Fort de ses racines rock et punk, le groupe hip-hop montréalais Ragers marque un tournant dans sa jeune carrière avec Raw Footage, un premier album créé sur mesure pour ses vigoureux spectacles.

Omniprésent sur les trois EPs de la formation à titre de collaborateur invité, le rappeur Billy Eff se joint au guitariste Jake Prévost, au batteur Jay Prévost et au bassiste Phil Marcoux-Gendron comme membre officiel du groupe. À elle seule, cette addition incarne le changement souhaité par le groupe, qui a signé son premier contrat de disques cet hiver avec l’étiquette électronique montréalaise Saboteur Records.

« On voulait un album plus vocal, donc les gars avaient besoin que je sois un peu plus présent, explique Billy Eff. Y’a Jake aussi qui voulait recommencer à écrire des paroles et à chanter, ce qu’il n’avait pas fait depuis très longtemps. Il est venu me voir avec les textes qu’il avait, et je l’ai coaché. »

« Ça a été un beau back and forth créatif avec Billy. On a beaucoup appris l’un de l’autre », poursuit Jake Prévost, qui reprenait le micro pour la première fois depuis la fin de Duke Squad, formation pop rock qu’il menait aux côtés de ses deux autres collègues de Ragers. « En fait, j’avais surtout besoin d’aide pour structurer mes textes, car côté refrains, disons que ça va toujours bien. Notre background se résume pas mal à des hook songs. »

« Moi, c’est justement là-dedans que je suis le moins bon, concède le rappeur. Je viens d’un background punk avec des chansons sans refrain. »

Pour Jake, cette période de réapprentissage n’a pas été de tout repos. « Ça a été fuckin’ difficile. Je me suis mis beaucoup de pression sur les épaules. Je suis un gars assez discret dans la vie, alors je doutais un peu de moi. Est-ce que je vais être capable d’assumer mes textes? Est-ce que je suis encore capable de mettre des mots sur mes émotions? Avec du recul, je sens que j’ai réussi, même si c’est juste un début. »

Sur Alright, bombe house funk créée en collaboration avec Valaire, le chanteur évoque la fin d’une longue relation amoureuse, en inversant les rôles « comme si moi je courais après la fille au lieu du contraire ». À l’aise avec son personnage de rappeur satirique basé sur un pastiche de Pusha T « qui se vante de vendre des truffes plutôt que de la coke », Billy Eff se permet lui aussi des passages introspectifs, notamment sur All I Need où il aborde avec vulnérabilité une tentative de suicide qu’il a commise en 2015. « Ça m’a vraiment sorti de ma zone de confort de rap. J’avais l’impression de retourner vers une formule émotive punk, en phase avec ce que j’écoutais à l’adolescence. »

« J’ai justement l’impression que c’est quand tu te sens pas trop à l’aise avec ce que t’écris que tu touches à quelque chose de fort, poursuit Jake Prévost. Être loin de ma zone de confort, ça m’inspire. »

Sur Fools, les deux auteurs réfléchissent à ces rapports virtuels qui transforment notre personnalité au quotidien. « Il n’y a pas de message à proprement dit, mais il y a une discussion sur la confrontation opposant le realself au virtualself. En gros, mon compte Instagram se résume à des photos de moi avec mes amis DJs, des photos de moi avec des bouteilles de vins naturels… J’ai voulu concilier cette image-là avec la personne que je suis vraiment », explique Billy Eff, qui gagne notamment sa vie en important des bouteilles de vin et en produisant du contenu pour VICE Québec.

Sur cette même chanson, son camarade livre un plaidoyer spontané et sincère, teinté d’une amertume passagère. « J’ai écrit ça à un moment où je sentais beaucoup d’incompréhension face à Ragers. Comme si, en raison de la surabondance de trucs qu’il y a sur le web, les gens ne s’attardaient plus à la qualité de la musique. Nous, on a toujours des projets super bien mixés par des professionnels, on collabore avec certains des meilleurs rappeurs à Montréal… Et pourtant, on ne reçoit pas toujours le crédit qui nous revient! C’est toute cette émotion-là qui se ressent dans mon couplet. »

Révélé sur la scène hip-hop montréalaise en 2015 avec Chapters, un premier EP trap décapant, Ragers a connu une évolution artistique certaine avec ses efforts suivants : le plus modéré Unum et le très ensoleillé Joshua, respectivement parus en 2016 et 2017. Délaissant rapidement les masques scintillants qu’ils arboraient fièrement à leurs débuts, les trois membres originaux ont dû redoubler d’efforts pour développer un public qui avait parfois un peu de mal à les suivre en raison de leur nouvelle image et de leurs constants changements de style.

« La bataille depuis le tout premier jour, c’est de faire comprendre aux gens qui est Ragers. Jusqu’à tout récemment, on s’est encore fait demander si on portait nos masques, alors qu’on a arrêté de les porter il y a plus de deux ans, déplore Jake Prévost. Mais bon, peu à peu, j’ai l’impression que les gens catchent notre proposition, même s’il y a encore de la job à faire. Les deux frontmen vont nous aider, c’est sûr, et l’album est une bonne carte de visite pour montrer à tout le monde où on est rendus »

Beaucoup plus varié dans ses tons et ses influences, ce quatrième projet a été une fois de plus guidé par la complicité entre les trois musiciens natifs de Saint-Hubert, qui évoluent ensemble depuis plus de 10 ans. Pour le batteur Jay Prévost, le résultat témoigne d’une fusion instinctive : « C’est un album très diversifié, mais on n’a pas cherché à ce qu’il soit comme ça. Y’a des vagues dance et d’autres très smooth, ce qui convient parfaitement à un pacing de spectacle. »

«En fait, c’est très différent de Joshua, qu’on avait enregistré à L.A., ajoute Jake. C’est un album qui s’écoutait bien en road trip, mais qui était difficile à faire en show. Raw Footage est davantage à l’image de notre itinéraire qui a beaucoup bougé, entre Paris, L.A. et Montréal. »

Bref, cet album représente à la perfection le parcours d’un groupe qui a toujours su habilement profiter de ses contacts à l’international, notamment de l’appui des Californiens d’adoption James Di Salvio (leader de Bran Van 3000) et Jean-Michel Lapointe (propriétaire du studio Owl Foot Ranch à Los Angeles et ex-Couch Potatoes), sans oublier le soutien de l’ingénieur parisien Vincent Hervineau et du mixeur montréalais Seb Ruban, qui ont tous deux mis la main à la pâte de Raw Footage.

« Oui, l’outil premier, c’est l’internet, car c’est ça qui fait voyager ta musique, mais il n’y a rien comme aller toi-même rencontrer des gens, serrer des mains et présenter ton projet, observe Jake Prévost. Le bouche-à-oreille est encore très efficace. »



Lorsqu’on demande au duo de DJs Loud Luxury ce que le reste de 2018 leur réserve, la réponse est unanime : « vraiment pas beaucoup de sommeil ». Et c’est pour une bonne raison : depuis l’an dernier, Andrew Fedyk et Joe DePace – qui se sont rencontrés à la Western University de London, Ontario – surfent sur un véritable tsunami de succès grâce à leur tube « Body ».

L’incroyablement populaire chanson transforme les pistes vocales de l’artiste hip-hop Brando – qui, selon le duo, « étaient beaucoup plus lentes et destinées à être un succès hip-hop pour les bars de danseuses » – en bombe pour les pistes de danse. À ce jour, la pièce a été écoutée plus de 40 millions de fois, et son vidéoclip visionné plus de 12 millions de fois.

« Soyons très clairs : nous n’avons jamais pensé que ce serait un « hit » », disent-ils. Cette expérience est donc venue confirmer leur instinct musical et leur a appris une leçon importante : « Si vous et votre équipe pensez que vous tenez un bon filon avec une chanson, ne la lâchez pas », disent-ils. « Même si personne d’autre n’y croit, vous n’êtes pas fou et vous devez vous battre pour que le monde puisse l’entendre. »

« Body » donne tous les signes de n’être que le premier d’une longue carrière pleine de « hits ». Avant que cette pièce explose, le duo a fait belle figure sur un EP de remixes de Martin Garrix grâce à leur version de sa pièce « Scared to be Lonely ».

Désormais établi à Los Angeles, une ville que Fedyk et DePace louangent comme étant « un « melting pot » de musique et de culture », Loud Luxury s’enthousiasme de pouvoir continuer à créer de la musique tant comme duo qu’avec d’autres collaborateurs. « On croit fermement que la meilleure musique est issue des collaborations les plus inattendues », expliquent-ils. Parmi les artistes qui figurent à la liste des gens avec qui ils aimeraient collaborer, on retrouve Ed Sheeran, PartyNextDoor et Starrah.

D’ici là, Fedyk et DePace se concentrent sur un objectif : « montrer aux gens que nous avons plus d’un tour dans notre sac ». Loud Luxury est prêt à le prouver à ses fans avec deux autres simples qui seront lancés cet été. Comme ils le disent si bien, « ça ne fait que commencer ».



La Chute de SparteC’était son premier tapis rouge à vie. Première musique originale pour long-métrage aussi, ajoute-t-elle. « Si c’était agréable? Oui. Mais je ne fais pas partie de l’équipe devant la caméra, alors j’étais très « low profile… » Et pourtant, la sortie du film La chute de Sparte, une adaptation du roman de Biz (Loco Locass) réalisée par Tristan Dubois, revêtait quelque chose d’assez exceptionnel : au générique, à la section musique originale, on pouvait lire le nom de Sophie Lupien, une des rares compositrices de musiques de film au Québec.

Soyons réalistes en affirmant que le Québec n’a pas une tradition de compositeurs de musiques de film comme il en existe une en France, en Italie ou aux États-Unis. Sophie Lupien en convient, soulignant que ça a aussi avoir avec la nature de la bête : « Souvent, la musique dans un film existe pour appuyer la scène à l’écran, la trame narrative, et non pour nécessairement briller. Compositeur pour musiques à l’image, c’est un autre métier, différent de composer sa propre musique, à soi. » Les auteurs-compositeurs-interprètes d’ici sont acclamés; les compositeurs de musiques de film sont souvent relégués derrière l’écran, malheureusement…

Elle convient tout autant que les compositrices, dans notre petit milieu, sont très peu nombreuses. De récente mémoire, Catherine Major (une auteure-compositrice-interprète à la base) s’était distinguée pour sa musique du film Le Ring en 2008; en 2013, c’est Viviane Audet, elle aussi auteure-compositrice-interprète, qui s’illustrait pour sa musique du film Camion, coécrite avec Robin-Joël Cool et Éric West-Millette. En 2007, c’est Jorane, dont le style souvent instrumental se prête plus naturellement à la musique cinématographique, avait aussi brillé pour le travail qu’elle fait sur les images d’Un dimanche à Kigali. Elles avaient toutes les trois remporté le Prix Jutras (aujourd’hui Prix Iris) de la Meilleure musique originale.

Le travail de Lupien se conjugue ici avec celui des co-compositeurs de La chute de Sparte et se distingue justement par son souci de s’effacer au profit de l’action. À côté des chansons originales composées par La Bronze et des titres empruntés aux répertoires des rappeurs Rymz, Manu Militari et Muzion, la bonne trentaine de minutes musicales composées par la Montréalaise accompagne les moments plus nuancés de ce film d’ado intelligent – le producteur et DJ de Loco Locass, Chafiik, collabore également à certains passages instrumentaux.

« J’avais à composer des musiques qui passaient souvent après des chansons que l’on remarque » comme les expressives compositions de La Bronze, ou les rigides raps de Manu Militari, explique Lupien. « C’était beaucoup un travail de transition entre les scènes. Parfois, cette transition se fait aisément, par exemple en jouant dans la même tonalité [que la chanson précédente], mais dans un style musical différent, qui suggère de nouvelles émotions. »

Ce délicat travail de transition était nécessaire « parce que c’est vrai que c’est un film dense, avec beaucoup de scènes. C’est là que la transition musicale est importante, pour faire en sorte que les spectateurs comprennent bien le fil du récit, qui se déroule sur une période de six mois, et qui est raconté en seulement 1h30. La musique a un rôle à jouer là-dedans. »

Arrivée à la musique de film « par la bande » grâce à des amis communs au réalisateur Tristan Dubois, elle avait d’abord composé la musique de ses deux premiers courts-métrages, en 2009 et 2012. Tout naturellement, c’est à Sophie Lupien que le réalisateur, né en Suisse, s’est tourné pour habiller de musiques les scènes de La chute de Sparte. « Ce qui était génial pour moi, c’est la possibilité de toucher à plein de genres musicaux. Pour le gros plan sur la polyvalente au début du film, y’a une musique plus électro; ailleurs, ce sont des passages plus orchestraux, d’autres moments plus jazzés cachés derrière la scène », dit la compositrice, qui a consacré deux bons mois à écrire ces musiques à partir des indications du réalisateur.

« Tristan a réfléchi longuement à la musique dont il avait besoin et savait ce qu’il recherchait pour ses scènes, raconte Lupien. Lui fonctionnait avec un premier montage sur lequel il avait trouvé des musiques de références. Ensuite, je devais composer des musiques originales qui reflétaient ses intentions – il ne s’agit pas de reproduire les mélodies ou les harmonies précises de ses musiques de références, plutôt d’essayer de recréer l’émotion, l’intention derrière ses choix. C’est le plus difficile dans la musique pour le cinéma : toujours composer dans l’idée que cela serve la trame narrative. Il faut bien saisir l’histoire, comprendre la trame, pour ensuite être capable de souligner en musiques ce qui doit l’être. C’est, d’une certaine manière, décortiquer chaque scène mise à l’écran. »