La nuit est une panthère, le premier album des Louanges paru en 2018 après sa présence en grande finale des Francouvertes a placé des pions sur un échiquier beaucoup plus grand que celui de sa propre carrière. Derrière Les Louanges, Vincent Roberge s’est engagé dans un parcours musical où il souhaite mener le troupeau, définissant son style une pièce à la fois et laissant son influence porter les autres. Avec Crash, il dessine sur un immense tableau, l’ensemble des premières fois d’adultes : les plus douces qui nous élèvent et les plus tristes qui nous changent au passage.
Si son premier album laissait place à l’imagination et encourageait l’auditeur à prendre le temps de décortiquer, Crash s’enracine dans une vérité parfois dure, mais dont on peut difficilement douter. « Ce crash c’est la vraie vie qui m’est rentrée dedans, lance d’abord Vincent Roberge. La pandémie m’a forcé à prendre un pas de recul et j’ai fait la digestion que je n’avais pas faite avant. »
Ce qu’il y avait à digérer, ce sont certainement les premières années d’une carrière lancée à vitesse grand V, mais également les expériences de la jeune vingtaine qui laissent leurs marques. « J’ai vécu beaucoup de choses pas ordinaires, entre l’exceptionnel et le très stressant, mais j’ai aussi appris à être un adulte à travers tout ça et je l’ai fait en brûlant la chandelle par les deux bouts. Chaque chanson est un évènement très important qui a eu un impact positif ou négatif, mais qui m’a frappé quand même, comme un crash », explique l’auteur-compositeur-interprète.
N’importe quelle chanson peut naître au cœur du chaos, mais le timing de Vincent pour mettre son deuxième album en branle était un déséquilibre entier. Après avoir fait la courte liste du Polaris et une tournée fructueuse au Québec, il a dû rentrer d’Europe alors que les choses décollaient bien là-bas. « Les bases de la chanson Facile, c’est quand on est revenus de Marseille à cause du début de la pandémie, se souvient-il. On était dans un Airbnb gris sur Iberville à Montréal. On pouvait aller nulle part et criss que je me sentais tout seul cette journée-là. J’étais couché dans mon lit et je jouais des pads sur mon clavier d’ordi. J’ai fait des accords majeurs niaiseux et je les ai trouvés tellement tristes. » Désireux de faire connaître à son public une vérité plus « facile à saisir », Vincent avait envie de garder ce brin de désespoir – d’ailleurs nommée « Fuck It » sur son cellulaire – pour en faire quelque chose de touchant ensuite.
Tout ça s’inscrit directement dans la quête de vérité de Vincent qui s’entend sur l’album en entier. Selon lui, si sa musique est devenue plus pop avec ce nouvel album, c’est par un effort de concision. « Je ne voulais plus me cacher derrière 2000 métaphores et je voulais montrer que je suis capable de faire des arrangements complexes pour soutenir adéquatement un texte plus clair. Je ne veux plus que les gens aient à réfléchir pour vivre une émotion en m’écoutant, mais si tu as envie de chercher tous les sens, tu peux aussi. »
En plein centre de l’album, Les Louanges offre ainsi les mots de Gaston Miron en guise d’intermède. Les paroles du poète s’esquissent parmi les zones de lumières de l’album qui est néanmoins très sombre. « Je voulais faire quelque chose d’équilibré en termes de tristesses et de lumière. Ce que Miron dit, c’est que c’est important d’être capable de s’émerveiller. C’est bon pour ta vie et bon pour ton art. On peut s’émerveiller devant la douleur. Si quelque chose te touche, il y a une raison. Je trouve que c’est comme s’il te préparait à ce que tu t’apprêtes à entendre. »
C’est après avoir plaisanté pendant des années avec son complice et réalisateur Félix Petit au sujet d’une collaboration avec Corneille que Vincent a commencé à envisager sérieusement une pièce avec lui. « J’ai toujours du mal à expliquer mon style de musique et un jour, Félix a dit en joke que je faisais du RnB conscient. J’ai vraiment l’impression que le king de genre, c’est Corneille. Un matin, je suis au Green Room, à côté des Planet Studios. Je sors de mon char, il est 9 h le matin et j’entends : bro, c’est tu Les Louanges? Un gars sort de son auto aux vitres teintées et c’est Corneille. Je sais que j’avais plus de chances de le croiser là que dans le parking du Canadian Tire, mais j’en revenais pas. Je lui ai proposé tout de suite la collabo pour la chanson Crash. Même l’univers était tanné d’attendre que ça se passe. »
Depuis ses premières collaborations avec son réalisateur Félix Petit, ce dernier a connu un succès ferme auprès d’autres artistes qui ont voulu travailler avec lui, mais Vincent ne craint pas que le son des Louanges se répercute ailleurs avec Félix. « Quand on travaille sur mes tounes, il porte ma vision. Félix est un élément non négligeable dans mon équation. C’est le frère que j’ai jamais eu, c’est la seule personne qui sait ce qui se passe dans ma tête, admet-il. Il est toujours exactement là où personne ne pense à être. Même au Roi du Smoked Meat, à trois heures du matin il va choisir la côte de veau quand on mange des hot dog et on finit tous par se dire qu’on aurait dû faire comme lui. »
Comme les autres, Vincent rêvasse et espère la scène qui reviendra et il y a pensé durant son processus créatif, imaginant des accalmies au milieu des rythmes dansants pour que la foule puisse se réchauffer et attendre la suite. « Quand j’étais en studio, j’avais des idées et des flashs de scène, se rappelle-t-il. Mais t’as beau vouloir tout contrôler… La création, c’est sauvage. Il faut que tu sois le gars du National Geographic qui prend le pélican en photo. Il faut que tu gères ton iso, que t’aies le bon matériel, que t’attendes ton moment, il faut parfois que tu te calisses dans la jungle et c’est rien qu’à ce moment-là que tu vas l’avoir, la bonne shot. »