S’il n’y a qu’une seule chose que vous devez savoir, à propos du producteur audionumérique Mohkom Singh Bhangal, alias Money Musik, elle se résume à ceci : Bhangal calcule qu’en 2020 uniquement, il a composé plus de 1000 « beats ».

« Cette année, je suis rendu à environ 460 », explique le « beat box » humain depuis la résidence de Los Angeles de Navraj Singh Goraya, mieux connu sous le nom de Nav, où Bhangal habite pour le moment. « Je fais un “beat” en à peu près 30 minutes. »

Actuellement, l’artiste qui entend la plupart de ses créations en premier est Nav, qui a vendu 15,3 millions de disques en tant qu’artiste et 3,7 millions en tant que producteur. Ses deux premiers albums à s’inscrire au sommet des palmarès Billboard ont été réalisés avec Money Musik aux commandes : Bad Habits en 2019 et Good Intentions en 2020.

« Bad Habits a été un moment génial », se souvient-il. « C’est le premier album majeur auquel j’ai participé. J’ai travaillé sur 14 des chansons et l’album s’est rendu au Numéro 1 – ça donne un sacré coup de pouce à la confiance en soi ! »

C’est aussi une sorte d’histoire de Cendrillon, car lorsque Bhangal était un adolescent de 15 ans, et que son intérêt pour la production et la réalisation de « beats » en était à ses balbutiements, à qui a-t-il demandé conseil ? Nav.

« À l’époque, il avait 500 abonnés et il publiait des vidéos de ses “beats” », se souvient Bhangal. « Et je me suis dit : “Je veux apprendre à faire ça”. » Il a donc envoyé un message à Nav et s’est renseigné sur ce qu’il devait faire pour s’établir en tant que producteur audionumérique. « Nav m’a dit FL Studio, Logic Pro, des haut-parleurs. La base, quoi. »

« Le lendemain de cette conversation, je suis allé avec ma mère chez Long & McQuade et – parce que je travaillais déjà le jour – j’ai acheté pour 2000 $ de matériel : un ordinateur, des haut-parleurs, un clavier MIDI, des trucs comme ça. Et depuis, je produis sans arrêt. »

C’est le seul contact qu’il a eu avec Nav, et au cours des trois années suivantes, Money Musik a travaillé avec des artistes locaux de Toronto comme K. Money, Pressa, WhyG, Casper TNG et LB Spiffy, ce qui lui a permis de se bâtir une réputation. Quelque temps avant de travailler sur le titre « I’m Fresh » de 88Glam en compagnie de Nav, les deux musiciens ont repris contact, et Bhangal a fini par travailler secrètement sur Bad Habits. « Je n’ai rien publié à ce sujet, donc personne ne le savait », admet-il.

Aujourd’hui, les deux hommes sont de grands amis et Money Musik insiste sur le fait que c’est la raison principale pour laquelle leur partenariat fonctionne si bien. « Je vis chez lui en ce moment », dit Bhangal, qui a également travaillé avec KILLY et a récemment produit l’intégralité de l’album Not By Chance de AP Dhillon et Gurinder Gill. « Au fil des ans, nous avons établi une connexion en collaborant dans le studio », dit-il. « Nous avons juste construit l’équipe, en la faisant ressembler à une famille, et pas seulement à un travail. »

Fidèle à son habitude, Money Musik remplit actuellement la maison de Nav avec les sons des « beats ». « Je crée continuellement de nouveaux “beats” », dit-il. « Je crée des “beats” tous les jours, alors ils s’empilent. Soit je vais au studio et je joue quelques rythmes, et s’il les aime, il peut dire à l’ingénieur de le télécharger et Nav y “drop” [ses lignes voix]. »

« Il fait aussi des “beats” – des fois il va jouer des mélodies et je vais créer les percussions. Normalement, quand on est en studio, on part de zéro. Mais il est arrivé que je joue un rythme et qu’il s’y mette directement, en fonction de l’ambiance. » Si Nav rejette un « beat », Bhangal le propose à d’autres artistes.

Bhangal, qui utilise toujours FL Studio 11, dit que le plus grand défi pour lui est l’arrangement de ses créations : « Il ne faut pas qu’il y ait trop de choses qui se passent dans le “beat” pour que l’artiste ait l’espace nécessaire pour rapper », dit-il. « Il ne faut pas que ce soit trop encombré. »

Banghal se concentre également sur l’expansion de sa palette sonore. « J’ai envie d’explorer les trucs plus sombres et épiques », explique-t-il. « J’aimerais faire de la musique classique et sombre, avec des cordes, des pianos, des flûtes, en utilisant de vrais instruments, bien sûr. Il faut qu’on ressente les émotions. En fin de compte, tout est une question d’émotions et de ce que tu ressens. Si ça m’apporte une émotion et que je la ressens, alors c’est sûr que j’aime ça. »

Pour l’instant, Money Musik travaille sur sa propre liste de lecture Spotify, et dit qu’il attend avec impatience le jour où il obtiendra enfin une chanson dans le Top 10 du Billboard Hot 100. Il n’est pas pressé. « Tout cela vient avec le temps, et quand cela viendra, ce sera une bénédiction », dit-il. « J’y vais étape par étape. »



En 1970, c’est le deuil: les Beatles deviennent le premier groupe de la jeune histoire du rock’n’roll à officiellement annoncer sa séparation. Mais en 1970, c’est également la manne : chacun des membres du quatuor lance des albums solos géniaux, innovateurs, ambitieux et/ou attendrissants (McCartney de Paul McCartney, John Lennon/Plastic Ono Band de John Lennon, All Things Must Pass de George Harrison et Sentimental Journey de Ringo Starr, et) ayant tous en commun cette même palpable ivresse propre à la liberté, lorsqu’on en a longtemps été privé. Les Beatles s’affranchissent des attentes et de leur passé.

Lumiere

Photo: Guillaume Plourde

« Il y a quelque chose que je trouve fort par rapport à cette émancipation-là et au droit qu’ils se donnaient de faire quelque chose par eux-mêmes », observe Étienne Côté, alias LUMIÈRE, qui se donnait lui aussi récemment le droit de faire quelque chose par lui-même: un album intitulé A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R.

Né à Sainte-Antoine-de-Tilly, sur la rive sud de Québec, Étienne Côté s’initie à la musique en passant des heures en tête-à-tête avec le piano de sa grand-mère, à qui il rend visite la fin de semaine. Il tient à dix-huit ans le rôle du batteur dans un groupe hommage à Jimi Hendrix, puis amorce plus tard à l’Université de Montréal des études en percussions classiques. Des études qu’il ne terminera pas. Pourquoi?

Parce qu’en 2014, son compatriote antonien Antoine Tardif l’invite à monter à bord de la tintamarresque caravane Canailles (dont on apprenait récemment la fin). L’auteur de ces lignes évoque au passage son affection pour le trio de power pop oblique Polipe, dont était jadis membre Antoine. Étienne s’emballe « Polipe a eu une grande importance pour moi ! Ç’a été des influences majeures. Quand j’avais seize ans, eux, ils avaient dix-huit, dix-neuf, et quand ils revenaient à Saint-Antoine-de-Tilly, ils nous invitaient à aller les voir jammer. »

Malgré ses expériences multiples et les nombreux instruments qu’il maîtrise, Étienne Côté mettra beaucoup de temps à s’autoriser à écrire ses propres chansons. « J’me fais pas assez confiance / La beauté est partout / J’me compare trop / Tout le monde est meilleur que moi / À mes yeux / Tout le monde est meilleur que moi », confie-t-il sur FREUD.EST. MORT, chaloupante séance d’autoflagellation portée par une partition de sitar très George Harrison (A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R fait autant écho aux foisonnements orchestraux d’All Things Must Pass qu’à la beauté bricolée de Ram de Paul McCartney).

« C’est tout moi, ça », confie Étienne au sujet de sa pernicieuse propension à se comparer aux autres. « C’est certain que c’est parce que j’avais peur que j’ai attendu aussi longtemps pour écrire ma première chanson [en 2016]. J’avais peur que ce ne soit pas assez bon. J’étais super exigeant. J’ai toujours eu cette envie-là, mais on dirait que je n’étais jamais rendu au bon moment. Je voulais que ma première toune, je la trouve bonne. »

Des bonnes tounes, A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R en contient plusieurs, pour le dire le moins. Album concept se déroulant en 1971, cette épopée lysergico-naïve, arpentant la frontière entre amour et amitié, met en scène un certain LUMIÈRE et sa compagne CRISTALE (Naomie de Lorimier, aussi connue sous le nom N NAO). Leur rencontre avec Briquette (Daphnée Brissette, avec qui Étienne jouait dans Canailles et joue toujours dans Bon Enfant), qui leur glissera sur la langue des friandises injectées de LSD, bouleversera leur cœur et leur imaginaire, pour le meilleur et pour le pire.

Fier nostalgique des années 1970, une époque qu’il n’a bien sûr pas connue, Étienne Côté emprunte au début de cette décennie charnière des sonorités, mais aussi un certain idéal, en témoigne ce mot à la fois chargé et évanescent dont il a affublé son projet. « Je trouve que lumière ça fitte quand même bien avec ce que j’essaie de transmettre dans mes chansons. C’est quelque chose que j’ai du mal à rejoindre dans ma vie. Au quotidien, ce n’est pas facile d’être quelqu’un de lumineux. C’est comme un idéal que j’ai, d’avoir une joie de vivre, une bonne humeur, une transparence, d’être capable d’être honnête. Pour moi, c’est ça, la lumière. »

A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R devient par ailleurs le troisième (magnifique) album de 2021 à porter la signature du réalisateur Alexandre Martel, après Sweet Montérégie d’Alex Burger et Cantalou de Thierry Larose. C’est lors d’un spectacle d’Anatole (projet glam rock de Martel) qu’Étienne Còté fait sa connaissance… et lui vole une carte de tarot. « Alex vendait à sa table de merch des super beaux jeux de tarot sérigraphiés. Je savais pas c’était quoi à ce moment-là, je pensais que c’était des cartes promotionnelles. J’en ai pris une. »

Il comprend plus tard qu’il a dépareillé un jeu. « Je me suis rendu compte que j’étais parti avec la carte du pendu, qui est maintenant ma carte préférée, parce qu’il y a une ambigüité dans cette carte-là. Le point de vue du pendu lui permet de voir le monde à l’envers », un peu à la manière d’un artiste. Étienne Côté attendra la fin de l’enregistrement d’A​.​M​.​I​.​E​.​S​.​A​.​M​.​O​.​U​.​R pour avouer son ancien larcin à son comparse, de crainte de saboter leur relation. Un souvenir qui le fait rigoler. « Je sais pas trop pourquoi j’avais autant peur, mais ça s’est bien passé. » Un véritable ami est celui qui sait pardonner.



David Lafleche avait en gestation ce projet de disque americana. Du folk à saveur country, des chansons introspectives astucieusement fignolées, on pense à James Taylor ici, ou Jack Johnson là. Un projet pas pressé. Le sien. Ses neuf chansons.

L’album s’intitule Everyday Son.

« C’est un portrait de ma vie en douceur, un album sur ma famille. À l’automne dernier, j’ai décidé de prendre ma retraite du monde de la télévision. Travailler comme un forcené pour me déguiser ensuite avant de monter sur scène, ça ne me tente plus. C’est ben beau travailler au (studio) MELS seize heures par jour pour quelque chose qui n’existe plus le lendemain, après toutes ces années, j’ai cette impression d’avoir fait le tour ».

Chef musical au Gala de l’ADISQ, directeur musical pendant plusieurs années à La Voix, Bons baisers de France, signataire de la trame sonore du film Starbuck, la vie trépidante à haute visibilité de David Lafleche, qui partage sa vie avec Marie-Mai, était devenue essoufflante.

« Mon job à la télévision c’était beaucoup de choses, pas juste directeur musical ou chef d’orchestre. À 49 ans, je sentais le besoin de me mettre en danger, de plonger dans le vide. Mais j’accepterai de temps à autre des contrats de télé pour des événements ponctuels ».

« Ce qui a été difficile, confie-t-il, c’est de me prioriser. De penser à moi. Pas juste une journée, confie le papa d’une fillette de quatre ans. Quelqu’un qui n’a pas le muscle de l’auteur-compositeur en place comme moi, je ne me dis pas go! j’écris une toune. C’est quoi ma voix, mon style, qu’est-ce que je veux dire ? Ç’a été long et même difficile de me donner l’espace pour le faire ».

Coréalisé avec Connor Seidel qu’on a pu voir aux côtés de Matt Holubowski, Everyday Son prend naissance à Nashville. Lafleche avait fait quelques pèlerinages dans la Music City auparavant, mais cette fois, il renoue avec son vieil ami du Berklee College of Music alors qu’il avait dix-huit ans, le batteur Fred Eltringham.

« Je l’ai retrouvé par pur hasard, vingt-cinq ans plus tard, sur le plateau de La Voix ! Il accompagnait Sheryl Crow. C’est comme si j’avais retrouvé mon meilleur ami. Il y a deux ans, on le couronnait meilleur drummer à Nashville ! »

Banjo, violon, contrebasse, pedal steel guitar, Lafleche est encerclé de bardes aguerris, des sommités de leurs instruments. « J’ai enregistré mon disque avec des inconnus qui ont un track record qui n’ont aucun sens. J’avais tellement de respect et d’admiration que je les laissais aller. Moi, j’étais au milieu et je jouais mes tounes ».

Une seule guitare fut utilisée pour tout l’album, sa chère Martin 00-18 édition 1946. « Si je trippais tant que ça à jouer de l’électrique dans mon studio, ça n’aurait pas donné cet album-là. L’amour que j’ai pour la musique, c’est d’abord un instrument qui vibre ! Je faisais du finger picking et les idées surgissaient ».

« J’enregistre tout le temps des petites idées de mélodies ou des flashs de 20 secondes sur mon téléphone. Par exemple, en étant assis sur le perron en train de regarder un huard, ça me donne une émotion, que je traduis en musique et je mets ça en banque. Et j’ai puisé dedans lors de mon séjour de cinq semaines à Nashville.

Fallait qu’on livre et dans ces situations je suis bon, c’est ce qui fait ma force à la télé. Quand je suis rentré à Montréal, toutes les trames instrumentales étaient enregistrées. Il restait les voix à faire et c’est à ce moment que Connor (Seidel) est arrivé ».

Écoutez Training Wheels, la résonance de cette guitare qui ronronne. Encore et toujours la douceur. Ou Counting Lights (David nous parle des allers-retours sur la 15), caressé par la pedal steel guitar de Russ Pahl. Ça touche là où ça fait du bien. We Collided en balade à la Jack Johnson n’est certes pas dépareillée dans ce bouquet americana.

« Mon partenaire Charles-Émile Beaudin qui a fait la prise de son de ces sessions a eu juste à lever les faders, il n’y a jamais rien dans le chemin de rien, c’est comme ça que je travaille », explique-t-il à propos de la clarté sonore de Everyday Son. Joe Costa a quant à lui mis toute sa compétence au mix final de l’album.

Marie-Mai a coécrit huit des neuf chansons en triumvirat et appose sa voix sur l’une d’entre elles, donnant la part belle des vocalises à Julie Da Silva, l’inséparable choriste de La Voix du guitariste. Sur Better Run, notre diva fait tandem avec son amoureux. « Mon défi en ce moment c’est de me souvenir de mes paroles. Marie-Mai, elle écoute une chanson une fois et elle va te la chanter au complet ! ».

Mais le réel béguin pour ce disque abouti de David Lafleche, au-delà de ces chansons brillamment construites et concoctées avec amour, c’est sa voix. D’une hallucinante efficacité, posée, jamais usurpée. Une voix en cuir véritable. On ne l’entend pas, on la sent.