Pièce par pièce, Ariane Moffatt et Étienne Dupuis-Cloutier alias D R M S décryptent leur premier album confectionné à quatre mains.
À voir, à gauche : l’entrevue qu’Ariane Moffatt et Étienne Dupuis-Cloutier ont accordée à notre rédacteur Eric Parazelli en lien avec les impacts de la crise de la COVID-19.
Elle, on la connaît depuis un bail. Ariane Moffatt vieillit comme à rebours, cachant jalousement sa source à la fontaine de Jouvence. Lui, Étienne Dupuis-Cloutier, est un héros de l’ombre de la pop qui penche un peu à gauche. Producteur en vue, il a emmitouflé les voix Fanny Bloom, Dumas, Cœur de pirate et Eli Rose de ses instrumentations luxuriantes et fraîches.
Ensemble, portés par ce véhicule en covoiturage qu’est SOMMM, Ariane et Étienne créent une électro pop vitaminée qui flirte avec le rap, le trap et même le jazz. Une musique printanière, résolument dans l’air du temps, qui sort à point nommé pour rapiécer les cœurs meurtris. Pour Paroles & Musique, le duo passe ses huit chansons au peigne fin.
Le ciel s’est renversé
Avec son introduction un peu surnaturelle et sa basse prenante, la piste 1 fait le pont entre l’univers d’Ariane en temps normal et ce vers quoi SOMMM tend sur les sept autres chansons. C’est une entrée en matière poétique, onirique. Rosie Valland se greffe tout naturellement à ce morceau ouvertement inspiré de Never Again, titre récent de la sirène suédoise Robyn.
« Quand Ariane m’a dit qu’elle pensait à Rosie, elle venait juste de sortir le single Blue et j’étais vraiment fan, confie Étienne. J’aime vraiment ce qu’elle fait, j’aime sa voix, sa démarche artistique aussi. Rapidement, on a connecté avec elle. En ayant un timbre en tête, ça m’a donné des idées même sur le plan de la mélodie. »
Aimant
De par son crescendo à saveur house qui mène jusqu’au refrain, Aimant s’impose comme la première chanson réellement dansante de l’effort. Une esthétique nu disco qui attire Ariane depuis la sortie de Debout, un style qui a aussi teinté les réarrangements de sa tournée pour Petites mains précieuses. Avec Dupuis-Cloutier, l’autrice-compositrice embrasse ce genre-là sans retenue :
« Pour ce projet-là, c’était comme ‘’let’s go! on s’en va en studio et on fait de la pop actuelle’’. Je ne suis pas dans un concept esthétique, j’essaie d’être dans l’exercice d’écriture d’une pop de maintenant. J’aurai goûté à ça en faisant SOMMM et c’est un bon défi parce que c’est pas plus facile que d’écrire une chanson-fleuve full emo. »
Sunshine
Sur celle-là, les compositeurs tendent une perche à Ruffsound, l’homme derrière les portions rythmiques et instrumentales des gros brûlots du rappeur Loud. Ils ont également travaillé avec Mike de Clay and Friends pour rendre le simple encore plus addictif et hop la-vie qu’il ne l’était déjà. C’est un hymne à la joie conçu pour être écouté les vitres baissées en voiture un après-midi d’été, les maillots et un ballon gonflable dans le coffre.
Or, dévoile Étienne, « ça ne s’est pas fait en une journée ! » Ce morceau tellement fluide, léger et facile à aimer découle en fait d’un processus de création assez laborieux. « Il y a une centaine de pistes qui ont été envoyées au mix. C’est énorme, il y a beaucoup de stock, mais on voulait créer cette énergie-là, qu’on sente que ça vienne d’un peu partout et que les identités de chacun soient perceptibles à l’oreille. »
Essence
Bourrée d’allitérations truculentes, Essence ouvre une porte vers l’incursion hip-hop qui s’étalera jusqu’à l’avant-dernière plage de l’album. Le titre enregistré auprès de LaF se termine d’ailleurs sur un segment jazzé qui rappelle Tercel de Les Louanges – le protégé d’Ariane qui a assuré ses premières parties. Cette fois, en revanche, ce n’est pas Jérôme Beaulieu qui officie derrière le piano. C’est Madame Moffatt elle-même qui s’en porte responsable, révélant au passage une (autre) corde à son arc qu’on ne lui soupçonnait pas.
« On est allé pour un petit freestyle mélodique, ajoute-t-elle en rougissant par-delà la caméra de son cellulaire. J’ai fait ça, je l’ai envoyé à Étienne en lui disant que ce serait le fun que ça finisse par une espèce de petit piano. Il y en a tout le long de la toune, mais cette fois c’est plus bluesy. La chanson, c’est un peu comme un blues du monde contemporain, de la jeunesse contemporaine qui se cherche. Ça fittait bien. »
Get Well Soon
Maky Lavender, rappeur montréalais dans le vent, est l’invité vedette de cette complainte gorgée de soul et d’espoir. Une piste à la fois minimaliste et expérimentale, bonifiée de flûtes trafiquées puis posées sur un rythme à contretemps raffiné.
« Au lieu de nous répondre qu’il allait écrire son couplet la semaine prochaine, Maky a donné suite à notre demande de featuring en nous envoyant ses takes, raconte Étienne encore positivement abasourdi. Ariane était dans un souper mondain, elle était en train de se faire remettre l’insigne de Chevalier des Arts et des Lettres avec Pierre Lapointe. Je l’ai texté et je lui ai dit qu’elle devait aller écouter ça. Pour vrai, c’était parfait. J’avais rien à redire, rien à changer. Il fallait qu’elle l’entende tout de suite ! »
Finir seule
Comme sur une fine ligne entre chant et rap, Ariane navigue avec aisance sur son fait d’armes le plus trap en carrière. Côté paroles, elle adopte même une posture franglaise très naturelle, franchement convaincante. Elle ose, certes, mais en freinant son élan. Son respect pour les MCs est trop grand.
« Je ne veux pas me prendre pour une rappeuse, mais mon amour du rythme se transmet dans ce genre de trip-là. Moi, c’est sûr que je me retiens pour ne pas passer pour une wannabe ! En même temps, c’est un grand plaisir pour moi d’explorer ces zones-là, un terrain de jeu de phrasés comme celui-là. »
Danger
L’extrait initiatique du projet, ou la première allumette pour reprendre la formule d’Ariane, ne devait pas paver la voie pour tout un long-jeu. Or, la rencontre avec Fouki leur a laissé un petit goût de revenez-y.
« La collaboration c’est dans son ADN. Son arrivée en studio, c’était vraiment un beau moment. Il était full prêt, full impressionnant », se souvient sa covocaliste. Étienne complète : « Il est super professionnel et créatif en même temps. » D’ailleurs, fait assez surprenant, les deux hommes se côtoient aussi au sein de la même équipe de hockey dans une ligue de garage. « C’est vraiment une personne très portée vers le team work, Fouki. Il a la même attitude en musique que dans le sport. »
Chérie
La dernière fleur du bouquet, c’est cette balade romantique et langoureuse concoctée aux côtés de la brillante Marie-Pierre Arthur, une autrice-compositrice-interprète hyper influente, mais aussi une amie de longue date d’Ariane. Les deux femmes se connaissent depuis leurs études au Cégep Saint-Laurent.
« C’est ma grande chum, on prend plus de verres qu’on fait de la musique ensemble, malheureusement. Ou peut-être qu’on prend pas assez de verres ? En tout cas, on cherchait une occasion de travailler ensemble. […] Il y a beaucoup de représentants de la nouvelle garde, de la nouvelle génération en rap et en chanson qui ont participé à l’album, mais de terminer ça avec une artiste que je respecte autant, c’est sûr que c’était une assise importante pour moi. »