En février et mars 2021, on a assisté à une prolifération soudaine et généralisée des jetons non fongibles (JNF ou NFT, en anglais, pour non-fungible tokens) dans l’industrie de la musique. Voici donc un petit guide qui explique leur fonctionnement.

Les JNF sont un moyen de vendre un morceau de musique unique (ou une peinture, une photo, un graphique, un collage, une vidéo, un écrit, ou n’importe quoi d’autre, semble-t-il), exclusivement à une personne, ou à un petit groupe de personnes, par le biais d’un jeton non fongible (JNF) – intrinsèquement lié à l’œuvre originale. En substance, l’acheteur achète la propriété d’un fichier de données qui contient la musique (ou une autre œuvre d’art) dans le cadre d’une transaction unique. La transaction est contrôlée par la technologie blockchain, une sorte de grand livre numérique capable d’enregistrer les transactions entre deux parties de manière efficace, vérifiable et permanente.

Pour l’instant, la seule façon d’acheter un JNF est à l’aide d’une cryptomonnaie nommée Ethereum. Une fois que l’artiste a approuvé la vente, le jeton d’Ethereum est déposé dans son « portefeuille » numérique et peut être transféré sur son compte bancaire et retiré sous forme d’argent réel. La combinaison de la technologie blockchain et des cryptomonnaies rend l’achat d’un NFT très sûr. Une fois que l’acheteur, ou un petit groupe d’acheteurs (généralement des fans de l’artiste), a acheté l’article, la seule façon pour quiconque de l’obtenir est de le revendre.

En général, il y a toujours un intermédiaire, car l’artiste vend au fan par l’entremise d’une société qui prend généralement un pourcentage pour faciliter la transaction et une commission pour l’énergie nécessaire à la création du jeton. Mais il se peut aussi que la transaction ne nécessite que peu de professionnels typiques à l’industrie musicale ; maisons de disques, services de diffusion en continu, fournisseurs de services numériques, agents, gérants, publicitaires, promoteurs, salles de spectacle, etc., tous peuvent être rendus caducs.

Il y a beaucoup d’argent à faire avec les JNF. Les transactions se font souvent dans le cadre de ventes aux enchères, ce qui fait grimper les prix pour des artistes très populaires. Un musicien canadien mondialement connu a vendu aux enchères une œuvre d’art vidéo accompagnée d’une démo de chanson pour environ 490 000 $CAD. Le groupe Kings of Leon a amassé plus de 2,5 M$ CAD en vendant des JNF de diverses versions exclusives, dérivés et produits dérivés de leur plus récent album, When You See Yourself. C’est semblable au sociofinancement ou aux avantages d’un abonnement Patreon, avec différents produits offerts par les artistes à leurs fans à différents prix ou niveaux de financement, sauf que dans le cas des JNF, la vente ne se fait qu’à un seul fan, ou à de très petits groupes exclusifs de fans, soit une seule fois, soit en édition très limitée.

Et l’argent peut être touché plusieurs fois. Comme ce sont les artistes qui fixent les conditions de la vente, ils peuvent décider de recevoir le pourcentage qu’ils veulent de toutes les ventes futures du produit, quel que soit le nombre de fois où il est revendu. Donc, par exemple : Si la personne qui a acheté l’œuvre d’art vidéo de ce musicien canadien pour 490 000 $ la revend 800 000 $ et que le musicien a établi une part de 20 % des ventes futures, il empochera 160 000 dollars canadiens supplémentaires lors de la revente. Et son œuvre pourrait être revendue de nombreuses fois.

Mais, selon les lois éternelles de l’offre et de la demande, pour faire monter le prix des JNF aux enchères, ou pour fixer un prix initial élevé, la demande doit déjà exister. Ainsi, si un musicien attire des centaines de fans plutôt que des centaines de milliers, ou des auditeurs occasionnels plutôt que des fanatiques purs et durs, il ne gagnera pas forcément plus d’argent avec des JNF qu’avec des offres de sociofinancement ou sur Patreon.

Le principal inconvénient actuel des JNF est qu’Ethereum est dommageable pour l’environnement. Voici un extrait du magazine Time publié le 18 mars 2021 : « Les critiques affirment que l’exploitation qui rend les NFT possibles est peut-être le moyen le plus direct pour l’humanité de gagner de l’argent en polluant la planète — Ethereum consomme environ 26,5 térawatts heure d’électricité par an, soit presque autant que l’Irlande, un pays de presque cinq millions d’habitants. » Mais cela pourrait s’améliorer avec le temps grâce aux nouvelles avancées technologiques, de sorte que le problème pourrait finir par être résolu.

À l’heure actuelle, le « buzz » autour des JNF semble davantage motivé par leur potentiel lucratif que par leur valeur musicale intrinsèque. Certains y voient l’avenir de l’industrie de la musique, d’autres n’y voient qu’une mode passagère. Seul le temps nous le dira.



Il vient tout juste d’avoir 18 ans et il est en dernière année de ses études secondaires à Mississauga, Ontario : Johnny Orlando est considéré par de nombreux observateurs de l’industrie comme le prochain auteur-compositeur-interprète pop canadien à percer sur la scène internationale, suivant les traces de son idole de jeunesse, Justin Bieber, et de Shawn Mendes.

Il est déjà sur la bonne voie si on se fie sur son immense popularité sur les médias sociaux : plus de 500 000 abonnés sur Spotify et 9 millions sur TikTok, et plus de 880 millions de « streams » de ses chansons. En 2019 et 2020, Orlando a remporté le MTV Europe Music Award du Meilleur artiste canadien, mais il précise modestement que « c’est un prix décerné par le public, par pas une quelconque académie. Je n’ai jamais vraiment été du genre à recevoir des récompenses, mais l’EMA signifie beaucoup, car c’est l’accomplissement des fans, pas le mien. »

Après une nomination aux JUNOs 2019 dans la catégorie découverte de l’année, Orlando est de nouveau en lice cette année, dans la catégorie Album pop de l’année pour son succès de l’an dernier, It’s Never Really Over.

Son immense succès de 2020, « Everybody Wants You », a cumulé plus de cinq millions de diffusions en continu à travers le monde, et Orlando est actuellement de retour dans les palmarès avec le simple « I Don’t », une collaboration avec les producteurs EDM de Toronto DVBBS.

« Nous n’avions qu’un seul démo de ce titre datant d’il y a quelques années et la seule piste de voix que j’ai enregistrée pour cette chanson date de cette époque », explique Orlando. « L’idée de collaborer avec DVBBS pour cette chanson n’est venue que tar l’an dernier. Je craignais que ce soit trop différent pour moi, mais en fin de compte, je pense qu’il est bon de faire preuve de variété dans le matériel que l’on publie. Je suis vraiment en amour avec ce morceau. »

“Plus t’écris de chansons, plus tu te rapproches de celle que tu adores absolument”

*« I Don’t » est principalement l’œuvre de l’auteur-compositeur australien établi à L.A. Louis Schoorl, et le texte très intimiste a touché Orlando. « J’ai besoin de croire pleinement à une chanson, et celle-là s’articule totalement autour de la peur de dire la vérité », dit-il. « C’est difficile d’avoir ce genre de conversations, surtout avec quelqu’un avec qui on est depuis un certain temps. C’était le cas à l’époque où j’ai enregistré “I Don’t”, et ça l’est toujours, pour être honnête. »

Orlando est de plus en plus impliqué dans la co-écriture de ses chansons et c’est une évolution qu’il accepte à bras ouverts. « Je ne suis vraiment pas un puriste lorsqu’il est question de choisir des chansons », dit-il. « Si j’aime vraiment une chanson et je crois en son message, ça n’a aucune importance pour moi qui l’a écrite. Cependant, je considère l’écriture de chansons comme un défi très stimulant dont je ne me lasse pas. Plus t’écris de chansons, plus tu te rapproches de celle que tu adores absolument. »

Il collabore avec un grand nombre d’auteurs-compositeurs de Toronto et de Los Angeles, et il admet sans ambages que le processus en est un fait d’essais et d’erreurs. « Au début d’un cycle d’album, il y a toujours quelques séances qui ne donnent rien de bon ! On n’arrive pas à trouver notre “groove”, mais on apprend quelque chose à chaque session. C’est une des raisons pour laquelle j’aime ça. »

Parmi les collaborateurs musicaux d’Orlando, on retrouve les Canadiens Geoff Warburton (qui coécrit souvent avec Shawn Mendes), Jeff Hazin, Nathan Ferraro, Matthew Burnett (qui est un des principaux coauteurs et coproducteurs de Daniel Caesar), Liz Rodrigues (qui coécrit des chansons pour Céline Dion) et Mike Wise, tandis que sa coauteure la plus fréquente reste sa sœur aînée, Darian Orlando. « Dans 90 % des cas, le travail se fait avec moi, Darian et un autre auteur », explique le jeune artiste.

Il se consacre actuellement à l’écriture et à l’enregistrement de nouveaux morceaux pour un album complet, dont la sortie est prévue pour la fin de 2021, mais Orlando admet que les concerts lui manquent cruellement. « C’est très difficile à décrire, mais la sensation que procure le fait de jouer en concert ne ressemble à rien d’autre de ce que j’ai pu ressentir », dit-il. « C’est un sentiment de fierté et de bonheur pur, comme surfer sur une vague de bonheur pendant tout le spectacle. Je veux être en tournée pour le reste de mes jours ! »



The Weather Station est sans doute le nom idéal pour l’entité musicale de Tamara Lindeman. Ses antennes sont attentives à tout ce qui se passe dans le monde et elle traduit les grands bouleversements climatiques en termes humains à travers des chansons sur des relations personnelles tendues.

Le plus récent album de Lindeman, Ignorance, a fait mouche et a été largement acclamé par la critique. Le New York Times a dit qu’elle rappelle Joni Mitchell tandis que The Guardian a qualifié Ignorance de « chef-d’œuvre », tandis que Pitchfork a qualifié le disque de « stupéfiant » et « inoubliable ». C’est en effet une aventure musicale avec des paroles qui font référence à nos sentiments de honte et d’ignorance crasse de la crise climatique, ainsi qu’à notre incapacité à communiquer réellement les uns avec les autres.

« Je crois que cet album a touché une corde sensible », dit Lindeman. « C’est puissant lorsque des idées et des émotions sont exprimées et que nous sommes tous au diapason. Au début, je ne savais pas si ces chansons parlaient de mes sentiments, de ceux que je ressentais chez les gens qui m’entouraient ou de ceux de la société dans son ensemble. Mais à mesure que j’écrivais, je me suis rendu compte que c’était souvent les trois à la fois et que c’était une chose positive à mettre de l’avant dans mes textes. »

En ouverture de l’album, « Robber » traite de la manière dont la dévastation de l’environnement est presque devenue un fait accepté pendant que nous n’y prêtions pas attention. « Le voleur ne te déteste pas », chante-t-elle (paroles librement traduites), « il avait la permission des lois, la permission des banques. »

« Je crois que c’est vrai », dit-elle. « Ces voleurs auxquels je fais allusion ne croient même pas que leurs actions sont négatives. Nous aimons pointer du doigt un méchant, mais cette chanson pose une question toute simple : et si personne n’était vraiment méchant, mais que des choses mauvaises se produisaient quand même ? Que fait-on avec ça ? Doit-on absolument trouver un méchant qui a l’air d’un méchant ? Peut-être pas — peut-être que tout ce que nous devons faire, c’est de gérer la situation actuelle. »

Lindeman souligne que certaines des chansons pourraient également faire référence à d’autres questions politiques, comme les pensionnats ou le fait de vivre sous l’administration Trump. « En intitulant mon album Ignorance, je voulais consciemment être un peu provocatrice », avoue-t-elle. « Le colonialisme est la même chose que le racisme ou le sexisme. Il s’agit d’une fausse ignorance apprise qui consiste à s’imaginer que l’on sait ce qu’est un autre être humain, ou à quoi sert une parcelle de terre. C’était difficile de ne pas sentir un lien entre le Trumpisme et la façon dont les gens vivent leurs relations amoureuses, les femmes en particulier. Ç’a mis à nu toutes ces dynamiques malsaines que nous acceptons depuis trop longtemps. Et pour moi, tout cela fait partie du même récit culturel du silence et de l’impuissance apprise. »

« C’est puissant lorsque des idées et des émotions sont exprimées et que nous sommes tous au diapason »

L’entraînante « Separated » reflète le manque de communication réelle que Lindeman a remarqué sur Twitter. « On est incapables de se parler », déplore-t-elle. « L’essence même de la communication et de la compréhension sont absentes de ces endroits où nous prétendons avoir des conversations. J’ai réfléchi à toutes les choses qui étaient séparées et j’en ai dressé une liste qui est accompagnée d’une bonne ligne rythmique accrocheuse, mais c’est en fait une description de toutes les façons dont nous refusons de nous comprendre. »

 Ignorance représente également un changement radical dans la musique de Lindeman, passant d’un folk à base de guitare à une palette plus large de références au soft-rock et à la pop des années 70, avec des claviers, des boîtes à rythmes et même un magnifique solo de saxophone jazzy par Brodie West.

« Quand j’ai commencé à écrire à la guitare, j’avais l’impression de toujours faire les mêmes changements d’accords et de tomber dans de vieilles habitudes, mais quand je suis passée au piano, cela a réveillé mon esprit créatif de manière positive et j’ai trouvé cela à nouveau vraiment excitant et amusant », dit Lindeman. « Utiliser une boîte à rythmes m’a ouvert les yeux sur l’idée de faire un album avec des aspects rappelant la pop des années 70 et 80. »

 « Je n’ai jamais vraiment compris le but des genres musicaux », poursuit-elle. « C’est en quelque sorte comme une courtepointe que j’ai cousu avec des morceaux de différents genres musicaux. J’aime pousser des choses ensemble, par exemple un style de batterie qui ressemble presque à de la musique de danse, et des cordes qui me rappellent la pop de chambre, et des guitares qui me rappellent le rock. Combiner tout ça est une belle façon d’atteindre une richesse esthétique. »

Le fil d’Ariane de cette courtepointe sonore est la voix de Lindeman, un doux soprano qui adoucit même les propos les plus sombres. « Je m’en suis beaucoup servi », explique l’artiste. « Je n’ai jamais appris à chanter fort, je trouve ça difficile et inconfortable. J’ai toujours chanté doucement et j’aime ça, parce que ma voix a cette expression qui est devenue ma signature. Sur mon album précédent, j’essayais de faire dire à ma voix un tas de choses sur le plan émotionnel, mais sur celui-ci, j’ai plutôt eu envie de laisser ma voix s’asseoir plus doucement et de laisser les instruments exprimer des choses que je ne peux pas incarner avec ma voix. »