« Chantons ensemble », c’est l’invitation, en langue atikamekw, que lance depuis maintenant trois ans l’événement Nikamotan MTL. Présenté dans le cadre du festival Présence Autochtone, cette nouvelle édition (baptisée nicto, qui signifie « trois », en Atikamekw) demeure fidèle à sa mission de créer des ponts entre les cultures, en mettant de l’avant les artistes autochtones d’ici et d’ailleurs.

NikamotanNikamotan MTL, c’est la grande vitrine de l’organisme Musique Nomade, fondé en 2006 par la cinéaste Manon Barbeau sur le même modèle que son fameux Wapikoni Mobile. Ce studio ambulant s’est donné pour but d’amener le cinéma et la création audiovisuelle en général dans les communautés et Musique Nomade fait exactement la même chose pour la musique. Son studio mobile apporte dans les communautés autochtones de l’équipement et des ressources afin de créer des enregistrements de qualité professionnelle, mais il contribue surtout à créer un véritable réseau d’artistes autochtones émergents.

« On a trois mandats principaux : d’abord et avant tout, nous travaillons à promouvoir les artistes émergents issus des communautés autochtones », explique la directrice artistique Joëlle Robillard, qui assure aussi la direction artistique du spectacle Nikamotan MTL. « Il y a aussi un rôle de préservation, en constituant une espèce de mémoire numérique, histoire de garder vivante une culture qui s’est longtemps transmise de façon orale. Finalement, on fait un travail de représentativité dans les festivals; qui est une autre façon de promouvoir le talent, tant ici qu’à l’étranger. »

Le travail de réseautage se fait tant à l’échelle de la province et du reste du Canada qu’à l’étranger, dans les grandes rencontres de musiques folk du monde entier. C’est en fréquentant des événements comme le Womex ou le Folk Alliance que Joëlle a rencontré le groupe finlandais Vildá, duo féminin qui porte fièrement le flambeau de la culture Sami, un peuple autochtone de Laponie. Vildá sera sur scène à l’occasion de Nikamotan MTL. « C’est toujours un stress de monter un événement avec autant de pièces différentes, surtout qu’on met en collaboration des artistes qui parfois ne se connaissent pas, mais ça donne lieu à des rencontres magiques. Parfois ce sont les artistes qui influencent la programmation: lorsque j’ai contacté Lido Pimienta (récipiendaire du Prix Polaris en 2017) et que je lui ai demandé avec qui elle voulait travailler, elle a tout de suite suggéré de collaborer avec Pierre Kwenders. » Une rencontre entre l’Afrique et l’Amérique latine dans un festival dominé par les cultures autochtones d’ici, voilà une belle illustration de l’éclectisme que promeut Musique Nomade.

Grâce à son implication dans l’organisme, Joëlle Robillard est bien placée pour témoigner de la vigueur de cette fameuse « Renaissance autochtone », comme l’a baptisée Jeremy Dutcher, artiste de la nation Wolastoqiyik et gagnant du Prix Polaris en 2018. Et si l’abondance de talent ne fait aucun doute, elle remarque aussi que le public est de plus en plus avide de découvertes. « La musique et les arts, c’est un puissant outil de réappropriation culturelle pour les peuples autochtones. Il y a tellement de voix uniques qui émergent, mais il faut savoir y tendre l’oreille. Et je ne parle pas que du public : c’est toute l’industrie de la musique, qui a souvent exclu les artistes autochtones, qui doit se déconstruire pour recommencer sur des bases plus inclusives. »

On ne peut toutefois nier que les choses changent pour le mieux. Signe des temps, l’ADISQ remettra d’ailleurs pour la première fois cette année un Félix à l’artiste autochtone de l’année lors du prochain gala, une initiative que salue Joëlle Robillard. « Je pense que l’ADISQ a bien fait son travail en contactant les représentants des communautés et des organismes comme le nôtre. Ils ont aussi fait des aménagements à leurs critères de sélection pour faciliter l’accession des artistes des communautés autochtones », dit-elle.

Tout au long de la conversation, Joëlle répétera qu’elle souhaite ardemment que le regain d’intérêt envers les productions artistiques des Premières Nations, des Métis et des Inuits soit plus qu’un simple effet de mode « Quand on constate tout le talent qui se trouve dans les différentes communautés, il y a de quoi être optimiste. La première étape de notre travail consiste à faire tomber des murs; mais il faut aller plus loin et construire des assises solides pour permettre à cette culture de grandir. »

Le 9 août, Sur la Place des festivals

Trois artistes à découvrir lors de Nikamotan – MTL

Matt ComeauMatt Comeau
« On l’a découvert lors de nos passages dans les maritimes et c’est l’une des personnes les plus lumineuses et attachantes qui soient », explique Joëlle Robillard. Issu de la nation Mi’gmaq, le chanteur et guitariste du Nouveau-Brunswick Matt Comeau apparaît sur le EP All my People, créé lors d’un atelier organisé par Musique Nomade au Parc historique de Metepenagiag en 2017. « Il a une voix vraiment chaude et c’est un super guitariste qui fait une chanson pop fortement teintée de blues », précise Joëlle.

 

Soleil LauniereSoleil Launière
Cette artiste multidisciplinaire innue, originaire de Mashteuiatsh, est surtout « multitalentueuse », comme le dit Joëlle Robillard. Présentement artiste autochtone en résidence à l’École Nationale de Théâtre, Soleil Launière accumule les projets : elle chante dans le groupe Auen, travaille en théâtre et surtout en performance. « Ses performances de mouvement sont très marquées par la culture et la mythologie innue, notamment avec son évocation des créatures mi-hommes mi-bêtes qu’on peut d’ailleurs voir sur notre affiche. »

 

Quantum TangleQuantum Tangle
Originaires de Yellowknife, au Territoires du Nord-Ouest, le trio Quantum Tangle a remporté le Prix Juno du meilleur album autochtone en 2017 avec Shelter As We Go. « Ça faisait longtemps que je voulais les programmer, car j’aime beaucoup leur fusion de tradition et de modernité et leur son très cinématographique », explique Joëlle Robillard. « Ils utilisent les chants de gorge, habituellement chantés a capella par deux femmes, dans un contexte complètement différent. On leur a proposé de préparer quelque chose avec Lydia Képinski et et ils ont tout de suite embarqué. »



C’est une approche intuitive que Shauna de Cartier, fondatrice de la maison de disque indépendante Six Shooter Records, favorise en affaires.

Six Shooter Records, Staff

Les employés de Six Shooter Records. (Photo : Lyle Bell)

Originaire d’Edmonton, elle a fondé son label il y a près de 20 ans avec un seul artiste dans son écurie : Luke Doucet. Elle a par la suite déménagé son entreprise à Toronto où elle a élargi cette écurie avec l’ajout d’artistes reflétant réellement toute la diversité canadienne comme The Rheostatics, Zaki Ibrahim, The Strumbellas, Riit, William Prince et la gagnante d’un Prix Polaris, Tanya Tagaq, pour n’en nommer que quelques-uns. Neuf de ses 13 employés s’identifient en tant que femmes. Et Six Shooter Records, c’est également Six Shooter Management, Girl on a Horse Publishing, et le festival de musique Interstellar Rodeo d’Edmonton (et de Calgary, de 2015 à 2017). Elle a récemment reçu le Entrepreneur Award lors du gala des Canadian Independent Music Awards. Mais tout ce succès ne se serait jamais concrétisé si de Cartier n’avait pas écouté son cœur, comme elle l’affirme elle-même.

« J’écoute beaucoup mes émotions quand je prends des décisions », nous confiait-elle par courriel. « Je me demande comment je me sens quand je prends une décision par opposition à comment je me sens si j’en prends une autre. Ça peut sembler un peu éparpillé, mais j’appelle ça diriger avec le cœur. Mais toutes les autres parties de moi-même contribuent à ça, ma tête et mes tripes. Je suis consciente que c’est un style qui peut me rendre plus vulnérable que mes collègues, mais je suis en paix avec ça. L’art est une question d’émotions. »

C’est ici que je dois vous avouer que la solide conversation que j’ai eue avec de Cartier au début du mois de juin n’existe plus. Destinée cosmique ou cauchemar technologique, peu importe : tout ce dont nous avons discuté, les moindres détails de sa vie professionnelle, notre discussion sur la délégation des tâches et son rôle qui passe graduellement de gestion au quotidien pour se concentrer sur la stratégie de haut niveau, tout ça est perdu à jamais. À mesure que j’ai élaboré cet article à l’aide de mes notes, de mes recherches et des courriels qu’elle m’envoyait — des messages brefs mais complets qu’elle trouvait le temps de m’envoyer même pendant qu’elle dirigeait l’édition de cette année du Interstellar Rodeo —, j’ai réalisé qu’elle était sans aucun doute une décideuse. Son rôle dans le domaine de la musique au Canada a un impact réel sur des communautés et des artistes et il se résume à une approche empreinte de vulnérabilité.

On perçoit souvent la vulnérabilité comme une forme de faiblesse, mais une conscience émotive est une force indispensable et il n’y a aucun domaine où cela est plus vrai que le domaine des arts.

Six Shooter Records, Tanya Tagaq

Tanya Tagaq, signée au Six Shooter Records

Accorder plus d’importance à ce que l’on « sent bien » plutôt qu’à ce qui est « une bonne décision d’affaires » est ce qui a permis à Six Shooter de connaître autant de succès internationalement. Il y a bien eu des décisions qui, de son propre aveu, n’ont pas été particulièrement lucratives, mais elle sentait que sa passion pour le projet, l’artiste ou l’art en tant que tel en valait la peine. L’ajout de Tanya Tagaq, une artiste d’une brillance incomparable, à son écurie est une de ces décisions qu’elle a prises parce qu’elle sentait que c’était la bonne. Et elle ne s’est pas trompée.

Shauna de Cartier m’a également expliqué que les valeurs entrent en ligne de compte quand elle prend une décision et qu’elle adopte une stratégie, que ce soit dans le cadre d’un projet, de l’embauche d’un employé ou quoi que ce soit d’autre. Un bon alignement est crucial. « J’ai appris très tôt que tout est négociable : notre vision, nos objectifs, l’argent, la stratégie, etc. », dit-elle. « Mais nos valeurs, elles, ne sont pas négociables. Elles sont ce qu’elles sont. En réalité elles sont qui nous sommes. Si vous travaillez avec des gens dont les valeurs ne sont pas alignées avec les vôtres, la relation ne fonctionnera pas. »

Le slogan du label — « Life’s too short to listen to shitty music » (« La vie est trop courte pour écouter de la musique merdique ») — est en contraste avec cette approche émotive des affaires. Le slogan changera dans le cadre du 20e anniversaire du label, mais le sentiment de suivre son cÅ“ur demeure essentiel dans cette industrie qui suit trop souvent d’autres façons de mesurer le succès.



De rockeuse au cœur écorché à réalisatrice et compositrice de musique de film, la musicienne et femme d’affaires nourrit sa passion pour le court, le moyen et long métrage.

Anik Jean« Sois-sage, mon amour », sont les mots lancés par le personnage joué par Anik Jean à Nathan, son fils de six ans et demi en quittant pour la soirée en compagnie de son mari (joué par Jean-Nicolas Verrault). La gardienne, bête comme ses pieds, passera un mauvais quart d’heure gracieuseté du gentil petit monstre… Voilà en gros, le scénario du court métrage de douze minutes, Sois sage, qu’elle a récemment réalisé et présenté au Festival Fantasia dans le cadre des Fantastiques Week-ends du cinéma québécois. Produit par sa boîte de production, Nathan Films, qu’elle codirige avec Milaine Gamache. Elle est également partenaire avec son chum Patrick Huard dans Jesse Films, qui s’attarde aux longs métrages et à la télé.

« Je produis de la télé et du cinéma, je suis dans un boum de créativité, c’est hallucinant. Je joue au ping-pong avec mes projets. Et je veux prouver au monde du cinéma que je ne suis pas un imposteur ».

Anik Jean s’est aussi révélée avec Bon Cop Bad Cop 2. « Patrick me voulait. Trouvez-vous un plan B que je lui aie dit, mais dans sa tête de cochon, c’était moi. Il y a quand même 72 cues de musique pour une durée de 85 min de film, c’est une grosse charge. Par exemple, faire accélérer en musique des voitures qui ne vont pas assez vite. J’y ai mis beaucoup d’instruments à percussion pour susciter l’effet de vitesse. Parfois, on a besoin de douze secondes de musique, d’autres fois 47 secondes. Tout dépend de la scène. Dans Bon Cop 2, on sait qu’il y a de la musique, mais on ne l’entend pas ».

« J’aime être en studio, le processus est trippant, le travail de gang entre autres avec le réalisateur et le monteur, la communication est continuelle. Mais le plus difficile, c’est de plonger. Pour un film comme Bon Cop Bad Cop 2, je travaille avec des logiciels d’effets sonores digitaux qui reproduisent des bruits d’explosion ou de vrombissements, mais pour Sois sage, c’est moi au piano et Catherine Ledoux au violon. Y a des moments creepy que seuls deux instruments peuvent illustrer. J’étais dans mon élément parce que j’aime l’horreur, mais c’est important de bien calibrer la musique sinon ça va scrapper le film ».

Sois sage est le troisième film où elle appose aussi sa musique. En février dernier, elle présentait La Porte en ouverture des Rendez-Vous Québec Cinéma, un court métrage de 15 minutes dans lequel Huard tient le rôle d’un peintre agoraphobe. Puis en 2016, son film de 62 minutes Lost Soul, sans dialogues et purement musical lançait sa filmographie. L’artiste travaille présentement à l’écriture de deux longs métrages, dont un avec le maestro de l’horreur Patrick Sénécal comme conseiller à la scénarisation, et à la musique d’une série télé très connue dont elle ne peut en dévoiler l’identité pour l’instant.

« Martin Léon m’a aidé pour Bon Cop 2, toutes les fois que je freakais, je l’appelais, j’ai besoin de me faire sécuriser. Et Antoine Gratton a aussi été un allié indispensable. Je recevais des scènes montées du film pour m’inspirer et une fois visionnées, je lui chantais au téléphone des mélodies qu’il transcrivait sur des partitions musicales. Il a ajouté huit violons, quatre cuivres sur certains passages, c’est génial travailler avec lui. Autant que le guitariste Guillaume Doiron, un ami d’enfance, qui a tout un arsenal de pédales qu’il utilise savamment ».

Délaisse-t-elle pour autant sa carrière d’auteure-compositrice qui a pris son envol en 2005 avec un premier disque, Le Trashy Saloon, réalisé par Jean Leloup (Juno de l’album francophone). Et propulsée par sa présence en première partie des Rolling Stones au mois de janvier 2006 ? Ses Gibson Firebird et Télécaster Ron Wood Signature (elle possède 19 guitares) autographiées par Keith Richards et Ronnie Wood? Puis, sa ‘’Révélation de l’année’’ au Gala de l’ADISQ ?

« J’étais tannée de faire un album, une tournée, un album, une tournée. Mais là, j’ai commencé à écrire mon prochain disque. Et tu sais quoi ? Je suis allé au lancement du dernier disque de Jean Leloup c’est là que j’ai eu le gout de refaire un album. J’ai un concept dans ma tête de mix entre best of et collaborer avec des auteurs-compositeurs qui m’ont inspiré à faire de la musique. Je les ai appelés et ils ont accepté de se joindre à mon aventure pour mon prochain album. Alors on coécrira eux et moi quelques nouvelles chansons. »