Nommez n’importe quel grand succès de la musique country des vingt et quelques dernières années et il y a de très fortes chances qu’il soit issu de Nashville, Tennessee.

Bien sûr, le Texas entre en ligne de compte, avec une touche provenant de Bakersfield, en Californie. Mais pour l’essentiel, un îlot d’une bonne trentaine de pâtés de maisons du sud-ouest de Nashville, surnommé Music Row, a joué le rôle de capitale de la musique country dans le monde depuis les années 1940. Ce quartier abrite étiquettes de disques, éditeurs de musique, agences de spectacle, studios d’enregistrement, bureaux d’administration, musiciens et tout ce dont vous avez besoin pour réussir en tant qu’artiste ou auteur-compositeur. C’est la Mecque de la musique country du monde moderne.

Mais depuis les cinq ou six dernières années, la « ville de la musique » du Tennessee fait plus que concocter les derniers succès de Taylor Swift, de Luke Bryan ou de Lady Antebellum et élargit ses horizons pour écrire des histoires à succès de vedettes du rock devenues millionnaires comme Kings of Leon, The Black Keys, Paramore et un Jack White relocalisé (et ses groupes The Raconteurs et Dead Weather), l’artiste de rap platine Young Buck et le groupe pop idole des ados Hot Chelle Rae, des genres musicaux qui donnent à la ville une réputation plus cosmopolite.

« La démarcation entre les genres est de plus en plus ténue, » admet Joey Moi, l’auteur-compositeur et producteur de Tumbler Ridge, C.-B., bien connu pour avoir coproduit plusieurs albums de Nickelback, qui se sont vendus en millions d’exemplaires, et qui a écrit pour ce groupe les succès « Gotta Be Somebody » et « Something in Your Mouth ».

Joey Moi a passé les deux dernières années à Nashville comme partenaire de Big Loud Mountain, une étiquette, entreprise de gestion et agence artistique ayant produit six titres numéros un en ligne pour les artistes country Jake Owen et Florida Georgia Line, notamment, la chanson « Cruise », que Joey Moi a coécrite et qui a battu elle-même tous les records des titres country numériques en se vendant à six millions d’exemplaires. Pour Joey Moi, l’expérience a été stupéfiante.

« Il y a des milliers de talents tout autour de nous qui n’attendent qu’à se mettre quelque chose sous la dent. » – Joey Moi

« Je découvre que Nashville est extrêmement riche en talents et pas seulement dans le genre country, dit-il. La première fois que j’y suis venu, je n’en revenais pas de voir autant de talents réunis en un même endroit. Il y en a encore des milliers tout autour de nous qui n’attendent qu’à se mettre quelque chose sous la dent. Et le mot ne fait que commencer à circuler. »

On peut toujours se demander si ce changement de perception autour de Nashville est un nouveau phénomène ou non.

« Je dirais que c’est plus évident maintenant, » remarque Terry Sawchuk, de la ville d’Espanola, en Ontario, un auteur-compositeur et producteur aujourd’hui établi à Nashville, qui s’est hissé au sommet des palmarès avec « Barefoot Blue Jean Night » de Jake Owen et qui a travaillé avec le chanteur de jazz Matt Dusk, lauréat d’un prix JUNO, sur la plupart de ses albums.

« Quand je parle avec les partisans de la vieille école – comme tous les Roger Cooks de ce monde avec des chansons comme “I’d Like To Teach The World To Sing” et “Long Cool Woman In A Black Dress”, ou bien les gars des années 70 qui sont ici depuis toujours – ils disent que tout va par vagues. Les auteurs de Los Angeles débarquent ici à tous les deux ans parce qu’il y a plus d’action dans le coin. Il y a toujours eu une sorte de mouvement transitoire, et dans tous les styles.

« Si on regarde les musiciens accompagnateurs, les auteurs-compositeurs et les artistes, traditionnellement, ils ne sont pas de Nashville. Ils viennent ici pour y trouver des talents, un travail régulier et parce que le coût de la vie y est plus abordable. Ils apportent avec eux diverses influences, qui jouent un grand rôle dans la composition musicale de cette communauté. On peut affirmer sans se tromper que Nashville est la Silicon Valley de la musique. »

Sawchuk insiste sur le fait que Nashville, comme sanctuaire exclusif de la musique country, est en train de changer.

« Parce qu’il y a une infrastructure, les genres dans lesquels j’ai toujours écrit bénéficient de plus d’acceptation maintenant, de plus d’avenues, explique-t-il. Par exemple, l’éditeur avec qui je travaille, Kobalt Music Publishing, est surtout une entreprise internationale et me présente des extraits de musique pop d’Allemagne et de Pologne, ainsi que des films et des émissions de télé de Los Angeles. »



Sally Folk est apparue dans le paysage musical en 2010 avec un premier album en anglais qui révélait l’empreinte laissée par les Ronettes, les Supremes et Cher sur sa musique, des affinités avec le style rétro-chic des sixties qui en ont fait d’emblée la petite cousine québécoise des Amy Winehouse et Duffy. Revoici Sally Folk pour un deuxième tour de piste… en français cette fois. Surprise de taille quatre ans plus tard, alors que la chanteuse propose un album homonyme dans sa langue maternelle.

« La transition vers le français s’est opérée tout naturellement, explique Sally. J’avais déjà quelques chansons en anglais. Mon gérant m’a suggéré d’en traduire une, pour voir. On n’écrit pas de la même façon en français. Le travail sur les métaphores et la sonorité des mots est très différent. Les mots ont souvent plusieurs significations et le jeu sur les niveaux de sens est intéressant. En anglais, tu peux répéter baby quatre fois en ligne, les gens vont aimer ça quand même. Changer de langue, c’est comme délaisser la physique pour la chimie. Je ne dis pas que je ne reviendrai jamais à l’anglais, mais j’ai ajouté une belle carte à mon éventail de possibilités. »

La candeur avec laquelle Sally Folk aborde son métier étonne et ravit. Elle démontre un solide sens de la fête, une maîtrise de l’art de se mettre en scène, beaucoup de curiosité et elle sait s’entourer. « Plus jeune, j’ai été en affaires, dit l’ancienne copropriétaire du bar Le Sofa à Montréal. J’ai évolué dans un milieu proche de l’univers musical, celui des boîtes de nuit. » Jusqu’à ce qu’elle décide de vendre ses parts pour partir en voyage et que l’envie d’écrire, de composer et de chanter la gagne.

« Les relations hommes-femmes, quel sujet inépuisable! Je m’inspire des situations inconfortables de la vie amoureuse. »

La femme d’affaires s’organise et finance elle-même la production d’un premier album. « Ça m’a coûté cher, j’ai misé tout ce que j’avais… À un moment donné, tu arrives à un âge où tu te dis : “Je fais un autre album ou je m’achète une maison?” » Dilemme. C’est alors que Sally Folk s’est tournée vers Entourage, la compagnie de production qui propulse Annie Villeneuve, Boom Desjardins, Stéphanie Bédard et Marianna Mazza. « La prise en charge de ma carrière par Entourage m’a permis de me concentrer sur la musique. Avant, comme je gérais tout, mon break je l’avais quand je montais sur scène pour m’éclater. Je suis contente d’être passée par là, car aujourd’hui je comprends bien les étapes de la chaîne déployée derrière l’artiste. D’ailleurs, la production continue à m’intéresser et j’ai des ambitions de ce côté. J’aimerais aider certains interprètes à éclore. C’est un projet que je me réserve pour plus tard. »

On la croirait évadée du Pulp Fiction de Tarantino avec sa chevelure noire coupée au carré, ses lèvres assorties à ses ongles carmin et cet air coquin qu’elle affiche. Sally Folk est l’alter ego de Sophia D’Aragon. « C’est plus qu’un rôle de composition. Les histoires que je raconte, je les assume. En leur ajoutant la touche fatale, le costume et la coquetterie de Sally Folk, qui me permettent de m’exprimer. Il y a une petite dévergondée qui sommeille en chaque femme. Sally est une extension de ma personnalité. »

Loin d’être mielleux, les textes entraînent l’auditeur en eaux troubles. Dans ces chansons de désamour, les infidèles sont heureux, les filles séduisantes et séductrices, les hommes du quartier sont irrésistibles et les amoureux, volages, préfèrent les effeuilleuses. On entre au cabaret. « Les relations hommes-femmes, quel sujet inépuisable! Je m’inspire des situations inconfortables de la vie amoureuse. » Et Sally a l’embarras du choix, puisant à la fois dans son expérience et dans celles de ses copines.

Musicalement, elle se permet quelques touches d’americana et de superbes arrangements de cuivres et de cordes signés Michel Dagenais (Jean Leloup, Marc Déry, Breastfeeders), grand complice des débuts, qui réalise l’album une seconde fois en plus d’y jouer comme musicien. « Je lui ai dit que musicalement, j’avais envie d’aller vers de nouvelles sonorités. » Dagenais venait d’enregistrer le superbe Chic de ville de Daniel Bélanger. On reste dans la palette country-lyrique, et tout cela avec une apparition de Bélanger lui-même sur « Les hommes du quartier ». « C’est si précieux à mes yeux. Un autre apprentissage que j’ai fait dans mon ancienne vie de femme d’affaires, c’est qu’on ne change pas une formule gagnante. Sally Folk, c’est mon visage, mais c’est aussi de précieux partenaires avec qui construire. Je sens que le projet prend son envol, c’est excitant. »

Et gageons qu’avec ses chansons en français, de nouvelles portes s’ouvriront dans les grands festivals estivaux, en ville, en région et pourquoi pas en Europe? « C’est mon souhait, car ma musique, je la fais pour la partager avec le plus de monde possible. En spectacle, je vis l’expérience exposant 1000 et l’aventure prend tout son sens. »



Le parcours artistique de l’artiste franco-ontarien d’origine togolaise Yao, né en Côte d’Ivoire, débute alors qu’il est encore enfant et qu’il se découvre un goût pour l’écriture et le théâtre. Arrivé avec sa famille à Ottawa en 1999, il est accepté au Centre d’excellence artistique de l’école secondaire De La Salle, options théâtre et écriture et création littéraire. Le jeune Yaovi est encouragé dans la voie de la musique par ses professeurs et par sa rencontre avec FLO, avec qui il forme bientôt le duo RenESSENCE et lance un premier album autoproduit en 2006 (2 faces d’une même âme). Les complices donneront par la suite quelques dizaines de spectacles.

Cette première expérience lui plaît, mais Yao est partagé entre sa passion pour la création musicale et la recherche d’un parcours plus traditionnel. Il poursuit des études universitaires en Finances et Sciences politiques, ce qui lui fait négliger sa carrière artistique pendant un certain temps. La piqûre le reprend malgré un bon emploi dans le domaine bancaire lorsqu’il tombe sur une vieille connaissance, Lynx, en 2009. Celui-ci possède son propre studio et sa compagnie de production et l’encourage à revenir à la musique. Cela donnera l’album très hip hop Généris, écrit par Yao, composé par Lynx et lancé en 2011. C’est à ce moment que Yao décide de consacrer sa carrière à sa musique, adhère à la SOCAN et commence à prendre en mains son destin.

« Parfois, on discutait d’un thème, par exemple un jour je lui parle de mon insomnie. Sonny [Black] m’envoie une musique. »

Il incorpore sa compagnie et se sert de ses études en finances pour gérer ses propres affaires. Encore plus crucial pour l’évolution de son style, il découvre le slam en 2012 et se joint à SlamOutaouais, équipe de la Ligue québécoise de slam (LIQS). Entre-temps, il mijote le prochain album et cherche un collaborateur de prestige. C’est en la personne de Sonny Black – coauteur de nombreuses chansons à succès avec K-Maro, Dubmatique, Corneille et Marc Antoine, entre autres, qu’il trouvera la perle rare.

Comment se fait le contact? « Je l’ai approché tout simplement en lui écrivant une lettre. Je lui ai envoyé mon album Généris, et je lui ai demandé de le critiquer. Il a accepté, et il se trouve que ses commentaires rejoignaient exactement ce que je pensais. À partir de là, tout s’est enchaîné. Sonny a bien voulu retravailler avec moi l’album, et nous avons sorti une version Généris 2.0 pour usage promotionnel. »

Fin 2012 et début 2013, ils commencent à collaborer à l’album actuel, paru à l’automne dernier. Yao déménage à Montréal pendant deux mois pour vraiment créer une bulle créative avec Sonny. De cette collaboration très étroite naîtra Perles et Paraboles : l’album est enregistré pratiquement en parallèle avec son écriture. La méthode de travail? « Ça dépendait. Parfois, on discutait d’un thème, par exemple un jour je lui parle de mon insomnie. Sonny m’envoie une musique – qui deviendra “Solitude nocturne” – et par la suite j’ai écrit le texte. Et parfois c’était tout l’inverse. »