Que faut-il pour sortir de l’enfance? Chanter comme un adulte? Aborder la vie avec le regard et les mots des grands? Il faudrait demander à Nicolas Gémus qui du haut de ses vingt-deux ans joue de la musique d’expériences comme s’il avait quelques existences derrière la cravate. Il est dans la fleur de l’âge, mais il est plus que ça… il la cultive, cette fleur et elle est déjà très grande.

« Quand j’ai écrit la première chanson de l’album, j’avais 15 ans, lance Nicolas au sujet de Hiboux, son premier disque paru à La Tribu en juin. Puis, c’est à l’École de la chanson (de Granby), en 2016, que j’ai trouvé mon style d’écriture. » C’est seulement ensuite qu’il a fallu débroussailler tout ça et sélectionner le meilleur de tous les brouillons, un travail qui fut facilité par le réalisateur Stéphane Rancourt.

La légèreté de la jeunesse a quitté ses pensées et sa plume depuis quelque temps. L’insouciance glissant vers une conscience du réel plus éprouvante. « Au Camp en chanson de Petite-Vallée, j’avais écrit Girouette, assez légère, et ensuite est venue une charge émotive, se rappelle-t-il. J’ai eu des années assez difficiles au point de vue personnel. Il m’est venu un désir d’authenticité dans ce que je livre. Aller au bout de chaque chanson me permettait de faire le point sur ma vie et de repartir à neuf. »

À l’École nationale de la chanson, Mario Chénard et Frédéric Baron ont permis à Nicolas de se forger une plume solide. « Mario m’avait dit de faire des refrains qui avançaient, donc qui demeurent les mêmes, mais avec quelques mots qui changent. Ça m’a permis d’écrire Bunker de tes bras (Prix chanson coup de cœur SOCAN au Festival de Granby en 2017), raconte Nicolas. L’école mettait vraiment l’accent sur le fait de nous aider à trouver nos personnalités artistiques. »

La ligne directrice, le guide, la continuité, c’est une préoccupation forte de l’auteur-compositeur, mais « j’ai eu de la chance. Tire le coyote et Jonathan Harnois sont arrivés dans ma vie comme des mentors. »

Tire le coyote était l’invité d’honneur à la toute fin de son année à l’école de la chanson et il a pu jouer en sa présence. « Il m’avait parlé de ma chanson Derrière le bruit. Quand j’ai sorti Bunker de tes bras, il m’a présenté à La Tribu. Il s’est ensuite proposé pour le coaching d’écriture », relate le jeune homme.

L’auteur Jonathan Harnois qui est romancier, mais qui a également travaillé avec Dumas, entre autres, est intervenu par la suite pour « débloquer » des textes qui posaient problème. « C’est une belle bulle de création à laquelle j’ai eu droit, soutient le jeune auteur. Benoit (Tire le coyote) est très constructif sans être sévère et Jonathan a une sensibilité très complémentaire à la mienne. »

Dans un marché musical qu’il juge saturé, Nicolas Gémus compte sur son  authenticité pour percer les méandres de l’intérêt du public. « Il faut que j’envoie quelque chose qui est proche de moi, dit le Madelinot. L’album, c’est moi. J’ai donné ce que j’avais à donner. »

Même s’il amorce tout juste la vingtaine, Nicolas voulait éviter de se laisser mouvoir artistiquement par une certaine immaturité. « On me dit que j’aborde des thématiques bizarrement pour mon âge », dit-il en riant.

Il a en effet tout mis en œuvre pour quitter l’aspect juvénile de ses premières esquisses et voyager vers un propos qui pourrait durer dans le temps. « Ça m’a pris un bout avant d’arriver à un point où ce n’était pas juste d’écrire des chansons, c’était de savoir ce que je voulais dire, se souvient l’artiste. Mon propos est devenu chargé de sens. »

Ce que les critiques en disent
* « La qualité qui se dégage des 10 chansons de Hiboux nous donne l’impression que Gémus sera dans le paysage musical québécois pour longtemps. » – ICI  Musique
* « Un ensemble d’une cohérence surprenante, qui puise ses racines dans le folk mélodique des années 70 souvent teinté d’une facture orchestrale… et enrichi d’une poésie introspective à l’élégance naturelle, peaufinée à souhait. » – La Voix de l’Est

Depuis, ses chansons sont des impulsions. « La pièce va naître d’un coup, avec un couplet ou un refrain et je vais prendre du recul, trouver l’âme de la chanson. Et c’est le processus tortueux de terminer la chanson qui commence…, plaisante-t-il. L’amour et la peur m’est venue en trois heures alors que, la plupart du temps, ça me prend trois heures pour écrire une phrase. »

Il aime néanmoins se laisser surprendre par ce qui a envie d’émerger lorsqu’il est au repos. « C’est un peu tôt pour dire ce que je voudrais devenir, mais je suis un fan de folk des années 70. J’aime les jeux de guitare précis et les mots de Daniel Bélanger et Richard Desjardins aussi. Maintenant que mon album est sorti, c’est l’accalmie, pour moi. Je vais faire des premières parties, tourner un peu, mais je suis en mode post-tempête. »

La rigueur et l’intégrité sont gage de longévité pour l’auteur-compositeur-interprète et il croit que « ça se peut encore », une carrière qui dure toute la vie. « Chaque album sera un défi et on me dit que le deuxième est le plus dur, mais je pense qu’en termes de s’imposer des difficultés, j’ai déjà plafonné », assure le perfectionniste.



Jordan Coaker et Kristen Rodden-Clarke se sont rencontrés dans une chorale amateur en 2011 à Conception Bay South, Terre-Neuve, et ils n’avaient alors aucune idée que c’était le début de leur carrière musicale. Les deux plus jeunes membres de leur chorale ont été jumelés pour chanter un duo, et ils ont rapidement découvert qu’ils s’harmonisaient tout naturellement. « Les gens nous disaient que nos voix allaient vraiment bien ensemble », se souvient Rodden-Clarke.

Peu de temps après, elle est montée sur scène avec Coaker lorsque celui-ci jouait au centre-ville de St. John’s et c’est elle qui lui a fait connaître le duo folk américain The Civil Wars. Ils ont aussitôt partagé leur amour du style vocal de ce groupe. « On était carrément obnubilés », rigole Coaker.

Les années ont passé et Coaker et Rodden-Clarke ont emprunté la voie de la moindre résistance pour leurs créations musicales. « C’est fou comme les choses tombent tout droit du ciel pour nous depuis huit ans », explique Coaker au sujet de rencontres opportunes et de chances inouïes qui leur ont permis d’évoluer.

“C’est fou comme les choses tombent tout droit du ciel pour nous depuis huit ans.”—Jordan Coaker, Quote the Raven

Le premier EP de Quote the Raven, Misty Mountains (2016) a été mis en nomination pour des prix MusicNL dans les catégories Étoile Montante et Enregistrement folk/trad de l’année, ce qui leur a permis de rencontrer le réalisateur Chris Kirby qui allait réaliser leur premier album, Golden Hour, paru en 2018. Cette rencontre leur a également assuré une participation dans un camp d’écriture où ils ont pu collaborer avec Charlie A’Court, Keith Mullins, Gabrielle Papillon et Ian Janes, entre autres.

« Il y avait de la magie dans l’air pour chaque chanson que nous avons écrite et chaque artiste avec qui nous avons collaboré », se souvient Coaker. « On a écrit 14 chansons en quatre jours. »

Coaker et Rodden-Clarke ont bel et bien trouvé leur propre rythme de création. Coaker chante depuis l’âge de 17 ans et est souvent celui qui prend les devants côté mélodie, tandis que Rodden-Clarke a mérité le titre d’éditrice en raison du soin qu’elle prend à peaufiner et simplifier les chansons de son collègue (oui, ils ne sont que collègues, pas un couple amoureux). « J’écris des centaines de couplets, et elle arrive, change quelques trucs, et ça fonctionne ! » avoue Coaker.

Quant à Rodden-Clarke, elle a commencé à chanter à l’âge de 16 ans sur la recommandation de son professeur de piano, et la prochaine étape créative est de trouver les harmonies vocales. « Ça me vient naturellement », confie-t-elle. « On sait tout de suite quand on tient une chanson qui nous convient bien. »

Les deux artistes — qui décrivent leur musique comme de la pop/Americana — sont très conscients du fait qu’ils détonnent un peu dans le paysage musical de leur province où la demande est majoritairement pour la musique traditionnelle. « C’est parfois difficile de proposer de nouvelles sonorités ou de nouveaux genres », dit Coaker en ajoutant qu’il ne veut surtout pas avoir l’air négatif. « Il n’y a qu’une poignée d’endroits [à St. John’s] où nous savons que nous pouvons jouer devant un auditoire de bonne taille. »

Heureusement, ils aiment partir en tournée, surtout lorsque ça leur permet de s’arrêter dans de plus petites localités. Ils aiment tout particulièrement la côte ouest de Terre-Neuve où ils prennent le temps de s’arrêter lorsqu’ils doivent aller prendre le traversier qui les amène sur le continent. « Nous avons trouvé des petits hameaux où les gens sont réellement contents qu’on leur rende visite », explique Coaker avant d’ajouter qu’ils n’ont aucune intention de quitter leur province natale. « Ç’a vraiment été bon pour notre moral au fil des ans. »

Quote the Raven — un clin d’œil au célèbre poème d’Edgar Allen Poe — a également adoré voir leur auditoire en ligne grandir au cours des dernières années, particulièrement lorsque deux de leurs chansons ont été ajoutées à la liste d’écoute Folk and Friends sur Spotify. En date de juin 2019, leur simple « Laser Beam » a déjà cumulé plus de 195 000 écoutes. « C’est fou, dit Coaker, car nous n’avions aucune attente. Le pouvoir d’Internet nous a totalement épatés. »

Coaker et Rodden-Clarke travaillent actuellement sur leur prochain album et ils s’empressent de souligner que toute cette attention ne leur monte pas à la tête. Ils se disent plutôt reconnaissants pour chaque opportunité qui se présente à eux afin de partager leur musique, que ce soit à Terre-Neuve ou ailleurs.

« Nous allons nous en tenir à notre parcours, pour le moment, et prendre les choses comme elles viennent », affirme Rodden-Clarke. « Je ne vois simplement pas pourquoi nous ne ferions pas encore dans 10 ans ce que nous faisons maintenant. Tant que les gens aiment vraiment ce qu’on fait, on aime encore plus notre métier. »



Reeny Smith affirme que la chanson qu’elle a écrite dont elle est la plus fière est « Dream », une magnifique ballade au piano lancée en 2014 et qui invite l’auditeur à « rêver grand, pas rêver petit ». « C’est la chanson que j’écoute pour me motiver tous les matins », admet la Néo-Écossaise, même après toutes ces années. C’est également, d’une certaine manière, une chanson qui l’a aidée à surmonter sa peur de ne pas être une assez bonne auteure-compositrice.

Il y a même une trace de cette peur dans la note biographique sur Smith que l’on retrouve en ligne : « je n’ai jamais cru que j’étais une bonne auteure-compositrice ». Pendant longtemps, cette artiste R&B ne se considérait que comme une chanteuse. « Le plus gros obstacle que j’ai eu à surmonter, c’était ma propre insécurité et mes attentes », poursuit-elle en se remémorant cet état d’esprit. C’est lorsqu’elle a réalisé que sa musique — surtout ses premières chansons comme « Dream » — était une source d’inspiration non seulement pour elle, mais pour les autres également, qu’elle s’est sentie validée. « Voir que ma musique aide les gens m’a aidé à avoir confiance en mon écriture. »

En fait, la qualité de son écriture lui a permis de signer un contrat avec CYMBA Music Publishing. Les récompenses aident aussi, et récemment, Smith a reçu sa part de trophées, notamment le prix de l’artiste de l’année 2018 des African Nova Scotian Music Awards ainsi que la médaille d’or dans la catégorie R&B décernée par The Coast dans le cadre de sa liste « Best of Halifax ». Elle a également été finaliste dans deux catégories aux East Coast Music Award, cette année. Toute cette attention lui arrive dans la foulée de la parution, en 2018, de son premier album intitulé WWIII : Strength Courage Love, une collection de chansons pleines de soul qui proposent des éléments de gospel et de dance music et qui abordent les hauts et les bas de l’amour.

Il n’y a aucun doute que les provinces de l’Atlantique sont entichées de Smith, et ce sentiment est réciproque. « Je n’ai jamais ressenti le besoin d’aller vivre ailleurs », affirme-t-elle, consciente que les scènes musicales canadiennes majeures se trouvent à Toronto ou Montréal. « J’aime vivre ici et j’aime savoir que je suis un exemple du talent dont regorge la côte est. »