Le 10 août 2017 signalera pour Jehan V. Valiquet les 35 ans de la maison d’édition Groupe Éditorial Musinfo. « Je me souviens de cette journée-là. J’étais chez l’avocate en train de signer des papiers et fonder mon entreprise. J’avais déjà approché quelques artistes. J’étais content et excité… »

Jehan Valiquet with Charles Aznavour

Jehan Valiquet avec Charles Aznavour

Il faut voir les yeux de Jehan Valiquet qui en parle comme on souligne la date d’un mariage. Et mariage, il y a. La musique est ici une histoire de passion. La maison de Valiquet, qui lui sert à la fois de bureau, en est imprégnée dans ces moindres recoins. Il y a des disques partout, des coffrets de Véronique Samson, des Velvet Underground, et des Rolling Stones, des vinyles, dont ceux de Hamonium et de M, affichés fièrement, une table tournante, de multiples preuves que la musique est ici chérie et vivante.

Dès ses débuts, Jehan V. Valiquet perçoit la francophonie, tout particulièrement la France et la Belgique, comme un terrain de jeu. Il fait de sa spécialité la sous-édition, la représentation de catalogues de chansons françaises ou belges pour le territoire canadien. Tout au long de son parcours d’éditeur, des liens de confiance se tissent de l’autre côté de l’Atlantique. De ses rencontres marquantes, il y a évidemment celle initiale et fondatrice avec l’éditrice de Nicolas Peyrac qui le lance dans le milieu.

Mais il y en a d’autres. Valiquet croise pendant dix ans Gérard Davoust, éditeur de l’œuvre de Charles Aznavour, à qui il exprime son désir de représentation au Canada, et ce, malgré les refus successifs. « Nous avions l’habitude de nous voir, malgré dix ans de « non ». Davoust était un mentor pour moi. On se vouvoyait malgré qu’on mangeait au restaurant ensemble une ou deux fois par année. Puis, lors de l’une de ces rencontres, il m’a demandé d’arrêter le vouvoiement. J’en ai été incapable. En sortant du restaurant, il me lance tout bonnement. Aaah oui… En passant, je te donne Aznavour. J’ai crié un gros « oui » en pleine rue. J’étais tellement content. »

Le mot se passe que Valiquet travaille bien puisque les bonnes rencontres se multiplieront tout au long de sa carrière. Dans les années 2000, il obtient en sous-édition d’autres catalogues européens dont celui de Carla Bruni, de Mathieu Chedid et de Vanessa Paradis.

« Ne s’invente pas éditeur qui veut. Ça prend du temps, de la négociation, de la gestion, des connaissances. »

Chérir et nourrir ces rencontres constituent l’ADN de Musinfo et de Jehan V. Valiquet qui voyage en Europe plusieurs fois par année. « Aujourd’hui, ces éditeurs sont devenus des amis. On se donne des comptes, mais surtout, on apprécie se voir… » C’est la même chose au Québec où il signe des ententes avec des groupes tels les Montain Daisies et réalise la gestion de certains catalogues dont celui de Michel Rivard et de Beau Dommage, toujours détenteurs de leurs droits depuis 1974.

Avec la baisse des ventes d’albums, les artistes semblent de plus en plus tenter l’aventure de l’édition par eux-mêmes, comme c’est le cas de M, Grand Corps Malade, Robert Charlebois et Claude Dubois. « Il y en a toujours eu, des artistes qui gardaient les droits de leurs chansons. Mais il y en a encore plus aujourd’hui. Yann Perreau, qui a été 10 ans avec moi, a décidé à la fin de notre entente de partir sa propre compagnie. C’est possible. Il y a des formations qui sont données par L’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM), au Festival de la chanson de Granby, qui vont dans ce sens-là. C’est bien. Les artistes doivent porter plusieurs chapeaux. Cependant, il faut faire attention. Ne s’invente pas éditeur qui veut. Ça prend du temps, de la négociation, de la gestion, des connaissances. C’est un vrai métier. Avoir un administrateur de son répertoire, c’est souvent une très bonne solution. Car l’édition peut devenir du temps que l’on prend à la création. »

Valiquet aime aussi générer des rencontres entre créateurs, tout particulièrement entre parolier et compositeur. L’éditeur croit beaucoup à la force de ces tandems d’écriture comme ce fut le cas de Michel Bergé et Luc Plamondon. Pour Valiquet, initier ces rencontres, parfois même entre la France et Québec, permet à l’éditeur de se garder actif et impliqué auprès des créateurs qu’ils représentent. Au sein de Musinfo, il a connecté la parolière française Sandrine Roy au compositeur québécois Sylvain Michel. « Ce duo-là compte plus de 30 chansons qui ont été sur des palmarès radiophoniques. Tout a commencé pour eux avec la chanson Que le temps de Garou. Aujourd’hui, Sandrine Roy, qui habite toujours en France, est membre de la SOCAN. Ces situations-là existent aussi. »

Il y a une très belle franchise chez Jehan V. Valiquet quant à l’avenir du Groupe Éditorial Musinfo. L’homme est toujours actif et désire manifestement l’être le plus longtemps possible.

« Je ne pense jamais à la retraite… Peut-être que je devrais, mais ça ne me tente pas. » Reste que l’homme a conscience que le temps avance et que les engagements à long terme sont de plus en plus incertains. « Musinfo est basé sur mes relations personnelles, ici ou à l’étranger, avec des éditeurs et aussi des artistes qui ont confiance en moi. Ce que je sais, c’est que je ne suis pas éternel. Je ne signe pas des contrats qui ont la durée du droit d’auteur, 50 ans. Je ne le fais plus. Cela ne donne pas de valeur à ma compagnie, mais je n’ai pas l’intention de la vendre. C’est une question d’honnêteté pour les gens avec qui je travaille. Et les artistes apprécient beaucoup cette durée limitée. Ils savent qu’ils ne sont pas prisonniers de quelque chose. » En plus d’une solide expérience et d’un amour de la musique avec un A majuscule, il y a aussi cette franchise dans les rapports humains qui font de Jehan V. Valiquet, un éditeur de premier plan.



Laurence Lafond-Beaulne

Laurence Lafond-Beaulne (Photo: Julien Laperrière)

Inspirée par le récent virage vert de plusieurs festivals et évènements québécois, la chanteuse et musicienne Laurence Lafond-Beaulne (de Milk & Bone) veut maintenant passer à l’étape suivante. Avec l’aide de l’organisme Scène écoresponsable, elle a mis sur pied un guide pour les artistes désirant réduire leur empreinte écologique en tournée.

Entre les bouteilles d’eau abandonnées en coulisses, les nombreux gobelets à café achetés sur le bord de la route et, évidemment, les émissions de gaz à effet de serre (GES) provoquées par les longs et nombreux trajets en voiture, la vie de tournée implique une très importante mobilisation de ressources qui ont un impact dommageable pour l’environnement.

Consciente de la situation, Laurence Lafond-Beaulne a cherché à s’impliquer socialement pour faire changer les choses. D’abord, elle a écrit à quelques-uns de ses collègues du milieu musical : « J’ai rapidement compris que j’étais pas la seule à avoir remarqué qu’il y avait des problèmes dans notre pratique. »

Motivée, elle a ensuite poussé ses recherches pour tenter de trouver de la documentation à ce propos : « Pour vrai, je n’ai rien trouvé d’intéressant ! Au Québec, il y a des initiatives déployées par les festivals, par des artistes à titre individuel, mais aucun mouvement de conscientisation collectif généré par les artistes. Il y a Les Cowboys fringants qui posent des gestes concrets pour l’environnement avec leur fondation, mais rien de grand public. »

En poursuivant ses recherches, la musicienne montréalaise est tombée sur les travaux de Scène écoresponsable, un organisme ayant comme but d’intégrer le développement durable  aux pratiques des artisans de la scène. Intéressée, la directrice générale Caroline Voyer l’a alors mise en contact avec Aurore Courtieux-Boinot, une candidate à la maîtrise en environnement qui s’intéressait au même sujet qu’elle.

Ainsi naissait le mouvement Artistes citoyens en tournée (ACT). « On s’est mis au travail les trois ensembles avec l’idée de produire un guide pour les artistes qui ont envie de s’engager à réduire leur empreinte écologique, raconte Laurence Lafond-Beaulne. Pendant ce temps-là, j’étais en tournée avec Alex Nevsky et j’ai amené l’idée de faire une tournée sans bouteille d’eau. Au début, tout le monde était super content d’amener sa gourde, mais à un certain moment, j’ai entendu quelques commentaires, notamment ceux de certaines personnes qui avaient l’impression de boire moins d’eau en une journée. C’est là que j’ai compris que ça prenait une période d’adaptation. Changer des habitudes, ça peut faire peur aux gens. »

« Le but, c’est de mettre en pratique ce que tu peux te permettre de faire. Tout le monde doit y aller à son rythme. »

ACT Logo

C’est dans le but de faciliter cette transition que les trois initiatrices du projet ont développé un guide en trois étapes – chacune reflétant un niveau plus élevé d’écoresponsabilité. La première vise l’intégration régulière de gestes simples, comme transporter un gobelet et des ustensiles réutilisables, apporter ses propres savons et bouteilles de shampooing à l’hôtel, et éteindre tout matériel électrique non utilisé entre le test de son et le spectacle. Par l’entremise de leur fiche d’accueil (communément appelée « rider »), les artistes ont aussi la possibilité de contribuer à changer les habitudes et les réflexes des diffuseurs en leur demandant, par exemple, d’installer une station d’eau potable dans la loge et de prioriser des serviettes plutôt que du papier brun.

Le deuxième stade vise notamment une production plus consciencieuse des produits dérivés. On demande aux artistes d’opter pour du coton biologique et équitable, un design local et de l’encre naturelle pour les vêtements. « Ce sont toutes des suggestions, pas des obligations. On sait que c’est pas facile pour certains artistes de faire tout ça lorsqu’ils n’ont pas beaucoup de sous », précise la chanteuse. « Le but, c’est de mettre en pratique ce que tu peux te permettre de faire. Tout le monde doit y aller à son rythme. »

Enfin, le troisième niveau est celui du plein investissement et vise tout particulièrement une réduction de la pollution automobile. On propose aux artistes d’utiliser un outil calculateur des GES afin de voir l’empreinte environnementale qu’il laisse, le tout en fonction de leur modèle de voiture et du nombre de kilomètres parcourus. « C’est pas à la portée de tout le monde de louer un véhicule électrique, donc cet outil permet de voir combien d’argent tu dois donner à des organismes environnementaux pour compenser tes émissions de gaz », expose-t-elle.

Jusqu’à maintenant, les appuis du milieu artistique qu’a reçus la chanteuse sont nombreux, de Groenland à Koriass en passant par Les sœurs Boulay, Philippe Brach et, évidemment, Alex Nevsky. « En fait, personne n’a désapprouvé l’idée, mais disons que (ces derniers) ont été particulièrement enthousiastes, dit-elle. Maintenant que l’initiative est mise en place et que la recherche est faite, il reste à mettre tout ça en pratique. J’aimerais aussi que les artistes en parlent et qu’ils s’affichent fièrement comme membres de l’ACT. »

À quelques jours du lancement officiel du mouvement, Laurence Lafond-Beaulne regarde vers l’avant et recherche activement de nouveaux partenaires financiers. Si l’organisation a pu survivre avec des bourses totalisant 3000 $ jusqu’à maintenant, elle ne pourra pas en faire autant à long terme, surtout que les ambitions grandissent : « Une fois que le projet sera bien implanté ici, on aimerait le lancer au Canada et, même, à l’international, annonce-t-elle. Tant qu’à avoir fait tous ces efforts-là, aussi bien avoir le plus grand impact possible. »



Après plus de 20 ans dans le domaine de l’A&R (artistes & répertoire) pour des « majors » canadiens, Fraser Hill a fondé, début 2017, sa propre entreprise indépendante, frazietrain productions inc. L’entreprise, pensée comme une firme de services-conseils au service d’artistes sous contrat ou non avec une spécialisation dans le domaine de l’A&R et du développement d’artiste dans tous les genres musicaux, tire son nom du surnom donné à Hill il y a de nombreuses années.

« Ce sont les gars du groupe Pride Tiger qui m’ont donné ce surnom », raconte-t-il en riant. « Ils se moquaient de moi un soir, et le nom est resté. Lorsqu’est venu le temps de trouver le nom de ma boîte, c’était évident. »

Cette transition était dans l’air, raconte Hill au sujet de sa décision de voler de ses propres ailes, ajoutant au passage que ce n’est pas la première fois qu’il travaille de manière indépendante : « J’ai été mon propre patron pendant un certain temps comme gérant, et comme producteur pendant de nombreuses années. »

Hill a commencé sa carrière au milieu des années 70 en tant qu’ingénieur et producteur. « J’étais fou de musique, mais je ne savais pas jouer et je voulais absolument faire partie de ce business », explique-t-il. Après avoir étudié dans le programme médias du Humber College, il s’est trouvé un emploi d’assistant au studio Eastern Sound de Toronto. C’est ainsi que sa vie a changé, dit-il, se souvenant de sa première séance d’enregistrement avec Anne Murray. « Ça devait être en 1977, je n’étais qu’un simple assistant, j’étais assis à côté du magnétophone et je m’occupais d’apporter du café à tout le monde. C’est comme ça que j’ai commencé. »

Plus tard, Hill a fondé une compagnie de gérance, Mighty Music Entertainment, en compagnie de l’agent Ed Smeall, où il cogérait The Northern Pikes. Hill et son partenaire d’affaires, Rick Hutt, ont également coproduit et été ingénieurs pour de nombreux albums, dont Snow in June des Pikes, ce qui leur a valu d’être en nomination pour le JUNO d’Ingénieur de l’année.

« C’est la chose la plus fondamentale, que ce soit en studio ou dans le domaine de l’A&R. Le point commun est simple : apprendre à écouter. »

Il s’est ensuite rendu chez EMI Music Canada où, au fil des années, il a fini par devenir le directeur principal de l’A&R avant de passer chez Universal Music Canada, lorsque celle-ci a acquis EMI. « J’ai passé des années magnifiques chez Universal et EMI, j’ai appris plein de choses d’un tas de gens fantastiques », avoue Hill. Parmi ces gens se trouvaient Randy Lennox, Deane Cameron et Jeffrey Remedios.

« Ce que je veux, c’est être un conseiller pour mes artistes », explique-t-il. « Je veux les aider à faire des albums et les guider à travers ce processus. Je l’ai fait pendant si longtemps et pour tant de gens, je suis convaincu que j’ai un service à offrir, car il y a beaucoup de jeunes artistes qui font les choses eux-mêmes, parce que l’ère numérique le permet. »

Voilà le cœur de frazietrain : mettre au profit des artistes cette immense expérience en marketing, en promotion, et en création de relations avec les producteurs, agents, et autres joueurs de l’industrie.

Cette expérience est d’autant plus bénéfique pour les artistes avec qui il travaille de nos jours, puisque la barrière à l’entrée, du moins pour l’enregistrement et le lancement d’un album, est plus basse qu’auparavant. Ainsi, avoir accès au regard — et à l’écoute — neutre d’une personne qui a autant d’expérience tant en studio que dans le domaine de l’A&R est d’une valeur inestimable.

Fraser Hill, Shawn Hook

Quant aux avantages d’être indépendant, « il y a la fébrilité d’être seul, car on ne sait jamais ce qui nous attend au détour », dit Hill. « C’est stimulant, c’est entrepreneurial, et j’aime ça. Ça me ramène à l’époque où j’étais ingénieur, producteur et gérant à la fois. »

À l’époque, avant la révolution numérique, il fallait sauter à travers un certain nombre de cerceaux avant de pouvoir imaginer avoir accès à une expérience équivalente à celle de Hill. « Ce qui est bien avec la technologie, c’est qu’elle démocratise le terrain de jeu, tout le monde peut participer », dit-il. « De nos jours, il y a des gens incroyablement talentueux qui prennent la technologie à bras le corps et qui font leur marque dans l’industrie grâce à elle. Mais ça ne peut pas leur nuire d’avoir accès à une écoute impartiale pour se prononcer sur leur travail, quelqu’un de leur équipe qui puisse leur dire “je crois que cette pièce a besoin d’un peu plus de travail pour arriver là où tu veux aller et ton donner un résultat vraiment satisfaisant”. »

Même si, en fin de compte, un artiste doit prendre ses propres décisions, il ne peut pas souffrir du fait de bénéficier d’un guide expérimenté. Et dire que Fraser Hill possède une expérience unique pour être ce guide est en nomination pour l’euphémisme de l’année, puisqu’il a été producteur/ingénieur pour des artistes tels que Anne Murray, Red Ryder, Grapes of Wrath, The Northern Pikes, et plusieurs autres, en plus d’être représentant A&R pour Serena Ryder (la première artiste qu’il a mise sous contrat chez EMI), Shawn Hook, les lauréats du SOCAN Songwriting Prize 2015, Dear Rouge, The James Barker Band, Wes Mack, July Talk, These Kids Wear Crowns et Kreesha Turner.

Il travaille toujours avec les artistes qu’il a connus durant son séjour chez Universal et il planche actuellement sur le prochain album de Donovan Woods.

Tout au long de sa carrière, la chose qui lui a le plus servi c’est « de toujours écouter ». C’est la clé de tous les aspects de sa carrière. « C’est la chose la plus fondamentale, que ce soit en studio ou dans le domaine de l’A&R. Le point commun est simple : apprendre à écouter et apprendre à laisser la musique nous pénétrer… Avoir une écoute critique et prendre les bonnes décisions musicales au service de la chanson. »