Photo par courtesy/courtoisie. Left to right/De gauche à droite : Moneyphone, Jarrel The Young, Sael, Hunnah, kmoe
Nouvelle série ! « Les choix du mois de la SOCAN »
Article par SOCAN A&R | jeudi 8 octobre 2020
L’équipe de Paroles & Musique est ravie de vous présenter une nouvelle série intitulée « Les choix du mois de la SOCAN » dans laquelle nos représentants A&R nous proposent leurs plus récentes découvertes musicales par des membres SOCAN qui les ont particulièrement impressionnés. Nous espérons que cela vous donnera envie de les découvrir et d’explorer leur travail.
C’est en discutant avec Afie Jurvanen — plus connu sous son pseudonyme Bahamas — au sujet de notre dépendance, en tant que société, au fait d’être « occupés » et de l’adéquation que nous établissons entre oisiveté et improductivité — que je me suis souvenu d’une phrase écrite par l’auteur américain Thomas Pynchon : « Les rêves oisifs sont souvent l’essence même de ce que nous faisons. » En d’autres mots, l’oisiveté ne devrait pas être vue comme un vice, mais bien comme quelque chose d’indispensable.
« La rêverie est une partie importante de mon processus », dit Bahamas qui a quitté Toronto pour la Nouvelle-Écosse en compagnie de sa famille il y a deux ans. « Je crois fermement que l’ennui est vraiment important. J’ai grandi sans Internet et sans cellulaires, mais avec toute la liberté de courir partout », explique l’auteur-compositeur-interprète qui a grandi en Finlande puis a Barrie, Ontario, une banlieue-dortoir à environ une heure au nord de Toronto. « Ma mère me demandait rarement où j’allais. Elle me disait simplement de m’assurer d’être rentré pour souper. »
Tout va bien, madame la marquise
Bahamas cumule en moyenne plus de 2,5 millions d’écoutes par mois sur Spotify, pour un total dépassant les 450 millions à ce jour. « Lost In The Light », qui figurait sur l’album Barchords (2012) approche les 100 millions d’écoutes, tandis que « All The Time », le premier simple de son troisième album intitulé Bahamas Is Afie a récemment passé le cap des 70 millions d’écoutes. En plus de remporter le meilleur album alternatif adulte aux JUNOs 2019, son album Earthtones était également en nomination pour le Grammy de la meilleure ingénierie du son catégorie musique non classique. Jurvanen a reçu ce JUNO pour Bahamas Is Afieen 2015, la même année où il a été sacré Auteur-compositeur de l’année.
« J’admire les jeunes d’aujourd’hui, ils m’inspirent, mais que s’est-il passé avec l’ennui, se permettre de connaître l’ennui et la créativité qui est souvent le meilleur antidote à l’ennui ? »
Et n’allez surtout pas croire que c’est son déménagement en Nouvelle-Écosse — « il y a des rochers, des arbres, de l’eau et de l’espace pour tout le monde » — qui a eu cet effet sur son processus créatif. Il embrasse depuis toujours l’oisiveté, la rêverie et l’ennui. Il ne serait pas faux de dire que cette philosophie se manifeste dans son chant et son jeu de guitare merveilleusement désinvoltes.
Mais bien entendu, les apparences peuvent être trompeuses sur un album de Bahamas. À preuve : écoutez attentivement la magnifique collection de chansons figurant sur son cinquième album intitulé Sad Hunk (9 octobre 2020) — dont il dit lui-même que « ce sont les meilleures chansons que j’ai écrites — et vous serez tout aussi charmés et en admiration de son sens de l’autodérision, de sa vulnérabilité et de sa transparence.
« La question est : comment exprimer quelque chose à l’aide de mots qui sont mémorables et porteurs de sens », demande-t-il, et on sent bien que c’est là sa véritable raison d’être. « Et quand on y parvient, c’est tellement gratifiant ! »
Alors ! La Nouvelle-Écosse n’a pas eu d’impact sur son processus créatif… Mais devenir papa ? Absolument !
« Avant, je pouvais passer des heures à gratter ma guitare, mais je n’ai plus le loisir d’avoir tout ce temps », explique Bahamas. « Ç’a fait de moi un bien meilleur auteur, beaucoup plus efficace. Et, en toute honnêteté, je crois que s’améliorer professionnellement fait de nous une meilleure personne. »
Cela s’est traduit dans des chansons comme « Up With The Jones » où il remet en question son propre rôle dans notre société de consommation, ou encore « Wisdom of the World », la puissante dernière pièce du projet où il parle de pardon. « Il faut être son propre pire critique », dit-il. « Comme ça, tout ce que les autres peuvent dire sur votre travail ne vous affectera pas négativement. C’est très libérateur. »
« Le défi, par contre, c’est de chanter au sujet de vos relations avec les autres et avec le monde. Ça peut être assez difficile de gérer ça en temps réel. Ce que je veux dire c’est qu’au moment où une chanson donnée est lancée, le moment qui l’a inspirée appartient au passé et la question qu’il faut se poser, c’est comment rendre hommage à cet instant dans le temps ? »
Pourquoi le « hunk » est-il si triste ?
« Il y a une dizaine d’années, j’ai fait un “shooting” photo, et sur tous les clichés qui en sont ressortis, j’étais à moitié dans l’ombre et j’avais l’air de broyer du noir. Quand mon épouse a vu ces photos, la première chose qu’elle a dite, c’est “Whoa, sad hunk”, et depuis, c’est un “running gag” dans notre cercle d’amis. »
Ce qui nous amène à « Less Than Love », dont il dit que c’est la chanson la plus importante de l’album. « C’est le portrait d’un bref instant, et chaque strophe est mortelle », dit-il avec fierté. « Elle m’a frappé fort la première fois que je l’ai jouée. On était dans la voiture, ma femme et moi, et on pleurait. Les mots nous manquaient. »
Quant à « Wisdom of the World », elle a une sonorité totalement différente de ce que Bahamas a enregistré auparavant. « Elle est en tonalité mineure, ce que je fais rarement », explique l’artiste. « Je l’ai composée au piano. J’avais cette progression d’accords et la première strophe en tête, et le reste est arrivé très rapidement. Je parle de mon frère qui est alcoolique et toxicomane en rémission. Trouver une façon d’aborder ce sujet n’a pas été facile. »
« La dépendance n’affecte pas que la personne qui est aux prises avec cette dépendance », confie Bahamas. « Il s’est éloigné de moi, mais il a réussi un programme de réhabilitation, et sa vie a changé pour le meilleur. C’est vraiment beau à voir, en réalité. » La chanson d’une grande intensité se termine avec la phrase « I guess the whole thing’s about forgiveness » (librement : tout est une question de pardon) que Bahamas répète plusieurs fois.
« La seule façon de s’en sortir est le pardon », affirme-t-il. « C’est la seule façon de s’en sortir, mais il faut y arriver de manière pacifique et porteuse de sens. Je vais sûrement écrire d’autres chansons dans cette veine. »
Photo par studio blnk
Shreez : Changer sa vie
Article par Olivier Boisvert-Magnen | mardi 6 octobre 2020
« Pas t’m’entir, j’m’en foutais de la musique / J’suis gêné, je déteste l’attention », lance Shreez sur Plankton, percutant single de son premier album solo On frap. En deux lignes, le rappeur lavallois résume sa personnalité avec justesse, l’air de dire qu’il faudra trimer dur pour l’aborder. « Je suis un gars gêné, pas très sociable », confirme-t-il, au bout du fil. « Mais les entrevues, c’est mieux qu’avant. Je suis rendu habitué. »
Sa famille, elle, n’est toujours pas habituée à le voir devant les caméras ou sur les planches. « Ils n’y croient toujours pas… Pour eux, c’est un mystère que je sois capable de faire des spectacles, car j’étais tellement timide quand j’étais jeune. Mais à un moment donné, je me suis habitué, c’est tout. »
Bref, si Shreez est maintenant un rappeur, c’est une question d’habitude. Élevé au son de la côte Est américaine (Nas et Wu-Tang Clan notamment), l’artiste québécois de souche haïtienne a admiré Young Jeezy, Gucci Mane et 50 Cent à l’adolescence, avant de découvrir Chief Keef et toute la scène drill de Chicago, un dérivé plus sombre et cru du trap.
Loin de passer ses soirées à freestyler dans les parcs, comme le présupposent la plupart des histoires classiques du hip-hop, Shreez avait alors une attirance marquée pour le domaine de l’informatique. Ses amis Young Mic, Le Ice et, par la suite, Tizzo sont venus changer le cours de son destin. « À force de traîner avec eux en studio et de les voir chanter, j’ai décidé d’embarquer. Pour le fun, pour passer le temps. »
En 2018, Shreez est aux côtés de Tizzo lorsque sa carrière explose avec Ça pue, On fouette (Prix de la chanson SOCAN 2019), Pour un chèque et autres succès de leurs mixtapes collaboratives 51tr4p Fr4p50 et Fouette Jean-Baptiste, parues à quelques semaines d’intervalle.
« On habitait ensemble à ce moment-là, sur Henri-Bourassa. On s’est fait mettre dehors après trois mois, car on faisait trop de bruit. Les gars faisaient des instrus jusqu’à 5 heures du matin », se rappelle-t-il, amusé.
C’est là que le changement de cap s’est opéré. D’un jour à l’autre, Shreez a arrêté de se foutre de la musique. « Quand j’ai vu que ça marchait, ça m’a donné de la confiance… La confiance de dire que je pouvais faire ça de ma vie. Autrement, j’aurais pas continué. J’aime pas perdre mon temps. »
Ambitieux, le rappeur de 26 ans sait se faire concis, dans ses entrevues comme dans ses textes. « Mets-toi où tu veux / Mais jamais dans mon chemin / Ton opinion, garde-la pour toi / Comme Benjamin, j’m’en bats les reins », proclame-t-il sur Partie, y allant d’une référence pour initiés à une chanson du rappeur montréalais Benjamin Dokey (Bat les reins).
Cet état d’esprit autosuffisant l’a guidé durant la confection d’On Frap. « Je suis quelqu’un de têtu. Je fais à ma tête, mais je suis pas stupide non plus. S’il y a un conseil qui a du sens, je vais l’appliquer… Mais je veux toujours prendre mes décisions. »
Les productions d’Alain, P.C., DiceFly, RKT Beat, Ruffsound et Alex DaGr8 sont venues l’aider à prendre des décisions éclairées. « Tout part des instrus. Je force absolument rien : j’écoute un beat que je reçois et, si j’ai pas 2-3 bars qui me viennent en tête à la première écoute, je passe au suivant », explique celui qui a enregistré la majeure partie de l’album au légendaire studio de l’ingénieur de son M-Press Live dans le quartier Saint-Michel.
C’est d’ailleurs ce dernier qui aurait sorti Shreez de sa zone de confort sur Rose, l’une des chansons les plus mélodieuses de l’opus. « M-Press veut toujours que je chante », dit-il, en riant. « C’était pas quelque chose de naturel pour moi avant, car on choisissait toujours des beats plus trap avec Tizzo. »
Mais le registre d’influences du Lavallois, un très grand fan d’artistes au croisement du rap et du R&B comme Tory Lanez, va bien au-delà des tendances trap et drill. Omniprésente sur les compositions d’Alain (Rose, J’en dis, Caramel), la guitare donne une couleur originale à ses nouvelles pièces. « Le pire, c’est que c’était même pas voulu [qu’il y ait autant de guitares] ! Alain m’a envoyé plein de beats, et je me suis rendu compte par après qu’il y avait de la guitare sur presque tous ceux que j’ai choisis. »
Entre On frap et La vie gratuite, sa première mixtape solo parue en janvier 2019, l’évolution est notable. Beaucoup moins sombre et graveleux que son prédécesseur, qui regorgeait de références au commerce illégal et à la fraude informatique, le nouvel opus aborde des thématiques plus grand public… ou, disons, un peu moins nichées.
L’intro LVG 2Q (acronyme pour La vie gratuite 2e quart) fait le pont entre les deux projets. « J’avais des CVV pis des logs / Jamais eu les mains dans la drogue », y rappe Shreez, histoire de dissiper tout doute sur son passé. « L’intro, c’est une transition. Je fais pus ça, je vis pus de ça. Maintenant, je rappe », assure-t-il. « Il y a le Shreez d’avant et le Shreez de maintenant. »
« Né pour briller, j’l’ai réalisé récemment / Si j’ai changé de voie, c’est pas juste pour moi, c’est pour mes parents », confie-t-il, juste après sur Diamants. « Toute ma famille écoute ma musique, donc j’essaie que ce soit moins cru. Je le fais aussi pour mon enfant, même s’il ne comprend pas encore mes textes. »
On frap incarne un important changement dans la vie de Shreez. Outre l’amour du «kush», qu’il rappelle sur la puissante Loud, un seul élément semble relier « le Shreez d’avant et le Shreez de maintenant » : l’ardeur au travail.
« On frap, c’est comme ‘’on fouette’’, ça s’applique à tout le monde. C’est le concept de travailler dur. Que tu aies une job de bureau de 9 à 5, que tu fraudes ou que tu sois une danseuse, tu frap », énumère-t-il, à propos de l’expression emblématique de son argot. « Maintenant que je suis dans la musique, je travaille tout le temps. Pendant l’entrevue, y’a mon boy qui va venir me chercher pour aller au studio. Je vais aussi y aller demain, après-demain, après-après-demain… Je prends jamais de break. »