Il n’aura fallu que trois EP et moins d’un an à Josie Boivin pour installer des bases solides hors du pays. Celle qu’on appelle MUNYA est loin d’en être à son premier pique-nique. La musique l’habite depuis toujours sous tant de formes diverses que le principal enjeu qui justifie une gestation si longue est l’abondance des possibilités. Que faire quand on sait tout faire?

C’est dans un programme Arts-Études au secondaire que MUNYA perfectionne le piano qu’elle avait déjà appris enfant. Puis un jour, alors qu’elle s’exécutait dans une imitation convaincante et non calculée d’une collègue de classe chanteuse d’opéra, les choses ont changé. « J’étais dans la cage d’escalier et il y avait beaucoup d’écho se rappelle la chanteuse. Le prof d’opéra m’a entendu chanter. Il m’a dit que je devrais faire de l’opéra. J’ai suivi des cours durant deux ans, sans arrêter le piano. »

Sortir de son cadre

L’opéra l’accompagne ensuite durant son cégep au Saguenay, puis elle quitte ensuite pour Montréal. « Je voulais voyager et mon focus n’était plus sur la musique », dit-elle.

Vous n’avez pas été induit en erreur, la musique de MUNYA n’est pas celle des grands théâtres classiques et vous ne retrouverez pas l’intégral de Puccini sur sa page bandcamp. « Je ne chante plus d’opéra aujourd’hui sauf pour ma famille qui aime bien ça, mais c’est vraiment une technique vocale musculaire qu’il faut entretenir, explique l’artiste. Ça m’a permis de contrôler ma voix et d’être vraiment confortable avec ma voix. En toutes circonstances, c’est rare que j’ai la voix fatiguée. »

C’est un intérêt marqué et soudain pour le jazz qui amène la Saguenéenne fraîchement débarquée à Montréal à retourner vers sa passion initiale. « J’ai commencé à écouter John Coltrane, Chet Baker, des icônes. Puis j’ai décidé de m’inscrire en jazz à l’Université de Montréal », se rappelle Josie.

Elle laisse tomber l’école assez rapidement et se retrouve néanmoins propulsée dans la musique comme jamais, musicienne auprès de Philémon Cimon, Alex Nevsky, Ouri, Stirling Groove, entre autres. « Mon problème avec la musique, c’est que j’aime tellement de styles, que je ne savais pas du tout lequel je voulais faire, évoque-t-elle. J’ai commencé à faire des remix de musiques que j’aimais, j’ai développé des skills de producer. »

En novembre 2017, elle commence à façonner son projet solo. Et le mot « solo » prend tout son sens, MUNYA plaçant ses deux mains sur tous les volants. « J’ai enregistré un peu de guitare et de drum avec deux autres musiciens, mais sinon je travaille toujours toute seule. J’ai un son qui est plus personnel, j’imagine, parce que c’est rare que les gens font tous les instruments en plus de produire et chanter. »

Trois EP électro vaporeux sont issus de la dernière année qui fut riche et chargée. Les trois épisodes de l’œuvre de MUNYA se suivent bellement, comme des saisons différentes d’une même vie. « Je ne voulais pas faire un album complet, c’était trop donner de mon âme d’un coup, dit Josie. L’attention reçue avec le premier EP m’a donné la confiance pour commencer à en écrire un autre. »

Prendre la route

Mai, novembre et mars. Trois arrêts sur la route et trois points de repère sur la carte routière : North Hatley, Delmano et Blue Pine… Un chalet estrien où tout a commencé avec une fenêtre sur le lac, un bar d’hôtel new-yorkais qui a semé un rêve rocambolesque donnant vie à La femme à la peau bleue de Vendredi sur mer et un endroit fictif découvert dans Twin Peaks de David Lynch. On dit souvent que de grandes choses se produiraient si les lieux pouvaient parler. Eh bien ils parlent une langue que MUNYA comprend.

Elle avoue partager ses productions le moins possible avant que le tout soit final : « Les gens te donnent des opinions et ça te fait douter de ce que t’as écrit. Après, le résultat est moins naturel. »

Travailler en solitaire, mais ne pas naviguer en solo : c’est ainsi qu’elle progresse, s’inspirant constamment des artistes qu’elle apprécie sans avoir besoin qu’on l’épaule au quotidien.

Le voyage de la voix

Le célèbre label Luminelle Records a pris MUNYA sous son aile très tôt dans ce voyage qui n’a que trois arrêts pour le moment. « Mon premier EP était indépendant et des blogues de musique ont partagé Des bisous partout. J’ai eu un review de Pitchfork et des gens partout en Europe et aux États-Unis ont commencé à m’écrire. Mais personne au Québec. »

Nul n’est prophète en son pays et malgré le fait que la chanson qui l’a fait connaître soit en français, ce n’est pas chez elle, au Québec, que sa carrière a pu prendre son envol. « C’est une histoire de timing, croit-elle. Le Québec, ça va toujours être chez moi. La vie, c’est des années, c’est pas juste des mois. Chaque chose en son temps. »

La première tournée de MUNYA, alors qu’elle avait deux spectacles solos à son actif, était une suite de spectacle sold out où elle assurait la première partie du groupe Cults aux États-Unis. « Le groupe, ce sont mes amis aujourd’hui. Ils m’ont vraiment aidée et je sais que quand je vais avoir progressé dans ma carrière, je vais vouloir aider les autres comme eux m’ont aidée. »

Pour Josie Boivin, la création, c’est « vivant » et les choses doivent bouger, on doit les laisser nous porter. « Il faut faire la musique pour soi-même. On est des humains, pas des robots, lance-t-elle. On absorbe les choses. Et j’ai l’impression que les modes de diffusion aujourd’hui nous permettent de nous laisser guider. De voir ce qui va arriver avec la création. On n’a pas de modèle. On n’a pas de recette. You just gotta keep your feet moving. »



Nul n’est prophète en son pays, dit l’adage. Sa déception est sûrement moins grande lorsque ledit prophète convainc à la place tout un continent. Quand le Montréalais d’origine tchadienne Caleb Rimtobaye a enfilé son costume d’AfrotroniX – littéralement, avec un casque à la Daft Punk – en 2015, l’Afrique au complet s’est prosternée devant lui. Au tour de l’Europe maintenant, en attendant que l’Amérique du Nord succombe à son tour à sa musique électronique inspirée des rythmes et chants d’Afrique.

AfrotroniXLes temps sont bons pour Caleb Rimtobaye, qu’on a traqué pendant trois mois avant d’enfin pouvoir s’entretenir avec lui tant son horaire de tournée était chargé. Dans un long portrait, le quotidien français Le Monde l’a récemment présenté comme le « musicien panafricain du futur ». En novembre dernier, Caleb Rimtobaye remportait le prix du Meilleur DJ africain au gala Afrima (All Africa Music Awards) tenu au Ghana, puis en février dernier à Montréal celui du Meilleur Artiste lors de la troisième cérémonie du Gala Dynastie célébrant « l’excellence Black au Québec ». Après quatre ans d’AfrotroniX, après surtout une quinzaine d’années à piloter le groupe afro-pop H’sao, cette reconnaissance n’arrive pas trop tard…

C’est en mijotant un nouvel album de H’sao que Rimtobaye a enclenché sa mutation en AfrotroniX : « Artistiquement, j’avais besoin d’un autre challenge, d’explorer un autre univers », confie le musicien, attrapé à Montréal entre deux avions. « Je n’avais pas envie de reproduire ce qu’on avait déjà fait. Aussi, j’ai toujours apprécié les musiques électroniques; à Berlin, j’avais rencontré plusieurs musiciens de la scène underground, j’aimais la manière dont ils travaillaient. J’ai eu envie d’associer tout ce qui est de tendance techno et électro à l’art africain ».

Art à prendre au sens global, puisque pour Caleb, « AfrotroniX, c’est un concept, un univers, une vision qui pointe vers l’afrofuturisme », courant littéraire et musical né dans les années 50 qui cadre l’Afrique (et sa diaspora) dans la science-fiction et qui, avec le temps, a permis d’imaginer une société africaine tout aussi avant-gardiste, notamment sur le plan technologique, que les sociétés occidentales. Récemment, le superhéros Black Panther est devenu l’icône de l’afrofuturisme, alors que des musiciens aussi variés que Sun Ra, Drexciya, Funkaldelic (George Clinton), Jlin et Janelle Monae ont aussi exprimé cette vision optimiste de l’Afrique.

Tous les aspects du projet AfrotroniX ont été réfléchis, des compositions jusqu’à la performance live, le costume de héros de l’espace, les visuels aussi conçus par le studio de création Baillat Cardell & Fils. « Je ressentais le besoin de montrer autre chose de l’Afrique. C’est un continent moderne, mais j’ai l’impression que les médias occidentaux ne s’intéressent pas forcément [à cette modernité]. La jeunesse aujourd’hui veut participer au mouvement et être des décideurs de l’avenir du monde, ils sont mondialistes aussi. »

Ce regard porté sur l’Afrique est non seulement au cœur de l’œuvre, dans les thèmes des chansons, mais surtout le déclencheur du projet, imaginé en 2011, concrétisé en 2015. « L’expérience avec H’sao m’a amené à revoir ma vision de la musique africaine. Il faut dire qu’on a beaucoup voyagé dans le monde avec ce projet, or je réalisais que notre musique restait, dans les yeux du monde, la musique d’une autre communauté. J’avais envie de présenter la musique africaine autrement », dit le musicien, qui s’était fait qualifier de « David Guetta africain » lors de sa première performance en Tanzanie, il y a quatre ans.

C’est tout le débat sur cette mal-nommée « musique du monde », encapsulée dans le projet AfrotroniX. Aux yeux de l’Occident, tout ce qui n’est pas de l’hémisphère nord est pelleté dans cette catégorie, « même si ce qu’on faisait avec H’sao était assez universel » dans son alliage de soul, de R&B, de pop, de reggae et de rythmes africains. « Je fais de l’électro africaine, précise Caleb. Sur le plan rythmique, je reprends beaucoup des polyrythmies africaines; l’ingrédient électronique ne sert qu’à les appuyer. La base de mes chansons demeure très africaine – davantage encore que ce que je faisais avec H’sao. Je travaille même avec des samples [d’enregistrements de musique africaine], des rythmes, mais aussi des voix, pour mieux rapprocher mon travail de la tradition. » Le prochain album d’AfrotroniX, prévu pour l’automne prochain, ira encore plus loin dans ce sens.

En voyageant comme Caleb l’a fait, avec H’sao à partir de 2001, puis avec le projet AfrotroniX, « tu réalises que ce que tu entends lorsque tu passes une soirée en boîte, c’est toujours la même musique. Du pareil au même, de l’Australie à l’Europe, jusqu’ici, en Amérique du Nord. Toujours le même style. C’est rafraîchissant d’avoir cette alternative des afrobeats, de la musique de club africaine. »



Le tourneur, principal allié de l’auteur-compositeur-interprète? En tous cas, nul doute qu’en deux décennies, ce métier a gagné du poids dans la balance musicale : le disque a beau piquer du nez, rien de remplacera le spectacle, l’artiste en chair et en os qui gagne son pain devant son public, avec ses compositions. Discussion sur le métier avec Louis Carrière, fondateur de la boîte Preste qui souligne vingt ans de tournées bien rodées.

Preste« En vérité, ça fait un peu plus de vingt ans que je fais ce métier », relève Carrière qui, dans une autre vie, tenait la basse au sein du groupe punk Tuniq’s, lequel a fait paraître un seul album en 1995 sur étiquette En Guard Records. « Jouer dans un band, faire des tournées, c’est une école », commente le tourneur professionnel. « Là-dedans, j’étais plus le gars qui organisait des spectacles dans des gymnases, mettons. Je produisais des shows, surtout punk et métal – de l’alternatif, comme on disait à l’époque… J’ai appris beaucoup, comment louer une salle, acheter un show, vendre des billets. C’était l’époque où on travaillait avec peu de choses, l’internet n’était pas tellement là. »

Le « fun » de monter des concerts allait vite devenir une perspective d’avenir pour Carrière, qui a fondé Preste en 1999 pour mieux structurer les tournées de ses amis de Grimskunk. « Au début, on était deux dans le bureau; tranquillement, des gens se sont greffés à moi. [Preste] a pris de l’expansion grâce à mon association avec [le label] Indica, qui commençait à être prolifique. Grimskunk a attiré d’autres groupes, j’ai compris qu’il y avait des besoins à combler, des services à offrir… autrement quelqu’un d’autre s’en serait chargé! »

Aujourd’hui, le bureau compte sept employés et prend en charge l’organisation de spectacles et de tournées d’une bonne trentaine d’artistes, principalement d’ici, tels que Klô Pelgag, Lydia Képinski, Half Moon Run, Voivod, Hubert Lenoir, Choses Sauvages, Sally Folk et Roxane Bruneau. Preste a grandi en s’éloignant de ses racines « alternatives » pour occuper un maximum de territoire, physique et musical.

« Avec le temps, tu rencontres d’autres gens, tu travailles avec d’autres artistes, commente Louis Carrière. Veux, veux pas, ton écurie s’ouvre à d’autres artistes, et pas seulement ceux dont tu es le plus grand fan… Tu finis par réaliser qu’eux aussi ont une histoire, du potentiel, et tu comprends mieux aussi la mécanique d’une tournée. Cette ouverture à des projets musicaux plus accessibles nous a aussi donné une certaine crédibilité auprès des salles plus grand public et des réseaux de diffusion, aussi auprès des festivals. »

Une chose distingue Preste dans notre industrie : dans ses bureaux on y gère la tournée, et uniquement la tournée. « Je dis parfois qu’on est une agence-boutique, si on veut ». Chacun son métier, aux autres de développer l’édition, la production d’album et de spectacles, le management d’artistes, même si ces dernières années, les structures de productions d’album ont de plus en plus pris en charge le « booking », pour reprendre l’expression anglaise consacrée.

Aux débuts de Preste, ce type d’entente contractuelle dite « à 360 degrés » n’existait pas vraiment, rappelle Louis Carrière. La chute des revenus liés à la commercialisation des enregistrements a transformé le modèle d’affaire de l’industrie, et ce type d’entente s’est répandu. Les labels produisent et organisent davantage la tournée des artistes, incités notamment par le régime de subventions servant à développer la dimension scénique d’un projet musical.

Or, les temps changent… encore : « Certains artistes ne veulent plus nécessairement ce type de contrats, observe le tourneur. Y’a eu une vague, y’a une dizaine d’années, beaucoup d’artistes signaient des 360. Ces dernières années, je me suis rendu compte que y’a du va-et-vient : des artistes qui avaient signé ce genre de contrats reviennent collaborer avec nous. »

Un conseil aux auteurs-compositeurs-interprètes?
« Je crois qu’en tant qu’artiste, il est toujours bon de tester son matériel, se mettre à l’épreuve, avant de se lancer dans une tournée avec ses attentes face au public, face au regard des gens, tester ce dont il est capable de faire sur une scène. Et ça, c’est facile de faire ça avec les amis, les collègues, les proches. Y’a qu’à investir un petit bar un dimanche soir, et tester le matériel sur ses amis, sur sa communauté pour voir s’ils sont capables de livrer la marchandise pendant une heure, une heure et demie, jouer les chansons correctement, surtout avoir du fun, ne pas avoir l’air de quelqu’un de stressé, histoire d’en arriver à pouvoir exister sur une scène et éventuellement faire une tournée. La répétition en local de pratique est une forme de test en soi, pourquoi ensuite ne pas tester devant public? C’est le conseil que je donne souvent aux nouveaux artistes ».

« Aujourd’hui, en parlant avec de jeunes artistes, je comprends que ce n’est pas nécessairement ce qu’ils recherchent. Pour eux, la maison de disques est simplement une autre entreprise de service. Signer avec un label n’est pas une finalité, plutôt le début de quelque chose. Et ils savent mieux ce dont ils ont besoin : ils choisissent de travailler avec telle ou telle structure pour des raisons bien précises, vont chercher le type de service qui leur sert le mieux. Les modèles d’affaires ont éclaté, voilà. »

Louis Carrière mesure combien le métier de tourneur a évolué ces dernières années. « La tournée est encore plus essentielle aujourd’hui, mais l’une des choses qui ont le plus changé, c’est l’urgence. Par exemple, si un artiste connaît un buzz avec une chanson, tous [les diffuseurs et salles] veulent l’artiste en spectacle. Avant, nous avions plus de jeu pour développer l’artiste; aujourd’hui, si une chanson lève, vite, il faut que le spectacle suive rapidement, même si l’artiste n’a pas encore de répertoire ou d’expérience de scène. »

« Par ailleurs, y’a des artistes qui veulent tourner à tout prix, mais l’effet du web, l’accès instantané aux œuvres de l’artiste, peut provoquer un effet inverse auprès du public. Pour certains artistes, par exemple, on constate que les billets se vendent peu, même si leur musique circule sur le web ou a trouvé sa niche sur YouTube. Ça rend mon rôle plus difficile. Je me demande si, à cause du web, le spectacle n’est plus la réponse évidente à la baisse des revenus du disque ».