« J’ai plus le syndrome de l’imposteur », lance l’auteure-compositrice et interprète fransaskoise Alexis Normand, au tout début de la chanson Mauvais sort, premier simple de son second album homonyme, paru en novembre dernier.

Des mots qui lui vont comme un gant, et ce, même s’ils ne proviennent pas de sa plume ! Ce sont ceux de Daniel Beaumont (Louis-Jean Cormier, Tricot Machine) qui signe également trois autres textes sur cette belle surprise d’album, une toute nouvelle avenue de création que Normand n’avait pas explorée à ce jour : « J’avais le goût de vivre la création de chanson différemment, j’ai donc demandé à Marc Pérusse (son réalisateur) de me suggérer quelques noms », explique la Fransaskoise.

Elle élabore : « Le premier sur sa liste, c’était Daniel Beaumont. On s’est rencontrés dans un café à Montréal pour mieux se connaître, voir si ça pourrait jiver, avant de travailler ensemble. J’ai découvert une très grande sensibilité chez lui, une ouverture et un amour pour la collaboration fondée sur le plaisir de créer, tout simplement. Comme je suis basée à Saskatoon et lui, à Montréal, la suite a dû se passer via Internet. »

« Quand j’ai reçu le premier texte, composé pour ma musique, j’avais l’impression que Daniel avait volé des mots qui m’habitaient l’âme et le cœur : avec la toune Johnny Cash en particulier, qui figure parmi mes préférées de l’album, » affirme celle qui a compté sur l’aide de Mélanie Noël et de Mathieu Lippé pour deux autres pièces.

« Ça prend un village », peut-on lire comme toute première phrase dans les remerciements de son album. On comprendra ici la référence à l’expression It takes a village, signifiant que Normand a bénéficié de l’aide de quelques bons samaritains qui se sont trouvés sur son passage lors de la création de l’opus. « La communauté fransaskoise m’a vue grandir sur scène… avant même que je sois prête à m’assumer comme artiste, affirme-t-elle. D’ailleurs, c’est le Conseil culturel fransaskois qui m’a donné mes premiers ateliers d’écriture de chanson, de montage de spectacle et de travail en studio. C’est ce qui m’a donné goût à la chanson francophone et qui m’a permis de comprendre qu’une carrière en français dans l’Ouest est possible. »

En spectacle, ces belles collaborations se déploient en duo, avec Marc Ferland-Papillon qui l’accompagne en homme-orchestre. C’est d’ailleurs l’auteure-compositrice et femme aux multiples chapeaux Gaële qui signe la direction artistique de ce spectacle qui sera présenté premièrement à ses fans de l’Ouest à l’hiver 2017, puis l’été prochain en festival un peu partout : « Gaële une artiste qui comprend comment on pourrait se sentir comme un outsider au Québec – un complexe qu’elle m’a aidé à surpasser. J’ai demandé à Gaële de m’aider à créer un show intime, je voulais donner un feel authentique au show, comme si j’invitais le public à me rencontrer dans mon salon en Saskatchewan », conclut la chanteuse.

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Les premiers sons qui sortent de l’appareil téléphonique sont les cris turbulents d’enfants jouant dans le bain, empêchant presque totalement d’entendre la voix un peu surprise de Martha Wainwright. « Oh ! mon dieu. Attends une seconde. Dans le bain, les petits… »

Nous l’avons jointe à sa maison de Montréal alors qu’elle tente de mettre ses deux jeunes garçons de 2 et 6 ans (« presque trois et sept ») dans le bain puis au lit. Il semble qu’elle ait oublié notre rendez-vous téléphonique de 19 h, et elle tente tant bien que mal de donner quelques instructions à la personne qui est là pour l’aider : « Celui-là a déjà brossé ses dents… Combien de temps va durer notre entrevue, monsieur ? » Ce n’est de toute évidence pas un bon moment pour discuter, alors elle me propose de me rappeler dans environ une heure, une fois les enfants couchés.

Pour Martha Wainwright, tout a toujours été une question de famille, avec tout ce que cela implique de chaos et de liens tissés serré. La musique est au cœur de sa famille. Elle est, on le sait sans doute tous, la fille de la regrettée légende du folk, Kate McGarrigle, et de l’auteur-compositeur-interprète américain Loudon Wainwright III, qui s’est divorcé de son épouse l’année ou Martha est née. Après avoir commencé comme choriste dans l’ombre de son frère aîné, Rufus Wainwright, elle a commencé à prendre l’avant-scène à la fin des années 90 en lançant quelques EP très bien accueillis. Son premier album éponyme, lancé en 2005, a été un succès commercial et critique retentissant, et ses parutions subséquentes ont consolidé sa réputation d’auteure-compositrice de talent et de bête de scène captivante.

« J’ai un peu l’impression que c’est une nouvelle ère, le début de quelque chose de nouveau. »

Son plus récent album, Goodnight City, est paru en novembre 2016. C’est son sixième album et son premier en solo depuis Come Home to Mama en 2012. La moitié des chansons sont ses propres compositions, tandis que l’autre moitié lui a été offerte pas des amis tels que Beth Orton, Glen Hansard, Merrill Garbus de tUnE-yArDs, son frère Rufus et l’auteur et poète Michael Ondaatje. On y retrouve également des contributions de sa tante Anna McGarrigle et de sa cousine Lily Lanken.

L’album débute par un trio de chansons qui sont parmi ses plus captivantes à ce jour, en commençant par « Around the Bend » (« I used to do a lot of blow/Now I only do the show », librement : avant je faisais beaucoup de poudre/maintenant je me contente de monter sur scène), suivie de « Francis », au sujet de son plus jeune fils, Francis Valentine, et « Traveller », un hommage touchant à un ami mort du cancer à l’âge de 40 ans.

Après la parution de Come Home to Mama et la naissance de fils #2, Wainwright a consacré les quelques années qui ont suivi à « une vie domestique vécue à fond ». Lorsque le moment est venu de préparer un nouvel album, elle ne savait pas si elle avait assez de matériel, alors elle a eu l’idée de demander à ses amis et à sa famille de lui proposer des chansons qu’elle pourrait interpréter. Mais une fois la balle en mouvement, elle a également trouvé l’inspiration pour en écrire d’autres de son cru. « Je manque de discipline », explique-t-elle après m’avoir rappelé, les enfants étant finalement au lit. « Souvent, c’est une chose qui me submerge.

J’ai réalisé que ce serait un disque à propos de deux choses », poursuit-elle, « parce que je ne voulais pas abandonner mes chansons, mais cela me permettait de choisir parmi les chansons qu’on m’offrait celles qui avaient un véritable lien avec ma vie, d’une manière ou d’une autre. »

Martha WainwrightCette dualité se reflète également dans la photo qu’elle a choisi pour la couverture de Goodbye City où on voit deux images de son visage superposées qui donnent l’impression qu’elle regarde dans deux directions à la fois.

« Oui, confirme-t-elle, le regard tourné vers l’avenir et le passé en même temps. Le concept de dire au revoir à quelque chose est présent, comme l’indique le titre, mais en même temps, ce n’est pas vraiment fini. »

Une des choses qu’elle tente de laisser derrière elle, c’est le deuil de sa mère, morte d’un cancer à l’âge de 63 ans en 2010. Ce genre de blessure guérit lentement, bien qu’elle ne guérisse jamais entièrement. Mais guérison il y a néanmoins.

« Pour la première fois, je commence à accepter la mémoire de ma mère et de sa mort », confie-t-elle. « Je ne suis plus aussi traumatisée ou blessée que je l’étais, et j’ai un peu l’impression que c’est une nouvelle ère, le début de quelque chose de nouveau. »

Martha Wainwright a eu 40 ans cette année et elle a également commencé à écrire ses mémoires, Stories I Might Regret Telling You (Histoires que je vais peut-être regretter de vous avoir racontées), une œuvre qu’elle a presque terminée.

« Ce que j’apprends de ce processus d’écriture c’est que je crois qu’une page va se tourner, sans mauvais jeu de mots. Il en va de même pour ce disque, et du fait de sortir de l’ombre de mes parents et de mon frère, et de me débarrasser de certaines de mes insécurités. Je me sens comme si c’était le thème principal des vingt dernières années de ma vie et je suis prête à passer à autre chose. »

Ses deux enfants bien blottis dans les bras de Morphée, Martha Wainwright se permet enfin un regard d’adieu à son passé tandis qu’elle est à l’aube de nouveaux lendemains.

« Ce disque est beaucoup plus joyeux que la plupart de mes albums précédents », affirme-t-elle. « Je crois que je suis une artiste plus accomplie, peut-être parce que je commence la quarantaine ou parce que je commence un nouveau chapitre de ma vie. J’ai assurément l’impression que le meilleur reste à venir. »



C’est dans sa ville natale de Mont-Laurier, une bourgade d’environ 15 000 âmes des Laurentides, au nord de Montréal, que l’auteur-compositeur-interprète Bobby Bazini — né Bazinet — a passé l’été 2007 dont une seule semaine a, dit-il, changé sa vie.

C’est une région idyllique que l’on a décrite comme un endroit où « une muse veille en silence sur un vallon forestier et y attire artistes et auteurs en quête d’inspiration ». Cette époque et ce lieu, il se les remémore avec nostalgie sur la pièce titre de son plus récent album, Summer is Gone. Ce disque est un pas mesuré vers le futur de Bazini en tant que créateur et artiste aux ambitions mondiales, mais il prend également le temps de poser un regard sur ses racines dans cette petite ville.

Cet été-là, Bazini avait 18 ans. Il avait joué devant la station de radio locale, CFLO-FM, au grand plaisir des gens qui étaient en ville pour le Festival international de théâtre de Mont-Laurier, et il s’était lié d’amitié avec Hugo Sabourin, un employé de la station qui s’était présenté, un de ces quatre, avec une batterie et lui avait offert de « jammer ». Dans la même semaine, il a non seulement rencontré l’auteure-compositrice-interprète Odessa Page, son amoureuse avec qui il est toujours 9 ans plus tard, mais il a également commencé à collaborer professionnellement avec Sabourin, et, ensemble, ils ont créé la chanson « Turn Me On ». Cette chanson est devenue sa carte de visite pour une entente de représentation à Montréal, ce qui a donné le coup d’envoi à sa carrière.

C’est avec le lancement de son simple « I Wonder », en 2009, tiré de son premier album, Better in Time, certifié Platine, que le monde de la musique a officiellement fait la connaissance de Bobby Bazini. Il s’agit d’un artiste qui aime l’authenticité au chapitre de l’instrumentation ; il n’utilise pas d’ordinateurs ou de synthétiseurs. Il s’inspire également des plus grands — Otis Redding, Marvin Gaye et Johnny Cash —, mais il a su trouver son propre style bien contemporain et sa propre voix. Et dans cette voix, on entend clairement sa profonde admiration pour les chanteurs légendaires de la musique typique du sud des États-Unis.

« J’ai créé les deux premiers albums par moi-même et j’ai ressenti le besoin d’essayer autre chose avec le troisième. »


Entre son premier album et le second, Where I Belong, une dispute entre lui et son ex-agent l’a empêché d’endisquer pendant un certain temps. Ce fut une expérience particulièrement frustrante. Une fois la poussière retombée, il a été mis sous contrat par Universal Music et il est parti pour Los Angeles afin d’enregistrer au légendaire studio Village Recorder, où sont passées d’innombrables icônes de la musique contemporaine, avec le réalisateur Larry Klein (Joni Mitchell, Herbie Hancock) à la barre. Parmi les musiciens qui ont collaboré à cet album, on retrouve Booker T (orgue), Jack Ashford (percussions) et Jay Bellerose (batterie).

Where I Belong a été un immense succès. L’album a atteint le sommet du palmarès canadien des albums en juin 2014, et cette année-là, Bazini a été le seul artiste canadien à vendre plus de 100 000 unités. Il a également passé beaucoup de temps sur la route, jouant devant des foules records, dont notamment un concert gratuit dans le cadre du Festival international de Jazz de Montréal devant près de 60 000 personnes.

Alors qu’il contemplait l’écriture de Summer is Gone, il a réalisé que le temps était venu d’essayer une nouvelle approche. « J’ai créé les deux premiers albums par moi-même et j’ai ressenti le besoin d’essayer autre chose avec le troisième », raconte-t-il. « J’avais besoin de sortir de ma zone de confort. Je me suis rendu à Nashville, puis à L.A., puis à Londres, et c’est là que j’ai trouvé la direction de mon album. »

« Je me suis éclaté à Nashville, mais ce que j’y ai enregistré ressemblait trop à l’album précédent », poursuit Bazini au sujet de son travail en compagnie du réalisateur, auteur-compositeur et musicien Brendan Benson (The Raconteurs). « Je voulais quelque chose de légèrement différent, mais je ne voulais pas pour autant changer drastiquement de son. Je crois que c’est une transition tout en douceur. On y retrouve un juste équilibre entre des chansons comme “Leonard Cohen” ou “Summer Is Gone”, qui sont légèrement différentes, et d’autres comme “Where the Sun Shines”, où on reconnaît bien Bobby Bazini. Je trouvais important de trouver cet équilibre. »

Dans la foulée du récent départ de Leonard Cohen vers l’au-delà, l’on se demande si Bobby Bazini ne serait pas un peu devin, vu la chanson qui porte le nom du poète et qu’il a créée en compagnie d’Angelo Petraglia (Kings of Leon), à Nashville. « Coïncidence », lance-t-il en riant. Les paroles « She loves me like a Leonard Cohen song » (Elle m’aime comme une chanson de Leonard Cohen) vous donnent une idée de sa teneur.

« Ma première séance d’enregistrement au Royaume-Uni était avec Jake Gosling [Ed Sheeran], qui travaille dans le Surrey », raconte Bazini. « Nous nous sommes assis et on a écrit “Blood Is Thicker Than Water”, et je me souviens qu’en rentrant à l’hôtel, je l’ai joué à ma blonde et je lui ai dit que je croyais avoir trouvé la direction de mon album. C’est exactement ce que j’avais en tête, un feeling un peu plus soul avec une touche de rock — quelque chose d’un peu plus contemporain. J’ai écrit quatre chansons avec Jake, mais seulement deux se sont retrouvées sur l’album, et “Bird Has Flown” figure sur la version “de luxe” de l’album. »

« C’est drôle, mais tous mes albums soul préférés sont américains. Ces derniers temps, la musique que je préfère écouter vient surtout de Londres, des artistes comme James Morrison. J’aime aussi le premier album de James Bay. Avant, on me comparait souvent à Paolo Nutini, mais on me le dit de moins en moins. J’ai eu la chance de collaborer avec certains des auteurs qui ont travaillé sur son premier album, dont Jimmy Hogarth [Amy Winehouse, James Morrison, James Bay], qui a écrit quelques chansons avec Paolo et coréalisé le premier album de James Morrison. »

La principale motivation de Bazini de vouloir enregistrer à Londres était de pouvoir travailler avec le réalisateur « Grammyfié » Martin Terefe (James Blunt, Jason Mraz, Ron Sexsmith) qui a, lui aussi, travaillé avec James Morrison au début des années 2000. D’ailleurs, l’album Undiscovered de Morrison, paru en 2006, était le préféré de Bazini à l’époque.

« Je ne savais pas si Martin allait réaliser mon album, mais je tenais à travailler avec lui », dit le jeune artiste. « Je savais qu’il est également auteur-compositeur. Nous avons donc planifié une séance de création de trois semaines à Londres, et chacune de nos sessions était épatante. Toutes les chansons que j’ai écrites avec tous mes collaborateurs n’étaient pas nécessairement bonnes pour un album, mais la plupart l’étaient. Je me souviens à quel point j’étais excité quand je suis rentré de Londres avec toutes ces chansons ! J’avais tellement hâte que les gens les entendent. »

Mais une fois arrivé chez lui, Bazini a décidé qu’il devait se rendre à Londres une dernière fois. « On avait une trentaine de chansons, mais j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose », explique-t-il. « Je suis revenu avec “C’est la vie”, le premier extrait de l’album que j’ai créé avec Martin Terefe. Mes agents et ma maison de disques étaient très emballés par cette chanson. Lorsque j’ai entendu la réalisation de Martin pour la première fois, j’ai compris que non seulement l’album était complet, mais qu’elle en serait le premier extrait. J’adore cette chanson, car elle est simple et son message est positif. On y retrouve une progression légèrement blues, mais elle a une sonorité contemporaine, et c’est ce que je recherchais. »

En studio, Bazini avoue que Terefe l’a poussé à aller plus loin, non seulement avec sa voix, mais en tant que musicien également. « Martin est un réalisateur très créatif, j’ai adoré travailler avec lui », raconte le chanteur. « J’ai l’habitude de jouer la guitare acoustique sur les albums, mais Martin n’avait pas engagé de guitariste. Il a suggéré que ce soit moi qui m’en charge, ce qui était nouveau pour moi. C’est moi qui joue la guitare sur toutes les pièces et j’ai également joué mon premier solo de guitare. C’était chouette et vraiment fantastique d’avoir autant de soutien de la part du réalisateur. La guitare joue un rôle important dans mon son. Je compose à la guitare et le fait que ce soit moi qui joue contribue à ce son. C’est exactement ce que les gens entendront quand ils viendront me voir en spectacle. »

« Même moi j’ai parfois peur d’essayer de nouvelles choses. On ne sait jamais où ça ira. On veut que les gens nous suivent. Je sais que la réaction au premier extrait, “C’est la vie”, a été excellente, mais certaines personnes ont trouvé que c’était différent. On a envie d’aller plus loin, mais certains de nos fans préfèrent que nous restions là où nous sommes. Il leur faut un peu plus de temps pour s’habituer au changement. »