La réalité est que Nashville a toujours été une ville d’auteurs-compositeurs, attirant la crème des créateurs dans à peu près tous les domaines de notre industrie. Pourtant, le grand compositeur à succès Eddie Schwartz (« Hit Me With Your Best Shot », « Don’t Shed A Tear »), un vétéran qui représente la SOCAN à Nashville, dit que le flot récent de succès rock-alternatif internationaux a suscité un nouvel afflux de talents en visite.

« Deux des plus grands représentants de la sphère rock-alternative sont aujourd’hui établis à Nashville : les Black Keys et les Kings of Leon, dit M. Schwartz. Il ne fait donc pas de doute que leur présence à Nashville ces dernières années permet d’affirmer en toute légitimité que Nashville offre bien plus que de la musique country. La ville produit d’innombrables artistes et de nombreux Canadiens viennent travailler avec eux. Ça signifie qu’une foule de studios en ville sont occupés par des talents qui ne sont pas américains. Et ce cercle s’agrandit. »

Gordie Sampson, auteur-compositeur du Cap Breton, a connu un succès extraordinaire avec Carrie Underwood (« Jesus, Take The Wheel », « Play On »), Keith Urban (« The Hard Way ») et Bon Jovi (« Any Other Day »), parmi des dizaines d’autres, et affirme que même la musique country est en partie responsable du changement de perception concernant la Ville de la musique.

« Tant que le country acceptera l’influence de la musique pop, des gars comme moi pourront connaître le succès. » – Gordie Sampson

« Il y a beaucoup de musique pop dans le country aujourd’hui : pensez à Carrie Underwood, Taylor Swift, Rascal Flatts, Keith Urban. Ils représentent le côté pop du country. Tant que le country acceptera cette influence, des gars comme moi – et je suis vraiment un auteur de pop – pourront connaître le succès. »

Deux grands facteurs attirent aussi des créateurs et artistes non-country dans la région : la situation économique et le réservoir de talents qui semble illimité.

« On peut se trouver un logement “abordable” et il en coûte bien moins cher de vivre ici, » remarque M. Schwartz de la SOCAN. « Ça allège un peu le fardeau qui pèse sur ceux qui ont une inclinaison musicale parce que par définition, la chanson ne permet pas de prévoir ce que nous réserve le prochain mois. Et donc, dans un endroit comme Nashville, ca aide beaucoup.

« De plus, on y trouve d’énormes ressources – des studios, des musiciens et toute une infrastructure pour soutenir la musique, dont la plus grande part a été réservée au country. Il n’y a peut-être nulle part au monde où l’on trouve une telle concentration de ressources pour les gens qui veulent faire toutes sortes de musiques. »

Ce point a certainement été un argument de poids pour Joey Moi, qui a fait son premier voyage à Nashville en 2010 pour tâter le terrain et écrire pour l’ancien chanteur de Default, converti à la musique country, Dallas Smith.

Après avoir contribué au succès de noms comme Nickelback, Default, Theory of A Deadman, Faber Drive et Hinder, Joey Moi dit qu’il a été choqué quand, à l’invitation d’un auteur-compositeur local, Rodney Clawson (Jason Aldean, Luke Bryan), il a coproduit sa première session à Nashville pour « Keepin’ It Country », de Jake Owen.

« L’idée d’aller dans un studio et d’enregistrer une chanson au complet en une seule séance de trois heures m’était complètement étrangère, di Joey Moi. Je suis habitué à travailler avec des groupes mais je n’avais jamais engagé un groupe de musiciens professionnels. À l’heure, ça peut coûter très cher.

« Mais ces gars-la peuvent écouter une chanson une seule fois, n’avoir que quelques accords griffonnés sur un bout de papier, et la jouer comme s’ils l’interprétaient depuis des dizaines d’années. J’en suis encore abasourdi chaque fois.

« Ç’a vraiment changé ma façon de voir Nashville, ajoute-t-il. Si je disposais à Vancouver de la boîte à outils qui m’est offerte à Nashville, le résultat serait pas mal joli. »



Sally Folk est apparue dans le paysage musical en 2010 avec un premier album en anglais qui révélait l’empreinte laissée par les Ronettes, les Supremes et Cher sur sa musique, des affinités avec le style rétro-chic des sixties qui en ont fait d’emblée la petite cousine québécoise des Amy Winehouse et Duffy. Revoici Sally Folk pour un deuxième tour de piste… en français cette fois. Surprise de taille quatre ans plus tard, alors que la chanteuse propose un album homonyme dans sa langue maternelle.

« La transition vers le français s’est opérée tout naturellement, explique Sally. J’avais déjà quelques chansons en anglais. Mon gérant m’a suggéré d’en traduire une, pour voir. On n’écrit pas de la même façon en français. Le travail sur les métaphores et la sonorité des mots est très différent. Les mots ont souvent plusieurs significations et le jeu sur les niveaux de sens est intéressant. En anglais, tu peux répéter baby quatre fois en ligne, les gens vont aimer ça quand même. Changer de langue, c’est comme délaisser la physique pour la chimie. Je ne dis pas que je ne reviendrai jamais à l’anglais, mais j’ai ajouté une belle carte à mon éventail de possibilités. »

La candeur avec laquelle Sally Folk aborde son métier étonne et ravit. Elle démontre un solide sens de la fête, une maîtrise de l’art de se mettre en scène, beaucoup de curiosité et elle sait s’entourer. « Plus jeune, j’ai été en affaires, dit l’ancienne copropriétaire du bar Le Sofa à Montréal. J’ai évolué dans un milieu proche de l’univers musical, celui des boîtes de nuit. » Jusqu’à ce qu’elle décide de vendre ses parts pour partir en voyage et que l’envie d’écrire, de composer et de chanter la gagne.

« Les relations hommes-femmes, quel sujet inépuisable! Je m’inspire des situations inconfortables de la vie amoureuse. »

La femme d’affaires s’organise et finance elle-même la production d’un premier album. « Ça m’a coûté cher, j’ai misé tout ce que j’avais… À un moment donné, tu arrives à un âge où tu te dis : “Je fais un autre album ou je m’achète une maison?” » Dilemme. C’est alors que Sally Folk s’est tournée vers Entourage, la compagnie de production qui propulse Annie Villeneuve, Boom Desjardins, Stéphanie Bédard et Marianna Mazza. « La prise en charge de ma carrière par Entourage m’a permis de me concentrer sur la musique. Avant, comme je gérais tout, mon break je l’avais quand je montais sur scène pour m’éclater. Je suis contente d’être passée par là, car aujourd’hui je comprends bien les étapes de la chaîne déployée derrière l’artiste. D’ailleurs, la production continue à m’intéresser et j’ai des ambitions de ce côté. J’aimerais aider certains interprètes à éclore. C’est un projet que je me réserve pour plus tard. »

On la croirait évadée du Pulp Fiction de Tarantino avec sa chevelure noire coupée au carré, ses lèvres assorties à ses ongles carmin et cet air coquin qu’elle affiche. Sally Folk est l’alter ego de Sophia D’Aragon. « C’est plus qu’un rôle de composition. Les histoires que je raconte, je les assume. En leur ajoutant la touche fatale, le costume et la coquetterie de Sally Folk, qui me permettent de m’exprimer. Il y a une petite dévergondée qui sommeille en chaque femme. Sally est une extension de ma personnalité. »

Loin d’être mielleux, les textes entraînent l’auditeur en eaux troubles. Dans ces chansons de désamour, les infidèles sont heureux, les filles séduisantes et séductrices, les hommes du quartier sont irrésistibles et les amoureux, volages, préfèrent les effeuilleuses. On entre au cabaret. « Les relations hommes-femmes, quel sujet inépuisable! Je m’inspire des situations inconfortables de la vie amoureuse. » Et Sally a l’embarras du choix, puisant à la fois dans son expérience et dans celles de ses copines.

Musicalement, elle se permet quelques touches d’americana et de superbes arrangements de cuivres et de cordes signés Michel Dagenais (Jean Leloup, Marc Déry, Breastfeeders), grand complice des débuts, qui réalise l’album une seconde fois en plus d’y jouer comme musicien. « Je lui ai dit que musicalement, j’avais envie d’aller vers de nouvelles sonorités. » Dagenais venait d’enregistrer le superbe Chic de ville de Daniel Bélanger. On reste dans la palette country-lyrique, et tout cela avec une apparition de Bélanger lui-même sur « Les hommes du quartier ». « C’est si précieux à mes yeux. Un autre apprentissage que j’ai fait dans mon ancienne vie de femme d’affaires, c’est qu’on ne change pas une formule gagnante. Sally Folk, c’est mon visage, mais c’est aussi de précieux partenaires avec qui construire. Je sens que le projet prend son envol, c’est excitant. »

Et gageons qu’avec ses chansons en français, de nouvelles portes s’ouvriront dans les grands festivals estivaux, en ville, en région et pourquoi pas en Europe? « C’est mon souhait, car ma musique, je la fais pour la partager avec le plus de monde possible. En spectacle, je vis l’expérience exposant 1000 et l’aventure prend tout son sens. »



Le parcours artistique de l’artiste franco-ontarien d’origine togolaise Yao, né en Côte d’Ivoire, débute alors qu’il est encore enfant et qu’il se découvre un goût pour l’écriture et le théâtre. Arrivé avec sa famille à Ottawa en 1999, il est accepté au Centre d’excellence artistique de l’école secondaire De La Salle, options théâtre et écriture et création littéraire. Le jeune Yaovi est encouragé dans la voie de la musique par ses professeurs et par sa rencontre avec FLO, avec qui il forme bientôt le duo RenESSENCE et lance un premier album autoproduit en 2006 (2 faces d’une même âme). Les complices donneront par la suite quelques dizaines de spectacles.

Cette première expérience lui plaît, mais Yao est partagé entre sa passion pour la création musicale et la recherche d’un parcours plus traditionnel. Il poursuit des études universitaires en Finances et Sciences politiques, ce qui lui fait négliger sa carrière artistique pendant un certain temps. La piqûre le reprend malgré un bon emploi dans le domaine bancaire lorsqu’il tombe sur une vieille connaissance, Lynx, en 2009. Celui-ci possède son propre studio et sa compagnie de production et l’encourage à revenir à la musique. Cela donnera l’album très hip hop Généris, écrit par Yao, composé par Lynx et lancé en 2011. C’est à ce moment que Yao décide de consacrer sa carrière à sa musique, adhère à la SOCAN et commence à prendre en mains son destin.

« Parfois, on discutait d’un thème, par exemple un jour je lui parle de mon insomnie. Sonny [Black] m’envoie une musique. »

Il incorpore sa compagnie et se sert de ses études en finances pour gérer ses propres affaires. Encore plus crucial pour l’évolution de son style, il découvre le slam en 2012 et se joint à SlamOutaouais, équipe de la Ligue québécoise de slam (LIQS). Entre-temps, il mijote le prochain album et cherche un collaborateur de prestige. C’est en la personne de Sonny Black – coauteur de nombreuses chansons à succès avec K-Maro, Dubmatique, Corneille et Marc Antoine, entre autres, qu’il trouvera la perle rare.

Comment se fait le contact? « Je l’ai approché tout simplement en lui écrivant une lettre. Je lui ai envoyé mon album Généris, et je lui ai demandé de le critiquer. Il a accepté, et il se trouve que ses commentaires rejoignaient exactement ce que je pensais. À partir de là, tout s’est enchaîné. Sonny a bien voulu retravailler avec moi l’album, et nous avons sorti une version Généris 2.0 pour usage promotionnel. »

Fin 2012 et début 2013, ils commencent à collaborer à l’album actuel, paru à l’automne dernier. Yao déménage à Montréal pendant deux mois pour vraiment créer une bulle créative avec Sonny. De cette collaboration très étroite naîtra Perles et Paraboles : l’album est enregistré pratiquement en parallèle avec son écriture. La méthode de travail? « Ça dépendait. Parfois, on discutait d’un thème, par exemple un jour je lui parle de mon insomnie. Sonny m’envoie une musique – qui deviendra “Solitude nocturne” – et par la suite j’ai écrit le texte. Et parfois c’était tout l’inverse. »