« Chaque album est pour moi l’occasion de vivre une espèce de crise identitaire », explique Mélissa Laveaux, jointe à Paris, où elle habite depuis près d’une dizaine d’années. Pour la jeune femme originaire d’Ottawa, la recherche de soi est le moteur de la créativité. « Pour mon premier disque, j’étais dans la découverte de qui j’étais vraiment; je trouvais encore ma voix, alors que le deuxième parlait d’une déchirure et de la difficulté de communiquer, notamment avec mes parents, avec qui j’ai vécu une vraie rupture, en assumant que j’étais lesbienne. »
Née à Montréal de parents haïtiens qui ont fui le régime Duvalier, Mélissa Laveaux a été élevée dans la capitale canadienne. C’est là qu’elle a fait son éducation musicale, qui l’a menée de la collection de disques haïtiens de son père à la radio top 40 (« j’écoutais religieusement Kacey Kasem à la radio », dit-elle), puis au folk de Joni Mitchell et au rock indie de Broken Social Scene.
Signée par l’excellent label No Format (qui a publié des disques d’Oumou Sangaré, de Nicolas Repac et de Gonzales, entre autres), elle lance son premier album, Camphor and Copper, en 2008. Après avoir exploré un folk rock mâtiné de blues, développant son style très personnel tout en proposant d’étonnantes reprises – d’Elliott Smith à Eartha Kitt, en passant par Weezer -, Mélissa a eu envie de redécouvrir ses racines à la faveur d’un voyage au pays de ses ancêtres en 2016.
Elle rêve de replonger dans les chansons découvertes grâce aux disques de Martha Jean-Claude, la grande artiste dont l’activisme politique l’a amenée à quitter Haïti pour Cuba en 1952. « Évidemment, je ne pouvais pas recréer le son de Martha Jean-Claude, qui travaillait avec un orchestre afro-cubain. Mais je sais jouer de la guitare et je sais faire de la chanson pop, alors je me suis servi de mes forces pour créer quelque chose de neuf. »
Celle qui, de son propre avis, chante créole « avec un gros accent » se penche alors sur un répertoire d’airs folkloriques et populaires qui ont rythmé la période de l’occupation américaine d’Haïti au début du siècle dernier. Elle explore du coup la culture vaudou, lieu de liberté et instrument de résistance, à l’impérialisme yankee, bien sûr, mais aussi aux carcans sociaux de sa famille. « Si une partie la culture haïtienne, celle de mes parents notamment, est assez conservatrice, dans le vaudou on trouve un espace de liberté où même des personnages queers peuvent avoir une place », dit-elle, en évoquant le documentaire Des Hommes et des Dieux d’Anne Lescot et de Laurence Magloire, qui se penchait justement sur ce sujet.
Le résultat, qu’on entend sur Radyo Siwèl, propose une vision toute personnelle de ces chansons, une pop à guitares moderne pourtant respectueuse de la tradition. « Quand je chante devant un public de la diaspora, que ce soit à Londres ou à Paris, les gens sont très indulgents, car ils sont nostalgiques. Le vrai test, ça va être de les jouer à Port-au-Prince cet été, devant des gens qui risquent d’être plus critiques! »
Il s’agira d’une première pour Mélissa, qui, dans la foulée de sa signature avec la maison Bonsound de Montréal, donnera aussi des concerts à Montréal, Toronto et New York, où elle commence à susciter l’attention, en partie en raison de sa parole engagée. « Disons que le Président fait presque ma promo avec sa déclaration sur « shithole countries », lance-t-elle en ricanant. Depuis la sortie du disque, je reçois autant de demandes d’interviews de la part de blogues militants que de ceux qui s’intéressent à la musique! »
Est-ce à dire que Radyo Siwèl est un album politique? « Ça n’a pas commencé comme ça, mais le contexte en a voulu ainsi, explique-t-elle. Je sens un devoir de mémoire, mais mon but n’est pas de devenir le porte-étendard d’une cause. Je ne suis pas historienne ou politicienne, je suis chanteuse et tout ce que je veux, c’est mettre la musique haïtienne sur un podium. »