Exactement six ans après La grande nuit vidéo, Philippe B offre Nouvelle administration, un album qui nous permet de le reconnaître à chaque mélodie, le rencontrer à nouveau dans chaque histoire ou presque. L’auteur-compositeur-interprète revient avec tout ce qu’on a toujours aimé de lui : une autofiction malléable dans laquelle on finit par se voir quelque part soi-même.
« J’aime l’ironie d’un resto qui change de proprio, qu’on voit l’immense affiche de la nouvelle administration alors que c’est le même menu et le même gars qui fait la soupe », lance d’emblée Philippe B pour expliquer le titre de son sixième album. Dans sa vie, la bouffe du resto demeure la même. Ce qui a changé, c’est la vie. Devenu papa un an avant le début de la pandémie, Philippe B a composé les textes et les mélodies de Nouvelle administration au cœur d’une bulle familiale renouvelée qui a modifié son propos dominant.
« Cet album, c’est Philippe B qui fait du Philippe B. En pandémie, je n’étais pas en train d’essayer de me réinventer, mais plutôt en train de vérifier si j’existais encore », explique-t-il. Retrouver des similarités entre ses nouvelles pièces et les anciennes était pour lui rassurant dans ce contexte pandémique. « Le fait que mon personnage, moi-même, aie changé en devenant père, c’était suffisant pour moi comme renouveau. Ce sont des chansons qui disent autre chose et j’ai réussi à maîtriser ma normalité. »
Grand patron de cette nouvelle administration, Philippe B a tout construit lui-même. Guido del Fabro (violons), Émilie Laforest (voix), José Major (batterie) et Philippe Brault (basse) se joignent à l’auteur-compositeur-interprète qui autrement se fait maître des arrangements, du mixage et de la réalisation de l’album.
« C’est la première fois que je fais le mixage aussi, dit-il. Guido a été ma deuxième oreille pour tout. Il est arrivé assez tard dans le processus, mais je lui ai donné ce rôle-là. Il est capable de faire à la fois le commentaire de changement de fréquence, d’ajustement d’arrangement ou de modification du texte. Par-dessus tout, il me connaît, moi. »
Si devenir parent change la dynamique de la vie, cela se ressent durant les quelque 35 minutes de l’album. « On a été longtemps dans la dynamique du je qui est moi et du tu qui est ma blonde, ou un autre personnage, mais depuis la naissance de ma fille, le nous est un trio et le vous est un duo », raconte Philippe B. C’est le cas dans la chanson Les filles qui dépeint l’ensemble des angoisses, petites et grandes, qui peuvent habiter un homme qui constate, vulnérable, les heurts possibles de celles qu’il souhaite préserver des maux.
En dehors de sa trame de vie personnelle se dessinent deux histoires qu’il réussit à habiter bien qu’elles ne soient pas campées par « son » personnage : Marianne s’ennuie et Souterrain. Dans la première, Philippe B a choisi d’aborder la notion de polyamour et l’ensemble des possibilités qui se déclinent derrière le terme « aimer ».
« Le choix de nom, c’est la Marianne de Leonard Cohen, relate l’auteur qui ne voulait pas retracer trop clairement les contours de l’Histoire non plus. Je me suis demandé comment Marianne aurait vécu cette agentivité aujourd’hui. Elle était la muse de Cohen et leur amour à distance avait plusieurs particularités, mais au bout du compte, les jolies choses qu’on entendait dans les chansons venaient toutes de lui. J’ai fait comme si, pour une fois, on lui donnait le micro à elle. »
L’histoire de Souterrain s’érige quant à elle dans le contexte singulier du film du même nom, réalisé par Sophie Dupuis et sorti en 2020. « Pour faire fonctionner nos méninges durant la pandémie, ma maison de disques avait lancé un projet, à moi et à d’autres, pour qu’on fasse une fausse commande, comme si on devait écrire une chanson qui serait le générique du film. »
Nouvelle administration a mis du temps à naître et plusieurs de ses pièces sont nées plusieurs fois. « Je les écrivais et je me donnais le temps de les oublier pour y revenir, les redécouvrir et valider que je les aimais encore », se souvient Philippe, qui s’est adonné à un processus créatif dans lequel il a été « plus tout seul que jamais ».
À la fin, la chanson L’ère du Verseau met le point final à dix histoires qui se suivent sans se ressembler, malgré l’intense conviction de l’auteur-compositeur-interprète qui n’aurait pas voulu aborder autre chose que la paternité comme filon premier.
« Parler de sa nouvelle famille, c’est bien beau, mais c’est difficile à mettre en chanson sans que ce soit quétaine, rigole Philippe. Je voulais aussi qu’un gars qui n’est pas père pantoute puisse se construire sa propre interprétation. Je voulais retrouver mon Philippe caméléon qui peut être à peu près n’importe qui. Je pense, du moins j’espère, que ça a marché. »