Au matin de la parution de son deuxième album, Lou-Adriane Cassidy publiait sur les réseaux sociaux une liste des apprentissages qu’elle aura tirés de la création de Lou-Adriane Cassidy vous dit: Bonsoir. Parmi ceux-ci: « On peut toute faire dans le fond. » Puisque nous l’avons au bout du fil cet avant-midi-là, nous l’invitons à élaborer.
« J’étais avec Thierry Larose et Al [Alexandre Martel, le coréalisateur de l’album et, par ailleurs, son amoureux]. On travaillait sur une nouvelle chanson de Thierry. On avait fait une microdose de LSD et dans mon trip, j’avais écrit dans mon cell : On peut toute faire dans le fond. Je ressentais ça au plus profond de mon âme. Après, c’est comme devenu un leitmotiv pour le disque au complet. »
Son premier album, C’est la fin du monde à tous les jours (2019), était largement imprégné d’une conception du travail chansonnier davantage associée à la tradition des grandes interprètes à laquelle sa mère (Paule-Andrée Cassidy) appartient, qu’à celle de la liberté échevelée du rock. Parmi les autres apprentissages de l’autrice-compositrice, énumérée dans cette liste susmentionnée: « J’ai appris à être fière de moi. » Pas le moindre des aveux.
« C’est comme si j’avais toujours senti que ce que je faisais n’était pas en adéquation avec qui j’étais. Je me disais: ce n’est pas nécessairement grave, ton art n’est pas censé représenter l’entièreté de ce que tu es. Mais j’étais tout le temps inconfortable avec l’image que je dégageais et ce que j’avais l’impression d’être dans ma vie. » Pas étonnant que ce grisant deuxième album nous fasse le même effet qu’une euphorisante première rencontre.
Hubert Lenoir, dont elle a été la choriste, aura été pour elle un lumineux exemple d’artiste refusant d’être autre chose qu’entièrement lui-même, en toutes circonstances. « Un jour sur deux, je doute encore, pis je me trouve poche », précise-t-elle en riant, comme pour ne pas laisser entendre qu’elle connaît désormais tous les secrets du zen et de l’amour-propre, « mais j’ai cette certitude d’être allée au bout de ce que je voulais. J’ai compris que dans la création, ça se pouvait être fière de soi. »
Quelque part entre le soft rock des années 1970 (une référence chère à Alexandre Martel) et l’élégante gouaille d’Exile in Guyville de Liz Phair, Lou-Adriane Cassidy vous dit: Bonsoir brille non seulement grâce au bon goût et à la maîtrise de ses références, mais aussi grâce à cette sagesse rare consistant à ne pas faire durer une chanson juste pour la faire durer. « Mais ce n’est pas parce que les chansons sont courtes que ce sont des coïts interrompus », blague la chanteuse, en filant la métaphore sexuelle, vaste thème irriguant tout l’album.
Un sujet certes casse-cou, que Lou-Adriane embrasse avec cette juste conjugaison de limpidité et d’impressionnisme lui permettant (ainsi qu’à son partenaire d’écriture Alexandre Martel, encore lui) d’éviter les navrantes métaphores avec lesquelles la chose est souvent nommée. La capacité d’un homme à ne pas jouir trop vite a-t-elle déjà été célébrée de façon plus jolie que dans la ligne « Je sais que tu sais m’attendre avant d’arriver »?
« Ça a tout le temps été un équilibre [entre flou et clarté] que j’essayais d’atteindre », dit-elle, en précisant qu’elle s’est même autorisée à écrire des textes dont le sens ne lui est apparu qu’a posteriori. J’espère encore que quelque part l’attente s’arrête, qui ouvre l’album avec la vigueur d’une ligne de guitare superbement incisive et la grâce faussement nonchalante d’une voix qui semble pouvoir tout accomplir ? Ce n’est que tout récemment que Lou-Adriane a compris que la chanson parle de l’orgasme.
« Avant, quand j’écrivais toute seule, c’était vraiment désagréable. Je n’arrivais jamais à être satisfaite. Souvent, j’abandonnais, je me disais: ça va être ça, juste parce que j’étais tannée. »
« C’est important qu’il y ait des jokes sur un album », lui a souvent répété Martel, un credo à entendre comme un rappel: c’est peut-être lorsqu’on se prend le moins au sérieux que les idées les plus fécondes émergent. « Prends-moi… pas pour une conne », chante ainsi Lou-Adriane, en assumant pleinement le jeu de mots, dans Entre mes jambes. « Tous les clins d’œil comme celui-là, je ne me les serais pas permis toute seule, parce que j’aurais trouvé ça lame. Avoir quelqu’un qui me dit « Non, il y a quelque chose là-dedans, creuse encore », ç’a été super nourrissant. »
« C’est le fun ou quoi ? », l’entend-on lancer à la toute fin de Je suis arrivée, une question accueillie par le rire d’un enfant, nommément de la fille d’Alexandre Martel, Odile, que Lou-Adriane avait fait monter sur son dos le temps d’enregistrer une piste de voix, alors que la gamine s’impatientait au terme d’une longue journée de studio. C’est le fun ou quoi ? : cette question deviendra comme un modus operandi. Constat: le plaisir que l’on prend à créer quelque chose est sans doute le seul élément sur lequel il est possible d’exercer du contrôle. Écrivons-le encore plus simplement: le fun, c’est le fun.
« Il faut apprendre à être doux avec soi-même, à mettre moins de pression sur ce qu’on crée, se répéter que ce n’est pas grave de se tromper, pense Lou-Adriane. Il faut davantage reconnaître ses forces: quand on est bon dans quelque chose, quand ça nous semble facile, on a parfois tendance à accorder moins de valeur à cette chose-là. Mais en création, rien n’est un gage de qualité. Que tu aies écrit une chanson en six minutes ou en deux ans, ça ne veut rien dire. Oui, il faut avoir de l’ambition, de la rigueur, vouloir repousser ses limites, mais au bout du compte, on a tellement pas le contrôle sur ce que ça va donner. Mais on a le contrôle sur comment on va vivre ce processus-là. »