C’est le début d’août, en pleine canicule. Toute l’industrie musicale montréalaise est en lendemain de veille. La cause : Osheaga. Qu’à cela ne tienne, tout le gratin est réuni au O Patro Vys pour un showcase spécial. Sa vedette : l’auteure-compositrice et interprète Gabrielle Shonk.

La chanteuse avait convié amis, collègues et connaissances afin de remplir cette salle qui aurait été un peu vide autrement. Partout, un sujet de discussion : à quel point le monde est désormais aux pieds de mademoiselle Shonk.

Il n’aura fallu qu’une seule chanson. Mais quelle chanson !

Si certains se souviennent de la jolie demoiselle de Québec lors de son court passage à La Voix (notamment avec son interprétation fragile et honnête de Sang d’encre de Jean Leloup), les habitués des bars de Québec, eux, la reconnaîtront sûrement puisque la chanteuse et auteure-compositrice roule sa bosse dans les bars depuis au moins une dizaine d’années. Les aficionados d’électro l’auront également entendue sur le premier album de Men I Trust, formation électro de la ville de Québec dont les membres gravitent dans les mêmes sphères que Shonk.

Habit, cette première chanson originale de Gabrielle Shonk, a été lancée sur les différentes plateformes numériques à la fin mai 2016. Cette grandiose ballade pleine de soul et de fiel à l’égard d’un mec qui a de bien mauvaises habitudes, s’est révélée, tout compte fait, toute une carte de visite pour l’auteure-compositrice.

Quelques semaines plus tard, Buzzfeed incluait la chanson dans une liste de pièces « dont vous avez besoin dans votre vie ». Noisey, la contrepartie musicale de Vice, qualifiait sa voix de « too big for small towns ». S’ensuivent, on s’en doutera bien, des offres de partout. À commencer par des courriels de Roc Nation, compagnie de production et de management de Jay-Z, entre autres, suscitant la surprise auprès de celle qui les recevait. Les autres, on les passera sous silence, afin de ne pas nuire aux discussions entre les différentes parties, vous comprendrez bien !

Quoi qu’il en soit, l’album sur lequel Habit paraîtra était censé voir le jour en septembre, un album bilingue et autofinancé sur lequel la chanteuse a planché avec ses amis musiciens pendant deux ans. Ce plan est désormais sur la glace, afin de permettre à Shonk et à son management d’étudier la multitude d’offres qui leur ont été proposées au fil des dernières semaines.

Peu importe les décisions qui seront prises, gageons que l’étoile de Gabrielle Shonk continuera de briller, et ce, de plus en plus fort.



Même s’il fait généralement consensus que BadBadNotGood est un groupe jazz/rap, il est beaucoup plus difficile à catégoriser qu’il n’y paraît : BBNG est un de ces rares groupes qui est réellement impossibles de catégoriser aisément.

En fait, de l’aveu même du bassiste du groupe torontois, Chester Hansen, les membres eux-mêmes ne savent pas exactement comment définir leurs propres créations musicales. « À un certain moment, l’étiquette jazz/rap était une bonne description de ce que nous faisons, mais maintenant nos influences sont tellement différentes », explique-t-il. « Nous avons toujours les mêmes influences qu’à cette époque, mais nous avons ajouté une tonne de trucs qui nous avons découverts depuis. »

Cela saute aux oreilles sur l’album IV paru en 2016, leur premier album où leur collaborateur de longue date, le saxophoniste et multi-instrumentiste Leland Whitty, figure comme membre officiel et à plein temps du groupe. Même si Whitty a fréquemment enregistré et tourné avec le groupe avant la création de IV, BBNG était jusqu’alors un trio composé de Hansen, du claviériste Matthew Tavares et du batteur Alexander Sowinski.

« Ça fait des années que nous jouons avec Leland, et toutes les fois que nous pouvions l’inviter dans un de nos spectacles, que ce soit à Montréal, Ottawa, ou ailleurs, nous l’invitions », raconte Hansen. « Mais depuis les 18 derniers mois, il est toujours là. »

Les membres du groupe, incluant Whitty, se sont rencontrés alors qu’ils étudiaient le jazz au Humber College et ont décidé de former un groupe en 2010. Leur premier spectacle consistait en un « mash up » de pièces rap interprétées à la sauce jazz pour une prestation devant jury de Sowinski. Les membres de ce jury nommés par le collège ont immédiatement déclaré que cette prestation n’avait aucune valeur musicale.

À la lumière du succès d’estime et du succès populaire du groupe depuis, ce jugement est, dans le meilleur des cas, particulièrement myope et, dans le pire des cas, complètement erroné.

« Chaque fois que vous ajoutez une personne, cela apporte une nouvelle dimension, un nouvel ensemble d’opinion, et plus d’idées musicales. » — Chester Hansen, BadBadNotGood

BBNG a connu énormément de succès depuis ses débuts, tant sur scène qu’en studio, et ils ont collaboré avec de nombreux artistes, dont notamment Ghostface Killah sur l’album Sour Soul paru en 2015. Sur IV, lancé en juillet 2016, la liste des collaborateurs inclut Sam Herring de Future Islands, le saxophoniste Colin Stetson, l’artiste hip-hop Mick Jenkins, le finaliste à la courte liste du prix Polaris, Kaytranada, ainsi que l’auteure-compositrice Charlotte Day Wilson.

Les collaborations, tant au sein même du groupe qu’avec d’autres artistes, ont eu un impact indéniable sur le processus de création et d’enregistrement de BBNG. « Nous collaborons quotidiennement », explique Chester Hansen. « On est un groupe de quatre musiciens, mais les idées que nous avons ne sont pas nécessairement les mêmes lorsque nous sommes deux ou trois. Chaque fois que vous ajoutez une personne, cela apporte une nouvelle dimension, un nouvel ensemble d’opinions, et plus d’idées musicales, surtout lorsque ces collaborateurs sont eux-mêmes des artistes accomplis qui ont leur propre répertoire. »

D’abord encensé pour ses reprises jazz de pièces hip-hop, BBNG écrit et enregistre désormais ses propres pièces.

« On écrivait très peu à nos débuts », poursuit Hansen. « Les “covers” étaient une façon amusante et rapide de commencer à jouer ensemble, et lorsqu’est venu le temps de créer notre propre musique, cela nous a servi. C’est réellement une progression naturelle d’être des musiciens qui jouent ensemble. C’était la prochaine étape après celle de monter sur scène, retourner en studio ensemble et créer de la nouvelle musique tous les jours. Et chaque jour, nous en apprenons un peu plus sur notre façon de composer. »

Leur processus de création et d’enregistrement était et est toujours très ouvert. « Neuf fois sur dix, nous sommes tous dans la même pièce, mais avec un instrument différent à chaque fois », explique le bassiste. « C’est comme ça qu’on trouve nos idées, mais ça n’est jamais pareil d’une fois à l’autre. Nous n’avons pas de formule. »

Avec Whitty à bord comme membre à part entière, BBNG a grandement élargi sa palette instrumentale. « Il y a beaucoup d’instruments — les vents et les cordes — dont les autres gars ne jouent pas, ce qui laissait une grande place aux arrangements », explique Leland Whitty au téléphone depuis l’aéroport Pearson de Toronto alors que le groupe est sur le point de s’envoler vers le Japon pour une prestation au Summer Sonic Festival d’Osaka.

En plus des nouveaux instruments et de leur amour des collaborations, l’évolution même du groupe fait fi des distinctions de genres et démontre un appétit de plus en plus dévorant pour l’intégration d’une variété de styles musicaux dans leur musique. Il en résulte ainsi un amalgame de soul, de jazz, de hip-hop avec des éléments électroniques qui, malgré le vaste spectre de leurs origines, donne une voix unique au groupe.

Tant sur scène qu’en studio, ils ne cherchent pas la perfection?; ils cherchent plutôt à saisir le moment, ce qui veut également dire saisir leurs différentes personnalités. « Nous adorons nous amuser et créer de la musique et chacun de nous sait jouer plusieurs instruments », explique Hansen. « Nous cherchons à créer une émotion, une vibe, et la meilleure prise est parfois celle qui contient une erreur vraiment flagrante qui irrite l’un d’entre nous, mais les autres lui disent “Come on, c’est excellent?! ” »

Il leur est désormais plus facile de capter ce genre de moment sur disque, car tous les collaborateurs qui ont participé à l’enregistrement de IV se sont rendus dans le studio de BBNG (un espace qu’ils ont repris des Cowboy Junkies). C’est de plus en plus rare de nos jours, puisqu’il est bien plus simple de transférer des fichiers que de se déplacer, même si rien ne vaut jouer ensemble, face à face.

« Tous les gens qui ont collaboré à cet album sont des gens avec qui on s’entend bien, des amis, alors travailler avec eux était naturellement extraordinaire », confie le musicien. « Nous avons rencontré la majorité des collaborateurs sur cet album dans des spectacles ou des festivals et nous avons appris à les connaître, c’est vraiment cool. »

BBNG a certes quelques détracteurs qui disent que le groupe ne correspond pas à la vraie définition du jazz ou du hip-hop ou de toute autre boîte stylistique dans laquelle ils voudraient le placer. Mais de toute façon, le jazz n’a jamais été un genre que l’on peut placer avec certitude dans une quelconque boîte. Quoi qu’il en soit, les membres de BBNG n’ont rien à faire des catégories. Ils font ce qu’ils ont envie de faire, peu importe votre définition de ce qu’est le jazz.

Pour eux, leur approche n’est qu’une parmi tant d’autres pour faire évoluer cette forme de musique.



Il est assez facile de comprendre pourquoi A Tribe Called Red a mis deux ans à réaliser leur troisième album, We Are The Halluci Nation, qui paraîtra le 16 septembre. Le trio ottavien de producteurs/DJs a été salué partout à travers le monde et récompensé d’un prix JUNO pour son mélange créatif d’EDM et d’éléments de musique des Premières nations, et sur ce troisième album, ils ont décidé de passer au niveau supérieur.

Le groupe a donc assemblé une importante cohorte d’impressionnants collaborateurs pour ce projet, puis a créé et enregistré ses chansons un peu partout sur la planète. Comme l’explique Tim Hill (alias 2oolman), la clé du projet était de collaborer créativement avec d’autres musiciens, chanteurs et paroliers.

« Nous voulions créer un album concept. C’était le plan depuis le début et tout a commencé par notre collaboration avec [l’auteure-compositrice-interprète torontoise] Lido Pimienta », raconte-t-il. « Notre première chanson pour cet album, “The Light”, a été créée il y a environ deux ans. Elle a beaucoup contribué à donner le ton pour cet album et c’est à ce moment que nous avons décidé d’en faire un projet collaboratif. Nous nous sommes assis et avons écrit avec Lido et son “band” pendant deux jours. »

« Nous serons toujours un groupe autochtone et nous en somme fiers. Reste néanmoins que nous voulions évoluer et gagner en maturité. » — Tim Hill, alias 2oolman, A Tribe Called Red

Ce sont donc des contacts personnels et directs qui ont sous-tendu plusieurs des collaborations sur cet album. « Une bonne part de ce projet s’articulait autour du travail d’équipe en studio », poursuit-il, « tandis que la majorité des pièces sur nos albums précédents étaient créées à partir d’échantillonnages de chants a cappella et de pistes musicales. Pouvoir bénéficier de la présence en studio de l’artiste plutôt que de recevoir ces pistes par courriel a été génial. »

La liste des collaborateurs sur We Are The Halluci Nation est tout aussi impressionnante que diversifiée du point de vue des styles musicaux. Outre Pimienta, on y retrouve Shad, Tanya Tagaq, Black Bear, Yasiin Bey (alias le rappeur et acteur Mos Def) et Narcy, Saul Williams, John Trudell, l’auteur autochtone primé Joseph Boyden ainsi qu’OKA.

Une des pièces pour lesquelles les échanges électroniques de fichiers ont été nécessaires est « Sila », mettant en vedette l’exploratrice musicale autochtone Tanya Tagaq. « Nous avons toujours voulu travailler avec Tanya et elle est une fan de notre travail », raconte Hill. « Nous lui avons envoyé des “beats” et elle a enregistré ses trucs, mais lorsqu’elle nous a retourné les fichiers, nous avons tenté de travailler avec ce qu’elle nous avait envoyé, mais ça ne cadrait pas tout à fait avec le son de l’album. Nous l’avons donc retravaillée et rendue un peu plus sombre?; on voulait que ça sonne comme un dialogue entre elle et nous, et je crois qu’on a réussi. C’est une de nos chansons préférées sur l’album. »

Un des catalyseurs créatifs de ce nouvel album a été le célèbre poète, activiste et musicien autochtone John Trudell. « Nous avons donné un spectacle à Santa Fe, et John nous a présentés en disant de très belles choses à notre sujet avant que nous montions sur scène », se souvient Tim Hill. « C’était fou, pour nous, car nous l’admirons profondément. Il a suggéré que nous collaborions sans même savoir que nous avons une liste des gens avec qui nous désirons collaborer et qu’il en faisait partie?! Notre super héros nous demandait à nous de collaborer avec lui?! »

Trudell s’est rendu dans un studio de San Francisco pour y enregistrer un poème que le groupe pourrait utiliser. « Ensuite, il nous a écrit pour nous dire “j’ai inclus un autre poème pour vous” », raconte encore Hill. « Il s’agissait de “We Are The Halluci Nation”. Lorsque nous l’avons entendu, on s’est regardé et on s’est dit, “On tient quelque chose”. Ce poème a permis aux idées que l’on avait pour cet album de prendre toute leur ampleur. »

A Tribe Called Red a rendu visite à un John Trudell désormais malade, et l’homme est mort en décembre dernier alors que le groupe était en tournée en Australie. « Pour nous, c’est tout simplement incroyable que notre héros ait pu nous transmettre autant de connaissances et de sagesse », dit humblement Hill. « Nous sommes heureux de pouvoir partager sa vision avec le reste du monde. »

Tim Hill décrit la pièce titre de l’album comme le reflet du son concept. « À la base, c’est un album au sujet de gens qui partagent des idées et qui désirent du changement, alors ils se regroupent en tant que nation, sans affiliations culturelles. Nous voulons que tous les humains ne fassent qu’un. »

Et comme pour renforcer cette idée, l’album a été créé sur plusieurs continents. « Nous avons créé la première partie de “R.E.D.” [la pièce mettant en vedette Bey et Narcy] dans une chambre d’hôtel en France, nous avons continué à la travailler dans un chalet de pêche dans le nord de la Norvège, puis à L.A., Montréal, Ottawa, Toronto, San Francisco, New York et en Australie », explique Hill.

« Lorsque nous étions dans tous ces endroits différents, ce n’est pas que nous avions une quelconque obligation de livrer l’album, c’est simplement que nous voulions créer de la musique parce qu’il y avait tant de sources d’inspiration tout autour de nous. Quand nous nous sentions inspirés, on sortait notre matos et on se mettait au travail. J’espère vraiment que les gens sentiront l’influence du monde sur cet album. »

Tous ces voyages d’un bout à l’autre de monde ont eu un réel impact sur le groupe, poursuit Tim Hill. « Nous serons toujours un groupe autochtone et nous en somme fiers », dit-il. « Reste néanmoins que nous voulions évoluer et gagner en maturité, et cela nous a été possible grâce à nos tournées et nos rencontres avec tous ces gens de partout à travers le monde, toutes ces cultures autochtones que nous avons eu la chance de découvrir. »