Richard Séguin

Photo: Jean-Charles Labarre

Le prix Excellence remis à Richard Séguin lors du Gala de la SOCAN présenté le 12 septembre 2016 au Métropolis a donné lieu à un entretien privilégié avec Paroles et Musique où l’auteur-compositeur de Saint-Venant nous parle de chansons, de création et d’évolution. Rétrospective.

« Quand je constate le propos qu’on tenait avec Les Séguins au début des années 70, et celui d’aujourd’hui, je ne vois pas une grande différence. Peut-être suis-je moins rêveur, plus pragmatique (rires). Mais essentiellement, je reste toujours dans une thématique écologique; les enjeux de l’époque on les retrouve aujourd’hui dans le débat social, au niveau de la répartition des richesses, au niveau du respect des régions, au niveau de la démocratisation de la culture, tous des thèmes abordés dans les années 70. Je me sens proche de ces valeurs et le discours n’a pas tellement changé. »

De ses premiers balbutiements avec le groupe psychédélique La Nouvelle Frontière (1969-71), puis avec Les Séguin (1972-1976) et son glorieux Café du quai, en passant par l’escale Fiori-Séguin (1978) et ensuite une quinzaine d’albums à sa propre enseigne, Richard Séguin, comme une force tranquille, s’est forgé une identité forte. Dans sa tête, soif de justice. Sous ses bottes, les routes secondaires d’Amérique. On situe tout de suite.

Retour en arrière. 1978. L’aventure Fiori-Séguin. Un seul disque. Des brûlots comme Deux-cent nuits à l’heure et Viens danser. Trois Félix. Deux cent mille copies vendues. Richard a 26 ans.

« On se connaissait Serge et moi depuis l’époque du Café du quai, à Magog en 1972.

En 1977, plusieurs groupes comme Beau Dommage, Harmonium, Octobre et Les Séguins ont pratiquement cessé leurs activités. Au départ, le projet se définissait comme suit : deux guitares, deux voix et une contrebasse. Et la participation des autres musiciens d’Harmonium qui y voyaient une renaissance ».

Malgré le succès fulgurant de Fiori-Séguin, l’aventure coupa court.

« C’était convenu au départ, confie-t-il. On ne fondait pas un nouveau groupe et on ne partirait pas en tournée. Or, il y avait une grande liberté là-dedans, c’était un langage musical nouveau et Serge m’a guidé là-dedans. Ç’a été une croisée de chemin bénéfique. Pour que chacun puisse continuer sa route. »

Un an plus tard, il publiait son premier disque solo. En 1985, sa vie bascule.

La trilogie Double Vie, Journée d’Amérique, Aux portes du matin qui a vu Richard Séguin connaître un vrai succès entre 1985 et 1991. Vingt-quatre soirs complets au Spectrum en 1995 et sa photo sur le mur des célébrités du légendaire établissement aux côtés de Sting, Jacques Higelin, Michel Rivard et Wendy O Williams des Plasmatiks ! Richard Séguin se souvient surtout de l’époque.

« Hélène Dalair à la direction musicale a joué un grand rôle. Elle avait cette capacité de tirer le meilleur des musiciens. Une vraie chef d’orchestre. Il y a beaucoup d’elle dans le son rock de la facture musicale. Réjean Bouchard a aussi eu une signature importante sur cette époque. Mais des années exigeantes aussi pour l’équilibre familial parce qu’on était constamment sur la route : la conjoncture était favorable, les ventes d’albums d’artistes québécois francophones étaient en hausse, les radios suivaient, on sortait du grand silence qui a suivi l’époque référendaire de 1980. C’était ma façon de raconter notre Amérique à nous et de se reconnaître. J’ai évolué dans cette influence-là, celle de Bob Dylan, Joni Mitchell, Springsteen, Mellencamp, Neil Young, ils m’ont tous influencé. J’ai eu cette impression d’être dans la même famille musicale que ces faiseurs de chansons »

Des titres comme Double Vie, J’te cherche, Protest Song, Ici comme ailleurs, L’ange vagabond, Et tu marches, Journée d’Amérique, Aux portes du matin, et on en passe, Séguin a pondu des classiques dont le grain de voix authentique nous caresse toujours l’âme avec un bonheur renouvelé. « Tu sais quoi ? Je ne suis pas tanné de les chanter. »

Tous les albums de Richard Séguin ont été composés à Saint-Venant, petit village de 112 habitants des Cantons-de-l’Est, et Séguin maintient le cap sur Les nouveaux horizons (Spectra Musique) qui est paru plus tôt cette année.

« Ça s’est fait bien simplement. À 62 ans, je m’étais donné comme projet de me construire un endroit pour écrire et décrocher complètement. Même en étant ici à Saint-Venant, loin de tout, avec aucune réception de cellulaire et un internet déficient, c’était quand même des sources de distraction, alors je me suis construit une cabane à cinq cents pieds de la maison pour écrire. Avec l’engagement de me consacrer du temps bien défini à cette tâche. Et c’est une révélation ! T’es emporté dans une spirale qui n’arrête jamais, ta pensée est dirigée vers les chansons. Je me suis donné un temps très précis d’écriture. Quatre à six heures par jour. Si tu savais comment ça m’a libéré ! Tu as l’impression d’avoir accompli quelque chose et ça oxygène ta journée ».

« L’inspiration pour moi, c’est le fruit du travail. Entre les tournées ou sur la route, je traîne toujours des cahiers pour écrire des pensées, des bouts de phrases. Il m’arrive de relire des choses que j’ai écrites il y a dix ans et qui résonnent fort aujourd’hui. La chanson Roadie, ça fait douze ans que je travaillais là-dessus. Quand on ne saura plus chanter, ça faisait trois ans que je la portais en moi. Des fois, c’est un mot, une phrase, une émotion, c’est la frustration, la révolte, mais à partir de là, c’est du travail. »

« En studio, j’explore. Je fais toujours trois à quatre musiques pour chaque texte. C’est la musique qui vient le plus facilement chez moi, contrairement aux textes. Je peux travailler quatre jours sur une seule phrase sinon, tant pis, une rime boiteuse, tu traines ça comme un caillou dans ton soulier.»

« Aujourd’hui à 64 ans, je suis plus conscient des mots. Quand tu as chanté Miron (avec Les douze hommes rapaillés), ensuite tu y vas humblement (rires). Tu viens de marcher sur des hauts sommets! »

Toujours à ses côtés, le multi-instrumentiste Hugo Perreault qui reçoit la matière brute et qui la peaufine en studio (comme le faisait jadis Réjean Bouchard) aux côtés de Simon Godin et Myele, l’équipée qui part en tournée fin septembre avec Séguin pour Les nouveaux horizons.

« La tournée c’est essentiel à mon équilibre, être constamment dans l’écriture, je ne serais pas capable. J’ai besoin de la rencontre avec les gens même si dans la solitude de l’écriture tu sens la présence des gens. Qu’ils ne sont pas loin. Mais au final, une chanson, faut que ça se tienne voix-guitare. Après ça on travaille l’instrumentation. Mes influences les plus proches ce sont celles que mes musiciens m’apportent. Quand on part en tournée, chacun apporte avec soi son patrimoine musical, ses influences, toutes les idées qui vont se retrouver sur un album, c’est un mélange de tout ça. Et on mise beaucoup sur les harmonies des voix. »

« Je suis disparu pendant un grand bout de temps puis avec le disque et la tournée, c’est les retrouvailles. J’aime beaucoup ce cycle-là. Apprendre à disparaître. Félix Leclerc appelait ça le réflexe du chevreuil : quand il y a trop de bruit, enfonce-toi dans le bois !  C’est un bon conseil. Et cette cabane que j’ai construite, c’est pour les vingt-cinq ans à venir ! »



Si vous avez regardé même un peu la couverture des Jeux olympiques de Rio à la CBC, vous avez sans doute remarqué le montage spécial d’ouverture préparé au son de la pièce « We Don’t Know » du groupe The Strumbellas.

Bien que ce placement de chanson des plus prestigieux soit à juste titre perçu comme une récompense pour The Strumbellas, les membres du groupe n’étaient pas les seuls à fêter cette réussite. Tout comme les entraîneurs d’élite forment des athlètes d’élite, le sextuor lauréat d’un prix JUNO peut compter sur son équipe chez Six Shooter Records, en particulier sur Kim Temple, la nouvelle directrice des licences et de l’édition, qui aide le groupe à atteindre le podium du domaine musical.

Première à occuper le poste de directrice des licences et de l’édition au sein de l’empire Six Shooter, Kim ne recule devant rien quand vient le moment de dénicher des opportunités pour les artistes qu’elle représente.

« En tant qu’artiste, j’ai écrit des chansons, j’ai touché des redevances et j’ai posé des questions concernant l’édition. Je sais à quel point c’est important d’être payé pour notre travail. »

« Je suis très consciente de ce qui se fait au cinéma et à la télévision, parce que j’ai déjà travaillé avec des compositeurs et, pour moi, la musique a un aspect très cinématographique, et je crois que c’est le cas pour de nombreux artistes », commente Kim, expliquant du même souffle comment elle trouve des opportunités de placement pour les artistes de Six Shooter. « Je suis toujours à l’affût de ce type d’opportunités, de même que pour des publicités, mais seulement si le style convient au groupe. Les évènements spéciaux, les diffusions en direct et les utilisations pour le contenu Web sont également des domaines qui m’intéressent. »

Parmi les bons coups notoires de Six Shooter, il faut souligner le succès international de « Spirits », le « hit » des Strumbellas entendu lors de l’épisode final de la série Saving Hope, l’apparition Sam Outlaw dans un épisode de Nashville, de celle d’Amelia Curran dans l’émission Hello Goodbye et le choix de Tanya Tagaq pour composer la bande sonore originale du nouveau film de Zacharias Kunuk, The Searchers. Avec un répertoire d’artistes incluant aussi Whitehorse, The Rheostatics, Hawksley Workman, Jenn Grant, Danny Michel et plusieurs autres, ce ne sont pas les occasions qui manqueront.

La gestion du catalogue de chansons bâti au cours des seize dernières années par la fondatrice de Six Shooter, Shauna de Cartier, et la présidente Helen Britton, sied particulièrement bien à Kim. Batteuse professionnelle qui a assisté au décollage sans précédent du rock indépendant canadien de la fin des années 90 et du début des années 2000, Kim a joué au sein de groupes tel que Bodega, Nerdy Girl et en tant que musicienne indépendante sous le nom de Temple Threat.

Le jour, elle travaillait pour le compositeur Marty Simon (propriétaire et administrateur de Music Revenue Data) dans le cadre de la série de science-fiction Lexx (« Tout ce que je sais sur l’édition musicale et la perception des redevances, je l’ai appris de Marty »). Éventuellement, cet emploi l’a dirigé vers Insight Productions, où elle œuvra pour Canadian Idol (« Plusieurs de mes amis du milieu du rock indépendant se moquaient de cette émission, mais j’y ai appris qu’une bonne chanson, c’est intemporel. »). Kim a même été de l’autre côté de la caméra, en époustouflant un groupe de jeunes musiciens jouant dans un garage de banlieue avec ses prouesses à la batterie, dans une publicité pour la Camry de Toyota (« Quand je déposais mes enfants à l’école, leurs amis me prenaient pour une grande vedette… j’ai fini par avoir mes 15 minutes de gloire. »).

Pour Kim, une journée type commence par la prise de connaissance des requêtes provenant de gens souhaitant utiliser des œuvres du catalogue de Six Shooter, la préparation de présentations à l’intention des directeurs musicaux, producteurs, réalisateurs, monteurs, promoteurs d’évènements spéciaux, les agences de publicité et de jeux vidéo, et ainsi de suite. Elle écoute les nouvelles pièces des artistes qu’elle représente et supervise tous les détails administratifs afférents. Il s’agit d’une liste quotidienne bien remplie pour Kim, mais les dividendes sont souvent importants.

« Les montants varient du budget de chaque projet », confie Kim. C’est le monde publicitaire qui dispose des plus gros budgets pour trouver la pièce parfaite. Les films documentaires en ont le moins, mais j’affectionne cette forme d’art. Mon expérience auprès d’artistes et de compositeurs à l’écran m’a permis de voir des pièces placées dans des émissions télévisées, des films, des bandes-annonces, dans des publicités Web et à la radio pour des montants allant de 2000 $ à 100?000 $. Je rêve de placer une pièce de Tanya Tagaq dans la série Game of Thrones. »

Cela peut sembler étrange, mais Kim explique que l’une des raisons pour lesquelles les artistes de Six Shooter réussissent est qu’ils n’essaient pas de composer pour une émission en particulier, mais sont plutôt encouragés à écrire de bonnes chansons, et c’est la clé du succès de ses présentations.

« Certaines émissions sont axées sur des genres ou thèmes spécifiques, comme des pièces sur les ruptures ou des compositions qui tirent les larmes », explique Kim. « Une des façons de bâtir un catalogue est d’amasser des pièces tristes et les pièces sur les au revoir, ou encore les pièces qui remontent le moral et les chansons de Noël. Mais le catalogue de Six Shooter a été conçu d’une manière totalement naturelle, sans prérequis de style. Notre approche a toujours été axée sur l’authenticité et le savoir-faire. »

« Nous ne serons jamais une fabrique à jingles et nous n’évaluons pas nos artistes selon la quantité de hits. Nous espérons que cela distingue Six Shooter des autres maisons et c’est pourquoi les directeurs musicaux et les réalisateurs font régulièrement appel à nous; ils apprécient nos valeurs et les gens que nous choisissons de représenter. »

Pour Kim Temple, tout est une question d’expérience. Elle comprend donc l’importance primordiale pour les artistes de toucher l’argent issu du placement de leurs pièces, particulièrement dans un monde où les ventes d’albums diminuent et les revenus provenant de la diffusion en continu sont modestes.

« En tant qu’artiste, j’ai écrit des chansons, j’ai touché des redevances et j’ai posé des questions concernant l’édition. Je sais à quel point c’est important d’être payé pour notre travail », affirme Kim. « Je sais ce qu’ils sacrifient pour pouvoir partir en tournée et continuer à créer. Ça me donne envie de me battre pour eux. Et ce qui me passionne, c’est de faire entendre leur musique. »



Certaines rencontres sont déterminantes et peuvent même provoquer des naissances professionnelles. C’est grâce à une amie commune qu’Eduardo Noya Schreus rencontre Xavier Dolan. L’amie avait partagé au jeune réalisateur des pistes de musique électronique de NOIA, projet d’Eduardo Noya Schreus et d’Ashley Long. En moins de 24 heures, Dolan écrit à Noya pour organiser une rencontre. « Nous avons beaucoup marché et parlé ensemble. Puis nous sommes allés chez lui pour écouter de la musique. Par la suite, Xavier m’a avoué qu’il ne savait pas ce qu’il voulait comme musique pour son film jusqu’à ce qu’il écoute ma musique. Il avait alors trouvé le son qu’il cherchait. » Le Canadien d’origine péruvienne se voit alors confier la bande sonore de Laurence Anyways.

Les deux hommes ne se verront ensuite qu’un an et demi plus tard, dans un studio de post production. Toutefois, Noya garde Dolan proche du processus de création par de nombreux échanges courriel où des pistes sonores sont mariées à des images du film. Dolan est un réalisateur qui aime commenter, tout en assurance par rapport au contenu musical de ses films. Ces échanges, cette nécessité d’une rencontre entre créateurs, Noya y voit là le fondement de son processus de création, lui qui est un autodidacte de la musique.

Still from Xavier Dolan Mommy movie« Les films ont la plupart du temps des musiques « guides » placées par le monteur ou le réalisateur qui me donne une référence, une idée générale de l’ambiance désirée dans une scène. Je suis parfois cette intention. Quelques fois, je crée en m’inspirant des images qui me sont présentées. Mais la plupart du temps, c’est une rencontre, une discussion en profondeur avec le réalisateur sur le projet et sur nos vies qui alimente la création. Oui, on me donne parfois le scénario, mais cela ne m’inspire jamais. Les images, comme la musique, ont une empreinte instantanée sur nous. Et le lien entre les deux est ici essentiel. » Son travail sur Lawrence Anyways permet à Eduardo Noya Schreus d’être le lauréat en 2013 d’un Canadian Screen Award pour la meilleure musique de film.

Malgré cette expérience positive, l’implication de Noya pour le film suivant de Dolan, Mommy, ne va pas de soi. Le compositeur est appelé en catastrophe, après le travail effectué par un précédent compositeur. Une situation particulière que Noya a embrassée avec une pointe de fierté. « Je suis content d’avoir pu trouver des solutions. Ce film avait un montage très collé à sa musique de référence, ce qui rendait difficile de la remplacer par de nouveaux extraits. Et à ce niveau, mon plus grand défi fut la scène finale où Diane se retrouve seule, en larmes. Cela me prit un certain temps à trouver une musique adéquate pour ce moment. » Pour son travail de composition musicale sur Mommy, Eduardo Noya Schreus remporte le Prix Musique de film lors du Gala de la SOCAN 2016 à Montréal.

Étrangement, cette situation de remplacement se répète quelques mois après sur la série télévisuelle Versailles, production franco-canadienne au budget de 33 millions de dollars. On a de nouveau fait appel à Schreus lorsque les producteurs ont décidé de changer de compositeur. « Ils n’aimaient pas l’arrimage initial entre les images et la musique, ils le trouvaient trop… classique », explique l’artiste. « Le réalisateur, Jalil Lespert a décidé d’aller dans une tout autre direction et s’est tourné vers la musique électronique. Et ç’a cliqué. Le plus grand défi avec cette série, c’est sa rapidité. C’est comme composer de la musique pour plusieurs films en même temps. » Après avoir signé environ la moitié de la musique de la première saison de 10 épisodes (l’autre moitié fut composée par Michel Corriveau), on a demandé à Schreus de répéter l’expérience pour la deuxième saison.

Bien que le Montréalais compose dans un petit studio maison à quelques pas de son appartement, l’homme retourne encore à la musique le soir venu. Sa musique. Si NOIA faisait partie de sa vie avant l’arrivée de ce métier de compositeur, cette première entité musicale demeure toujours active, le nourrissant tout autant. En 2014, les performances de NOIA sur scène leur doivent le prix « best electronic act » dans le magazine montréalais alternatif, CULT. Et selon Eduardo Noya Schreus, NOIA est loin d’être terminé. « Ma musique personnelle est mon projet le plus important. Je compte lancer un album studio cette année et un autre, l’année prochaine. Nous allons bientôt recommencer à faire des spectacles lorsque nous nous sentirons prêts avec le nouveau matériel. Mon plus grand rêve, c’est de faire de la musique, encore et toujours, et ce jusqu’à ce que mon corps me lâche. »