Richard Reed Parry est étendu sur le plancher, à quelques centimètres de moi, et je remarque un sourire discret s’esquisser sur son visage. Alors que sa propre musique emplit peu à peu l’espace du local du Plateau Mont-Royal où nous nous trouvons, je remarque à quel point son état méditatif tranche avec l’énergie brute qu’il déploie habituellement sur scène avec son groupe Arcade Fire. Il faut dire que nous ne sommes pas ici pour parler de l’un des groupes rock les plus connus de la planète, mais bien pour découvrir son plus récent album solo à l’invitation de Julien Boumard Coallier, organisateur des soirées Die Pod Die. Le compositeur a accepté d’écouter son propre album – sur vinyle, il va sans dire – en compagnie d’un petit groupe de fans avant de répondre à nos questions.
Dès le début de la conversation, je fais remarquer à Parry à quel point cette écoute collective, presque religieuse, me semble appropriée. Car si la musique intime et hypnotique que l’on retrouve sur Quiet River of Dust Vol. 1 est faite sur mesure pour être écoutée au casque, elle est aussi, paradoxalement, trop expansive pour une seule paire d’oreilles.
« C’est vrai qu’il s’agit d’un album introspectif qui aspire à s’étendre dans les grands espaces, confirme Richard. Pas seulement parce qu’il a été inspiré par la nature, mais aussi parce qu’il aborde l’idée de transcendance, d’aller au-delà de soi. Lorsque j’écrivais les chansons, l’image qui me revenait sans cesse était celle d’un rite funéraire en mer. J’aime beaucoup cette idée de répandre les cendres de quelqu’un dans l’eau; que cette eau s’évapore vers les nuages, qu’elle retombe sur terre pour nourrir un arbre et que cet arbre meure à son tour pour revenir à l’eau. Ce gigantesque cycle de la vie, cet éternel retour vers la nature me fascine. »
C’est d’ailleurs en plein cœur de la nature que ce projet a vu le jour il y a une dizaine d’années. Histoire de fuir le brouhaha quotidien qui est le lot du musicien rock, Parry s’est exilé dans un monastère japonais au terme d’une tournée d’Arcade Fire. Loin du monde, ses journées étaient rythmées par les chants des moines bouddhistes et le silence infini d’une nature enneigée où il a trouvé une inspiration en forme de fantôme. En s’enfonçant dans la forêt où il prenait de longues marches, il a cru entendre un jour une mélodie venue du répertoire de son défunt père, musicien folk qui a joué avec le groupe Friends of Fiddler’s Green.
« Cette musique était là, même si personne n’était là pour la jouer, raconte Richard. C’est comme si le silence de la nature avait éveillé quelque chose et m’avait ramené à moi-même : la musique était là, partout… L’image de la rivière dans mon titre renvoie aussi à ce continuum musical qui est au cœur de la musique folk qui a bercé mon enfance: cette transmission de chants ancestraux, de génération en génération, c’est quelque chose de très fort chez moi. »
Si certaines pièces portent plus que d’autres l’empreinte de cette tradition folk, notamment l’épique I Was In The World (Was the World in Me?), d’autres relèvent plus de la musique ambient, voire du psychédélisme. Des bruits d’insectes, d’oiseaux, de vent ou de rivières ponctuent ce voyage musical spirituel. En fait, Parry semble avoir réuni sur un même disque les deux pôles de sa personnalité artistique : l’aspect traditionnel son héritage familial et le côté expérimental exploré lors de ses études en électroacoustique à l’Université McGill. Le tout relié par une approche conceptuelle hautement complexe, où la spiritualité japonaise tient une place prépondérante.
« C’est un album concept, soit, mais ce n’est pas The Wall, précise Richard. Il y a un début et une fin et le deuxième volume (qui paraîtra au printemps, NDLR) va explorer l’autre côté de la rivière; mais je n’essaie pas de raconter une histoire linéaire. Pour moi, il s’agit de peindre avec des mots, d’évoquer plutôt que de dire. Et si on se laisse porter, je crois que le son lui-même raconte l’histoire. »
Voilà probablement la seule clé dont vous avez besoin pour décoder cet album envoûtant. Étendez-vous, fermez les yeux et laissez-vous porter par le son : le voyage est beaucoup plus fascinant que la destination.