous les morceaux. Et avec lui, « quand c’est de la marde, tu le sais. »
Durant les dernières années, le rap a changé et LaF aussi. Ils maîtrisent des codes musicaux et mélodiques qui se fondent désormais dans les œuvres indie, pop et rock. « Je ne sais pas ce qui va arriver à ceux qui sont fondamentalement rap, mais je sais que, nous aussi on est capable de sortir de nos codes et de se métisser, assure Bkay. Nos amis de O.G.B. (le groupe qui a gagné les Francouvertes un an après eux), se sont des jazzman dans le rap et c’est beau pareil. » Les possibilités sont donc infinies pour se renouveler et LaF en est encore qu’à sa première vie.
« Peut-être qu’on a ouvert la porte de quelque chose pour les générations futures et qu’on va juste revenir avec notre son renouvelé tout le temps », dit Bkay. « Comme Luce Dufault, qui fait son retour en 2020 après plusieurs années d’absence », dis-je. « Luce Dufault? », demandent-ils.
Et dans un souci de ne jamais oublier 1996, l’entrevue s’est terminée par une écoute à grand déploiement de la chanson Les soirs de scotch– qu’ils n’avaient jamais entendue – sur les speakers du studio. La musique est un cycle sans fin.