Je regarde et attends patiemment que mon horloge passe à l’heure suivante avant d’appeler Meg Remy, l’artiste qui se produit et enregistre sous le nom de U.S. Girls. Je sais déjà ce qu’elle penserait de moi si je l’appelais plus tard que l’heure à laquelle nous nous étions entendus. « Les misogynes sont souvent en retard », écrit-elle dans son premier livre, Begin By Telling. « Ils vous font attendre afin d’éroder votre confiance et votre certitude. »
Remy respire la confiance dans tout ce qu’elle fait : à l’époque où U.S. Girls était un projet solo lo-fi, en passant par les nombreuses vidéos qu’elle a réalisées, jusqu’au groupe de neuf musiciens qu’elle a dirigé ces dernières années et qui est passé à 17 lors de l’enregistrement de Heavy Light en 2020, enregistré en direct au studio Hotel2Tango, à Montréal. La voici maintenant qui publie un premier livre, une étape marquante pour cette femme qui avoue souffrir d’une « dépendance à la lecture ». C’est Book*hug Press qui lui a offert un contrat en juin 2019 en se disant qu’elle l’écrirait pendant sa tournée en 2020. Ce qui ne s’est évidemment pas produit. Mauvaise nouvelle pour le groupe de musicien, excellente nouvelle pour le livre. « Je n’y serais jamais arrivé en tournée », avoue-t-elle. « Ça m’a drainé émotionnellement. »
Begin By Telling est un petit livre : totalisant 96 pages, il a la longueur et la mise en page d’un receuil de poésie, mais ce n’est pas une biographie à proprement parler, ni une série d’essais ou de poèmes. C’est un périple à travers les expériences de vie qui ont informé le travail de Remy. Certaines sont des traumatismes intensément personnels : abus, viol, détresse. Certaines parlent de son enfance dans les années 90, de la façon dont la chute du mur de Berlin, l’opération Tempête du désert, l’attentat d’Oklahoma, le scandale sexuel de Clinton et le 11 septembre ont eu un impact dans sa propre vie. Ailleurs, elle relie des points apparemment incongrus entre la conduite de voitures de course, le colonialisme et l’objectivation. Parfois, elle fait taire les colporteurs de religions en leur disant : « J’ai été en enfer et je n’ai pas peur de mourir ». Son livre se veut digeste et, à l’instar de ses chansons, une invitation à réfléchir à des enjeux et des connexions plus vastes.
« Mon intention était la suivante : combien de choses puis-je aborder de manière aussi économe que possible sans pour autant avoir l’air de délirer? » dit-elle. « Je voulais laisser une traînée de miettes de pain qui créait une image plus grande, celle de ma vie. J’ai de la difficulté à me concentrer sur un seul aspect de n’importe quelle question. Je le constate dans mes choix de lecture : je lis de la poésie, des pièces de théâtre, des essais philosophiques et des romans, tout ça en même temps. Quand on prend le temps de s’y arrêter, tout est interrelié et s’enchaîne. »
« Une grande partie du processus d’écriture de ce livre a été une purge », poursuit-elle. « J’ai beaucoup écrit, mais l’important, c’est ce que j’ai choisi de ne pas aborder. J’avais besoin de le faire de manière à me sentir en sécurité » – compte tenu de certains sujets – « et qui ne soit pas une perte de temps pour les lecteurs. Des amis me disent qu’ils aimeraient avoir plus de temps pour lire, mais ce n’est pas le cas, et j’ai beaucoup pensé à cela pendant le processus : qu’ai-je à dire qui compte vraiment? Dans le domaine de la musique, pour moi, “less is more”, même en ce qui concerne les performances sur scène. Je préfère que les gens en redemandent plutôt que de souhaiter que je quitte la scène. Pareil avec mes albums : J’aime un album qui fait 10 ou 12 chansons. »
Ses paroles sont également remarquables lorsqu’il est question de transmettre un maximum de message en un minimum de temps. Remy est sans conteste l’une des meilleures parolières de la musique pop actuelle : ses chansons sont souvent des récits autonomes riches en allégories. « Pearly Gates », tiré de In a Poem Unlimited (2018), dépeint Saint-Pierre exigeant des faveurs sexuelles avant d’entrer au paradis. « The Quiver to the Bomb », tiré de Heavy Light, imagine mère Nature chassant les humains de sa surface après que la technologie l’ait ravagée. Les chansons sur Begin By Telling ne sont pas différentes.
Adolescente, avant d’écrire des chansons, Rémy écrivait assidûment dans son journal intime tout en créant et en échangeant des fanzines par courrier à l’époque où les forums de discussion n’existaient pas encore. Sa carrière musicale a commencé à prendre de l’ampleur après son déménagement de Chicago à Toronto en 2010, où elle s’est installée avec son mari Max « Slim Twig » Turnbull. En raison de son talent naturel pour la narration et de son approche de la pensée politique, elle a rapidement reçu des offres pour écrire des articles d’opinion pour divers sites web.
Mais peu importe le médium, elle aime écrire en longueur avant d’éditer. Ses textes de chansons sont très rarement des premiers jets. « Écrire une chanson ou un texte plus long, c’est comme quand on écrit une lettre à quelqu’un quand on est en colère ou blessé : on devrait normalement l’écrire, la ranger, la relire et la corriger. Ce vomi initial est nécessaire, mais il faut le peaufiner et le raffiner. »
« Quand il y a un problème créatif ouvert, qui n’a pas encore été résolu dans mon esprit, je suis constamment en train d’y penser : après le réveil, ou en cuisinant, ou en marchant. Ce que je préfère de ce processus, c’est de créer quelque chose. Ce que j’aime le moins, c’est quand j’ai terminé. C’est pour ça qu’il y a très peu de temps entre mes différents projets. »
Il y aura de nouvelles musiques signées U.S. Girls au début de 2022, mais d’ici là, elle attend des jumeaux le mois prochain. La grossesse et l’accouchement sont, bien sûr, un inévitable tourbillon d’éléments personnels et politiques. Elle ne manque pas de matière pour son prochain livre… qu’elle a déjà commencé à écrire.
Michael Barclay est l’auteur du best-seller national de 2018, The Never-Ending Present: The Story of Gord Downie and the Tragically Hip. (ECW Press)