« J’ai toujours été amoureuse de la musique pop. C’est un genre musical que beaucoup ne prennent pas au sérieux. On dit parfois que ce n’est pas de la vraie musique, que c’est du fast food, mais pour moi, y’a tellement de puissance dans une chanson pop bien écrite. Ça peut changer ta vie. C’est fascinant. »
Maryze a le sourire dans la voix quand elle parle de musique. L’autrice-compositrice-interprète originaire de Vancouver et maintenant installée à Montréal a finement étudié la pop avant d’en arriver à ce premier album, 8, un étonnant mélange d’électro, d’hyperpop, de R&B, de hip-hop, de rock et de emo – bref, de tous ces genres qui ont marqué au fer rouge la pop des dernières décennies.
Grande fan de Grimes et de Lady Gaga, Maryze a d’abord été bercée par un style assez inusité : la pop celtique. On en retrouve quelques traces sur son album, notamment sur Witness. « Mon père est breton, et ma mère est canado-irlandaise. C’est celte des deux côtés ! Mon premier concert, c’était Loreena McKennitt, quand ma mère était enceinte de moi. J’ai probablement perçu les ondes et les basses », lance à la blague la chanteuse de 30 ans.
Son père, un DJ à la radio à Vancouver, l’a initié à un tas de musiques de partout dans le monde durant son enfance. Et dès le début de l’adolescence, la jeune mélomane a suivi des cours intensifs de théorie musicale et a intégré la chorale jazz de son école secondaire. Mais son contact avec la pop n’a jamais été pour autant affaibli. Comme la majeure partie de ses amies de l’époque, Maryze a grandi en écoutant Destiny’s Child et Justin Timberlake, deux artistes dont on sent l’influence dans une pièce aux teintes R&B comme Experiments.
Peu après, c’est le pop punk et le emo qui l’ont happée. L’intensité des textes et l’émotion brute d’un groupe comme Fall Out Boy avaient quelque chose de puissant et de libérateur pour une jeune ado tourmentée comme elle. La pièce Emo est évidemment tributaire de cette époque.
« Je me sentais seule, incomprise. J’avais pas trouvé la communauté que je recherchais à mon école. Oui, on avait un beau programme musical, et la chorale était superbe […] mais autrement, l’école mettait beaucoup l’accent sur les sports. Et moi j’étais une emo girl, la seule à porter des skinny jeans. Chez moi, il y avait des histoires difficiles, des histoires de dépression… J’étais par terre dans ma chambre, à lire les paroles de Fall Out Boy. Je sentais que le chanteur s’adressait à moi et, soudainement, je me sentais moins seule. C’est probablement ce qui m’a amenée à vouloir rejoindre le public adolescent ou du début de la vingtaine par mes chansons. Y’a un sens de la communauté qui se développe par la musique. »
C’est dans cette optique que Maryze crée la musique qu’elle aurait elle-même voulu écouter en tant qu’adolescente. De là le mélange de genres qui peut paraître un peu chaotique, mais qui se révèle profondément authentique et sincère. Entièrement écrit et composé par elle, l’album a également bénéficié de l’expertise de quelques producteurs montréalais, notamment de son bras droit et copain Solomon K-I, également en charge du mixage et du matriçage de l’album.
Forte de ses études universitaires en écriture créative, la Montréalaise d’adoption explore avec ses textes « les parties interconnectées de notre passé qui façonnent nos vies pour le meilleur ou pour le pire ». Elle a tissé les chansons hétéroclites de son album avec une image centrale en tête : celle de la boucle infinie, symbolisée par le chiffre 8 comme titre. Cette boucle infinie qui nous amène à répéter les mêmes histoires, les mêmes mécanismes, les mêmes erreurs. Bref, à répéter le même cycle.
Portée par une rythmique dance 80’s, Too Late incarne bien le thème de l’album. Sous ses airs de récit d’histoire d’amour toxique, la pièce est plutôt une plongée profonde dans la psyché de l’artiste. « Cette chanson, c’est ma relation avec moi-même. Dans ma vie, c’est moi qui me bloque le plus. Chaque jour, je me réveille et je vois la journée défiler. Il y a tant de choses que je veux faire, mais je ne sais pas par où commencer. Le cycle se répète et je finis par être frustrée contre moi-même. La frustration est surtout reliée à la musique, à mes rêves. Parfois, j’ai de super belles opportunités, mais c’est comme si je me sabotais moi-même. La pandémie a juste amplifié tout ça. Je pouvais vraiment rien faire… et je ressentais une frustration, une amertume. »
Percutante collaboration avec la rappeuse montréalaise Backxwash, Squelettes évoque un épisode difficile de sa vingtaine. « J’ai commencé à l’écrire il y a huit ans, celle-là. Dans ma famille, il y avait beaucoup de dépression, d’anxiété, de dépendance. Et j’étais dans un moment de ma vie où je répétais des cycles destructifs dans mes relations et avec moi-même. Je maltraitais mon corps, souvent avec beaucoup de partys. Je me retrouvais dans des situations que je m’étais infligées à moi-même. Chaque fois, il y avait la voix de mon père qui résonnait en moi : ‘’Pourquoi, Maryze, tu te retrouves encore dans cette situation que tu n’aimes pas ? Dans une relation qui n’est pas bonne pour toi ?’’ C’est un de mes all time low. »
Dans un style beaucoup plus épuré que le reste, les chansons qui ouvrent et ferment l’album (Mercy Key et Playing Dress-Up) nous montrent une Maryze à fleur de peau, uniquement accompagnée par son piano ou ses propres chœurs. « Quand je vis quelque chose de vraiment intense, je dois l’écrire sur le moment. Quand j’étais jeune, j’ai écrit des centaines de journaux intimes. Ça a toujours été une forme de thérapie, une façon de mieux me comprendre. C’est quand je commence à écrire et que des idées sortent que je comprends ce que je vis. C’est pas quelque chose que j’aurais compris juste en le disant à voix haute. »
Loin du mutisme et de la solitude de son adolescence, Maryze a trouvé une façon de changer sa frustration en quelque chose de constructif. Elle a trouvé une façon de briser le cycle.