Lorsqu’on demande au duo de DJs Loud Luxury ce que le reste de 2018 leur réserve, la réponse est unanime : « vraiment pas beaucoup de sommeil ». Et c’est pour une bonne raison : depuis l’an dernier, Andrew Fedyk et Joe DePace – qui se sont rencontrés à la Western University de London, Ontario – surfent sur un véritable tsunami de succès grâce à leur tube « Body ».

L’incroyablement populaire chanson transforme les pistes vocales de l’artiste hip-hop Brando – qui, selon le duo, « étaient beaucoup plus lentes et destinées à être un succès hip-hop pour les bars de danseuses » – en bombe pour les pistes de danse. À ce jour, la pièce a été écoutée plus de 40 millions de fois, et son vidéoclip visionné plus de 12 millions de fois.

« Soyons très clairs : nous n’avons jamais pensé que ce serait un « hit » », disent-ils. Cette expérience est donc venue confirmer leur instinct musical et leur a appris une leçon importante : « Si vous et votre équipe pensez que vous tenez un bon filon avec une chanson, ne la lâchez pas », disent-ils. « Même si personne d’autre n’y croit, vous n’êtes pas fou et vous devez vous battre pour que le monde puisse l’entendre. »

« Body » donne tous les signes de n’être que le premier d’une longue carrière pleine de « hits ». Avant que cette pièce explose, le duo a fait belle figure sur un EP de remixes de Martin Garrix grâce à leur version de sa pièce « Scared to be Lonely ».

Désormais établi à Los Angeles, une ville que Fedyk et DePace louangent comme étant « un « melting pot » de musique et de culture », Loud Luxury s’enthousiasme de pouvoir continuer à créer de la musique tant comme duo qu’avec d’autres collaborateurs. « On croit fermement que la meilleure musique est issue des collaborations les plus inattendues », expliquent-ils. Parmi les artistes qui figurent à la liste des gens avec qui ils aimeraient collaborer, on retrouve Ed Sheeran, PartyNextDoor et Starrah.

D’ici là, Fedyk et DePace se concentrent sur un objectif : « montrer aux gens que nous avons plus d’un tour dans notre sac ». Loud Luxury est prêt à le prouver à ses fans avec deux autres simples qui seront lancés cet été. Comme ils le disent si bien, « ça ne fait que commencer ».



Susie Yankou n’arrivait pas à choisir entre la scénarisation et la musique, alors elle a tout lancé en l’air en se disant qu’elle ferait confiance au destin. Et bien que ce soit le cinéma qui ait poussé la Torontoise à s’installer à Los Angeles, c’est la chanson qui a d’abord pris son envol. Yankou se concentre depuis sur la création musicale sous le nom de scène BARKLEY, mais elle affirme tout de même que « les deux arts feront toujours partie de ma vie ».

Lorsqu’elle écrit des chansons, Yankou raconte ses histoires sous forme de conversations, comme on peut l’entendre sur son plus récent simple, « 3AM », une pièce synth-pop racontant un amour inaccessible. « J’ai toujours vraiment aimé écrire des dialogues », confie-t-elle. Son style honnête et sans fla-fla de narration a porté ses fruits, jusqu’à maintenant, surtout lorsqu’il est combiné à ses compositions accrocheuses et à ses prouesses vocales.

Pendant s’établir à L.A., BARKLEY a eu la chance de peaufiner son art dans le cadre du Kenekt Song Camp de la SOCAN, une expérience, dit-elle, qui a « littéralement changé ma vie ». Elle compare les quelques jours qu’elle y a passés à « écrire des chansons au paradis », et, par-dessus tout, elle y a appris à « se laisser émerveiller par le talent qui m’entoure et à suivre les idées des autres. »

Bien que son propre instinct fasse partie du processus créatif, le temps qu’elle a accordé à la création collaborative a renforcé une leçon apprise lors du camp de création. « Une chanson n’est jamais meilleure que son créateur le plus faible », dit-elle. « J’ai appris à me préparer avec une séance de création, et aussi à ne pas être précieuse au sujet de mes idées. Ma première règle est de laisser la meilleure idée gagner et de mettre de côté mon ego si ce n’est pas mon idée. Si la chanson est géniale, tout le monde gagne. » Aucun doute, BARKLEY est une gagnante.



Fort de ses racines rock et punk, le groupe hip-hop montréalais Ragers marque un tournant dans sa jeune carrière avec Raw Footage, un premier album créé sur mesure pour ses vigoureux spectacles.

Omniprésent sur les trois EPs de la formation à titre de collaborateur invité, le rappeur Billy Eff se joint au guitariste Jake Prévost, au batteur Jay Prévost et au bassiste Phil Marcoux-Gendron comme membre officiel du groupe. À elle seule, cette addition incarne le changement souhaité par le groupe, qui a signé son premier contrat de disques cet hiver avec l’étiquette électronique montréalaise Saboteur Records.

« On voulait un album plus vocal, donc les gars avaient besoin que je sois un peu plus présent, explique Billy Eff. Y’a Jake aussi qui voulait recommencer à écrire des paroles et à chanter, ce qu’il n’avait pas fait depuis très longtemps. Il est venu me voir avec les textes qu’il avait, et je l’ai coaché. »

« Ça a été un beau back and forth créatif avec Billy. On a beaucoup appris l’un de l’autre », poursuit Jake Prévost, qui reprenait le micro pour la première fois depuis la fin de Duke Squad, formation pop rock qu’il menait aux côtés de ses deux autres collègues de Ragers. « En fait, j’avais surtout besoin d’aide pour structurer mes textes, car côté refrains, disons que ça va toujours bien. Notre background se résume pas mal à des hook songs. »

« Moi, c’est justement là-dedans que je suis le moins bon, concède le rappeur. Je viens d’un background punk avec des chansons sans refrain. »

Pour Jake, cette période de réapprentissage n’a pas été de tout repos. « Ça a été fuckin’ difficile. Je me suis mis beaucoup de pression sur les épaules. Je suis un gars assez discret dans la vie, alors je doutais un peu de moi. Est-ce que je vais être capable d’assumer mes textes? Est-ce que je suis encore capable de mettre des mots sur mes émotions? Avec du recul, je sens que j’ai réussi, même si c’est juste un début. »

Sur Alright, bombe house funk créée en collaboration avec Valaire, le chanteur évoque la fin d’une longue relation amoureuse, en inversant les rôles « comme si moi je courais après la fille au lieu du contraire ». À l’aise avec son personnage de rappeur satirique basé sur un pastiche de Pusha T « qui se vante de vendre des truffes plutôt que de la coke », Billy Eff se permet lui aussi des passages introspectifs, notamment sur All I Need où il aborde avec vulnérabilité une tentative de suicide qu’il a commise en 2015. « Ça m’a vraiment sorti de ma zone de confort de rap. J’avais l’impression de retourner vers une formule émotive punk, en phase avec ce que j’écoutais à l’adolescence. »

« J’ai justement l’impression que c’est quand tu te sens pas trop à l’aise avec ce que t’écris que tu touches à quelque chose de fort, poursuit Jake Prévost. Être loin de ma zone de confort, ça m’inspire. »

Sur Fools, les deux auteurs réfléchissent à ces rapports virtuels qui transforment notre personnalité au quotidien. « Il n’y a pas de message à proprement dit, mais il y a une discussion sur la confrontation opposant le realself au virtualself. En gros, mon compte Instagram se résume à des photos de moi avec mes amis DJs, des photos de moi avec des bouteilles de vins naturels… J’ai voulu concilier cette image-là avec la personne que je suis vraiment », explique Billy Eff, qui gagne notamment sa vie en important des bouteilles de vin et en produisant du contenu pour VICE Québec.

Sur cette même chanson, son camarade livre un plaidoyer spontané et sincère, teinté d’une amertume passagère. « J’ai écrit ça à un moment où je sentais beaucoup d’incompréhension face à Ragers. Comme si, en raison de la surabondance de trucs qu’il y a sur le web, les gens ne s’attardaient plus à la qualité de la musique. Nous, on a toujours des projets super bien mixés par des professionnels, on collabore avec certains des meilleurs rappeurs à Montréal… Et pourtant, on ne reçoit pas toujours le crédit qui nous revient! C’est toute cette émotion-là qui se ressent dans mon couplet. »

Révélé sur la scène hip-hop montréalaise en 2015 avec Chapters, un premier EP trap décapant, Ragers a connu une évolution artistique certaine avec ses efforts suivants : le plus modéré Unum et le très ensoleillé Joshua, respectivement parus en 2016 et 2017. Délaissant rapidement les masques scintillants qu’ils arboraient fièrement à leurs débuts, les trois membres originaux ont dû redoubler d’efforts pour développer un public qui avait parfois un peu de mal à les suivre en raison de leur nouvelle image et de leurs constants changements de style.

« La bataille depuis le tout premier jour, c’est de faire comprendre aux gens qui est Ragers. Jusqu’à tout récemment, on s’est encore fait demander si on portait nos masques, alors qu’on a arrêté de les porter il y a plus de deux ans, déplore Jake Prévost. Mais bon, peu à peu, j’ai l’impression que les gens catchent notre proposition, même s’il y a encore de la job à faire. Les deux frontmen vont nous aider, c’est sûr, et l’album est une bonne carte de visite pour montrer à tout le monde où on est rendus »

Beaucoup plus varié dans ses tons et ses influences, ce quatrième projet a été une fois de plus guidé par la complicité entre les trois musiciens natifs de Saint-Hubert, qui évoluent ensemble depuis plus de 10 ans. Pour le batteur Jay Prévost, le résultat témoigne d’une fusion instinctive : « C’est un album très diversifié, mais on n’a pas cherché à ce qu’il soit comme ça. Y’a des vagues dance et d’autres très smooth, ce qui convient parfaitement à un pacing de spectacle. »

«En fait, c’est très différent de Joshua, qu’on avait enregistré à L.A., ajoute Jake. C’est un album qui s’écoutait bien en road trip, mais qui était difficile à faire en show. Raw Footage est davantage à l’image de notre itinéraire qui a beaucoup bougé, entre Paris, L.A. et Montréal. »

Bref, cet album représente à la perfection le parcours d’un groupe qui a toujours su habilement profiter de ses contacts à l’international, notamment de l’appui des Californiens d’adoption James Di Salvio (leader de Bran Van 3000) et Jean-Michel Lapointe (propriétaire du studio Owl Foot Ranch à Los Angeles et ex-Couch Potatoes), sans oublier le soutien de l’ingénieur parisien Vincent Hervineau et du mixeur montréalais Seb Ruban, qui ont tous deux mis la main à la pâte de Raw Footage.

« Oui, l’outil premier, c’est l’internet, car c’est ça qui fait voyager ta musique, mais il n’y a rien comme aller toi-même rencontrer des gens, serrer des mains et présenter ton projet, observe Jake Prévost. Le bouche-à-oreille est encore très efficace. »