En mai 2016, le groupe pop-rock des Premières Nations Midnight Shine a donné deux vitrines dans le cadre de la Canadian Music Week (CMW) à Toronto. Il y a fort à parier qu’aucun autre groupe présent au CMW n’avait eu un périple aussi mouvementé pour s’y rendre, comme nous l’explique au téléphone le chanteur et guitariste Adrian Sutherland depuis sa demeure d’Attawapiskat, dans le nord de l’Ontario.

« Je viens d’une famille très pauvre », explique-t-il d’entrée de jeu. « Mes grands-parents vivaient de manière vraiment traditionnelle et tout ce qui se trouvait sur notre table venait de la Terre. Ça existe encore dans notre communauté. Je dois encore aujourd’hui partir chasser les oies, le caribou et l’original. On doit remplir nos congélateurs, ça fait encore partie de la vie dans le Nord. La récolte est le lien qui unit nos familles et notre culture. »

Ç’a été très dur pour moi de couper court à ma saison de chasse et de sortir du bois en machine à neige pour traverser sur les glaces de mer afin de me rendre au CMW. Mais c’est mon engagement envers la musique. Je suis prêt à faire tout ce qu’il faut. »

Les autres membres de Midnight Shine proviennent de différentes communautés de la région de la Baie-James dans le Grand Nord. Le guitariste Zach Tomatuk et le bassiste Stan Louttit sont de la Première Nation de Moose Factory et le batteur George Gillies de la Première Nation de Fort Albany.

Fondé il y a cinq ans, la première apparition publique de Midnight Shine fut en tant que première partie pour un spectacle de Trooper. Ils ont depuis lancé deux albums très bien reçus, le premier, éponyme, est paru en 2013, et le second, Northern Man, en 2014.

C’est lorsque Ralph James de United Talent Agency les a pris sous son aile que leur carrière a vraiment pris son envol. Leur passage au CMW a également attiré l’attention des médias de partout au pays, incluant une entrevue de fond avec The National, la Une du Toronto Star, une prestation en direct suivie d’une entrevue à Canada AM sur le réseau CTV, deux articles de la Presse Canadienne, un clip en vedette sur Daily Vice, et des articles dans le National Post, le Hamilton Spectator, le Winnipeg Free Press, et le Calgary Herald, le Halifax Chronicle Herald, et bien d’autres.

« Il y a de bonnes nouvelles qui proviennent d’Attawapiskat. J’espère que nous serons une de celles-là. » – Adrian Sutherland, Midnight Shine

En tant que principal auteur-compositeur du groupe, Sutherland travaille actuellement d’arrache-pied pour créer les chansons de leur troisième album. « Nous espérons retourner en studio au début du printemps et nous avons discuté avec quelques réalisateurs », nous explique-t-il.

Une de nos nouvelles chansons, « Sister Love », sera bientôt lancée comme simple, et les réactions préliminaires sont bonnes. « La chanson est basée sur un poème écrit par ma sœur », confie l’artiste. « Elle parle de nos luttes quotidiennes et des coups durs que nous avons encaissés. Elle explore cette envie de retourner à une époque où les choses n’étaient pas aussi difficiles, lorsqu’on était en famille et les liens qui nous unissaient quand tout allait bien. »

D’autres pièces à venir porteront aussi plus directement sur des thèmes touchants les Premières Nations. Les premières chansons de Midnight Shine telles que « Northern Man » et « James Bay » prennent clairement racine dans la culture et la région d’origine de Sutherland, mais il se sent prêt à aborder des thèmes sociaux et politiques plus directement.

« Mon écriture est très différente de ce qu’elle était sur les deux premiers albums », dit-il. « Je ne veux pas me forcer à aller dans une direction en particulier, mais une chose me tracasse depuis un bon moment, et c’est la question des abus dans les pensionnats. Ma mère était prise dans ce système pendant des années et j’ai été témoin de l’impact que ça a eu sur sa vie. Je veux raconter son histoire. Puis il y a la question des femmes autochtones disparues ou assassinées. Je sens que je dois écrire là-dessus. »

Musicalement, Midnight Shine propose un rock mélodique et légèrement « trad », mais Sutherland nous explique qu’il souhaite désormais inclure plus de sonorités des Premières Nations. « Je me tourne vers les autres artistes de la région de la Baie-James pour m’aider à donner vie à la musique », poursuit l’artiste.

« Avant, on n’ajoutait pas d’enjolivures culturelles dans notre musique, mais les choses changent. Je songe à inclure des percussions traditionnelles sur notre nouvel album, et je travaille également sur des chansons écrites en langue crie. C’est pas mal plus dur que d’écrire en anglais?! »

Depuis la formation de Midnight Shine, quelques artistes autochtones canadiens tels que Tanya Tagaq et A Tribe Called Red ont eu un impact immense au pays et ailleurs dans le monde. Sutherland ne cache pas qu’il s’est inspiré d’eux, ainsi que du récent projet de Gord Downie, Secret Path. « Gord est incroyablement courageux et son travail actuel est phénoménal », affirme Sutherland.

Il en va de même pour Midnight Shine, dont le succès est une source d’inspiration pour d’autres membres de la communauté d’Attawapiskat. La communauté a été au centre de beaucoup d’attention médiatique négative depuis quelques années, mais comme le rappelle Adrian Sutherland, « il y a de bonnes nouvelles qui proviennent d’Attawapiskat. J’espère que nous serons une de celles-là. »

« Je crois que nous inspirons les plus jeunes. C’est dur pour eux de réaliser qu’il y a un groupe de musique qui habite leur communauté et qu’ils peuvent nous parler. Ce n’est pas une chose à laquelle ils sont habitués. Nous prenons grand soin, en tant que groupe, de nous assurer de visiter toutes ces communautés pour y donner des spectacles. C’est notre devoir d’inspirer ces jeunes et de ne pas oublier nos racines. »



Véronique Labbé

Photo by/par Lynn Gosselin

Véronique Labbé a commencé à chanter du country avec sa mère Lise Roy à Thetford Mines alors qu’elle avait seize ans. Aujourd’hui, à 35 ans, elle célèbre ses vingt ans de carrière avec la sortie d’un cinquième album, Mon Noël country (Musicor), lancé il y a quelques semaines en plus de recevoir sept nominations au Gala country du 19 novembre 2016.

« Je fais plus dans le country-pop américain, je suis devenue au goût du jour, mais ça n’a pas été facile, auparavant, les gens voulaient entendre des chansons plus traditionnelles », explique celle qui inclut un hommage à Shania Twain dans son tour de chant.

Renée Martel n’est donc pas un modèle pour elle, pas plus que Patrick Norman, pourtant deux icônes québécoises. « Il y a tellement de marchés dans la musique country, pour te dire, Renée Martel et Patrick Norman sont plus country-folk. Moi, je vais aller vers le côté pop. »

On imagine notre country girl plus près du style de la Canadienne Terri Clark et des grandes stars comme Travis Tritt ou Sheryl Crow pour qui elle a fait des premières parties de concert.

« Lorsque j’étais adolescente, j’écoutais CMT (Country Music Television) et je rêvais d’une grande carrière comme la leur. Même si je n’étais pas anglophone, j’ai été en mesure de partager leurs scènes. »

Comment se démarquer au Québec lorsqu’on chante du country en français ? « La musique country, c’est des sentiments mis sur la table, dira d’emblée Labbé. Il faut que les mots chantés soient rapidement compris par l’auditeur, peu importe son niveau de scolarité. Surtout si tu racontes une peine d’amour ! Mon premier album était chanté en français normatif et les gens ont moins bien perçu mon country parce que c’était peut-être trop recherché. »

La première fois qu’elle gagne un prix, c’est le Prix SOCAN de la chanson primée en 2005 à St-Tite. « Ça m’a ouvert les yeux sur l’univers du droit d’auteur et les redevances tout en gardant ma personnalité musicale », dit-elle. St-Tite, la Mecque du country au Québec, Véronique y est passée à dix-neuf reprises. Auteure-compositrice, elle a de nouveau été récompensée par la SOCAN à son Gala de Montréal en 2015, catégorie « Musique Country ».

« Quand j’écris une chanson, c’est la musique d’abord et avant tout, les mélodies me viennent facilement. Par contre, les paroles, c’est du travail, c’est l’aspect que je trouve le plus difficile. Alors je procède ainsi : j’enregistre mes musiques en studio, à cette étape, 75% des paroles ne sont pas encore écrites. C’est lorsque j’écoute les pistes instrumentales que les mots m’inspirent. Ce n’est pas une méthode que j’apprécie nécessairement, mais il faut que je me mette au pied du mur pour que les mots viennent afin de finaliser le processus de création. »

Toutefois, la chanson Du côté bleu du ciel, parue sur son quatrième album du même nom (texte de Nelson Minville, musique de Marc Dupré) est un peu l’exception et est d’ailleurs en nomination dans la catégorie « Chanson de l’année » au Gala Country du 19 novembre : « C’était limite pour le genre que je fais, mais j’aime ce genre d’écriture ! Pour accepter les chansons des autres, il faut vraiment que ça vienne te chercher. Celle-là m’a fait du bien, même si elle a un côté plus commercial et moins country. »

Animatrice de radio et de télévision de l’émission En route vers l’ouest, Véronique Labbé croit que la SOCAN y est pour quelque chose dans cette autre vocation. « Beaucoup d’artistes country font leurs débuts avec des reprises afin de mousser les ventes d’albums. Mais pour se démarquer, ils doivent écrire leurs propres chansons. Mon émission sert à ça : les faire connaître. Sans nouvelles chansons, il n’y a pas d’évolution. Sinon, on ne chantera que des succès comme dans un karaoké. »

« Être membre SOCAN, admet-elle, je vois ça comme une protection d’auteur, oui il y a une rémunération des droits d’auteurs, mais avec la musique que je fais, la diffusion à la radio est plus rare que d’autres styles de musique. Ce serait bien d’avoir un Soundscan pour la musique country. »

Bon an mal an, Véronique Labbé donne une cinquantaine de spectacles par année. Et avec 2016 qui s’achève, Mon Noël country termine le calendrier en beauté. « Le son est country, mais avec des chansons de Noël, le plus grand défi est de savoir où placer les accents. Il y a des riffs et des punchs couramment utilisés dans le country que j’ai volontairement évité afin que ce ne soit pas trop redondant. Mais heureusement, Il y a des séries d’accords dans le répertoire de Noël qui sont vraiment en harmonie avec ceux de la musique country. »

Le Gala Country du 19 novembre prochain est une date encerclée depuis longtemps pour Labbé. Et l’on comprend vite pourquoi : sept nominations, album, auteure-compositrice, chanson de l’année SOCAN pour Du côté bleu du ciel, interprète féminine, spectacle de l’année, émission de radio et de télé pour En route vers l’ouest.
« Le prix SOCAN est celui que je convoite le plus ! »

 

 



Klô Pelgag

Photo by/par Étienne Dufresne

L’auteure, compositrice et interprète Klô Pelgag vient de faire un grand bond en avant en lançant son second album, L’Étoile thoracique, lors d’un épatant concert présenté durant la 30e édition du festival Coup de coeur francophone. Entrevue fiévreuse avec la jeune musicienne originaire de Sainte-Anne-des-Monts, quelques jours avant son départ pour la France, où elle offrira une série de concerts.

Au bout du fil, c’est avec une voix toute menue que Klô répond aux questions. La grippe lui est tombée dessus d’un seul coup, juste après sa rentrée au Club Soda, alors que ses musiciens, son équipe et elle fêtaient cette belle première au bar d’à côté. « Lancer un album, c’est gros ; ça fait quand même plusieurs mois que j’attends ce moment, et après qu’il soit passé, la pression retombe… », échappe-t-elle, magnanime.

« J’avais accumulé beaucoup de stress, confie l’alitée. Présenter de nouvelles tounes à des gens qui ont acheté des billets pour entendre des chansons qu’ils ne connaissaient pas… Je n’étais pas assez confiante par rapport à ça, par rapport à l’engagement des gens. » Et pourtant, ce premier spectacle de son nouveau cycle de création affichait complet depuis déjà deux mois ! « Et ils n’ont mis que deux semaines et demie pour vendre tous les billets, c’est cool. J’ai beaucoup de respect pour les fans », dit Klô.

Gagner les prix Révélation de la SOCAN et de l’ADISQ la même année (2014), ça ne change pas le monde, sauf que… Sauf que, presque du jour au lendemain, Klô Pelgag a réussi à piquer la curiosité du grand public qui, à son tour, s’est laissé séduire par l’univers chansonnier singulier et coloré de l’auteure, compositrice et interprète qui dit avoir arrêté de se poser la question : est-ce que les auditeurs vont tout saisir de ce qu’elle cherche à exprimer dans ses chansons ? « Je me suis déjà posé la question : y’a-t-il assez de clés [dans mes textes pour que les gens en saisissent le sens] ? Moi, je me comprends. Y’a rien de flou dans ce que j’écris, mais y’a des trucs que je laisse en suspens, des portes ouvertes sur plusieurs avenues. Ce qui m’importe, c’est que je comprenne que ça reflète un moment de ma vie, parce que je fais ça pour extirper ces moments, pour mieux les comprendre. J’espère que des gens puissent eux se consoler ou trouver du réconfort dans mes chansons. C’est mon langage intérieur à moi, mais je crois qu’il peut toucher les autres. »

Ambitieux, dans la forme comme le fond, L’Étoile thoracique se révèle être un des meilleurs albums québécois de l’automne. Les textes de Pelgag sont certes souvent cryptiques, les images parviennent néanmoins à frapper notre imaginaire et à transmettre d’authentiques émotions. « Non, il n’est pas triste, l’album, hein ?, opine-t-elle. C’est ce qui me semblait. Je me suis demandé : C’est quoi, le feeling général ? J’étais trop dedans pour la saisir. C’est difficile de se regarder de loin. Je crois que l’album est parsemé de plein de moments amoureux, de moments légers, de contemplation. »

L’album, à nouveau coréalisé par ses partenaires de L’Alchimie des monstres (2013) Sylvain Deschamps et son frère Mathieu, témoigne de la formidable évolution qu’a vécu la musicienne de 26 ans. Les mélodies et les textes ont gagné en rigueur, le travail d’orchestration de cordes et de cuivres (plus d’une vingtaine d’instrumentistes ont collaboré à l’enregistrement) réalisé par Mathieu Pelletier-Gagnon donne énormément de souffle à cet album dense, complexe sans être confondant, impressionnant dans son ambition et son envergure.

La décision de s’investir dans la création d’un album de chansons pop orchestrale « allait de soi, précise Klô. On en rêvait, mon frère et moi – tout part toujours d’un rêve, même le spectacle que je vais monter » spécialement pour les Francofolies de Montréal, le 10 juin 2017 au Théâtre Maisonneuve, avec l’Orchestre du temple thoracique et ses 29 instrumentistes, dirigés par Nicolas Ellis. « L’orchestration, ce n’est pas un truc que je croyais réaliser aussi tôt dans ma vie. Ça s’est placé naturellement, somme toute. L’important fut de convaincre les gens avec qui je travaille que ça vaut la peine. » Chapeau à la Coop des Faux-Monnayeurs d’avoir investi dans le projet.

« C’est très étrange, écrire des tounes. Elles viennent toutes d’un endroit différent, mais empruntent des traces d’émotions de partout. »

Après la tournée de L’Alchimie des monstres, « j’avais une terrible envie de composer de la musique. J’ai joué les mêmes tounes pendant trois ans… Je n’avais plus le temps de composer. Quand j’ai recommencé, ç’a été difficile, mais en même temps hyper-nécessaire. » Ces chansons nouvelles, explique Klô, représentent une petite capsule de temps, toutes écrites à la même période, « surtout les mois de décembre 2015 et janvier 2016, des mois très productifs. Chaque toune est un paysage en soi, ou quelque chose qui s’y rapproche… Sont intenses, quand même, les tounes ! »

« J’ai voulu faire un disque qui s’écoute du début à la fin, comme une œuvre entière, avec des chansons qui se complètent et se répondent entre elles. » Il y a Au bonheur d’Édelweiss et Les Mains d’Édelweiss, même personnage mis en scène, deux récits différents : « Les Mains, ça parle d’une personne aveugle et sa façon de voir et de vivre le monde. Au bonheur parle plus du temps perdu, de l’importance de la famille, cette roue qui tourne, le fait que malgré tout, on se reconnaît dans nos parents, de qui on essaie de se distancer… » Ailleurs dans Les Animaux et Chorégraphie des âmes, des motifs mélodiques instrumentaux sont repris tels quels, comme « deux tounes qui se parlent, qui se font des clins d’œil », souligne Klô.

L’album se termine avec la longue Apparition de la Sainte-Étoile thoracique, sur laquelle on peut entendre un brin de conversation entre Klô et sa grand-mère. « Dans ma tête, je n’imaginais pas ma grand-mère sur l’album. En fait, je pensais à elle sur la chanson J’arrive en retard – c’est d’ailleurs une des seules fois où je sais d’où vient l’inspiration de la toune, que je peux l’associer à un visage. C’est elle. » Et donc, la grand-mère s’est invitée, si on peut dire, à la fin du disque, « après que toutes les tounes aient été faites. C’est une entrevue que j’avais faite il y a cinq ans. J’ai pris sa voix pour la chanson, et puis tout l’album a semblé se tenir ensemble… »

« Ah, je ne veux pas me comparer à des gens trop « cool », dit Klô, mais je pense à la manière de créer de Dali. Il ne s’exerçait pas : il avait un tableau dans sa tête, il pouvait y penser pendant des années et après y avoir réfléchi, il s’assoyait pour le peindre. C’est un peu comme ça que je vois la création de chansons. C’est très étrange, écrire des tounes. Elles viennent toutes d’un endroit différent, mais empruntent des traces d’émotions de partout. Moi, j’écris tout en même temps : le texte, la musique. Et ce n’est qu’au moment du mixage que j’ai le sentiment d’avoir terminé l’album. Quand j’ai trouvé le sens de la dernière chanson avec ma grand-mère, qu’elle est venue ponctuer le disque, me je suis dit : OK, je peux laisser partir le disque, je suis en paix. Je ne veux pas que le disque soit trop parfait non plus. Les maladresses font la beauté de la chose. »

Visionnez “Le début d’un temps nouveau” de Stéphane Venne en 360° interprétée par Klô Pelgag, Loud Lary Ajust et Pierre Kwenders au Gala de la SOCAN à Montréal, le 12 septembre 2016 :