Le parcours professionnel du producteur, auteur-compositeur et polyinstrumentiste torontois Don Mills – de son vrai nom Miloš Angelov – est pour le moins non-conventionnel. Après avoir étudié le violon classique en Serbie, il a travaillé avec les plus grands groupes canadiens de R&B et de rock et, aujourd’hui, il collabore à la composition et à la production de titres et d’albums à succès d’artistes hip-hop et pop de calibre international tels que J Cole, Juice WRLD, Maroon 5, Rea Garvey et Giveon.

Ce n’est certainement pas un parcours qu’il aurait pu prédire, mais il n’a jamais douté que la musique ferait partie de son avenir. « Mon père et mon grand-père ont gagné leur vie avec la musique, alors c’est une histoire de famille. C’est inscrit dans mes gènes », dit-il.

Il a étudié le violon puis les percussions à l’École de musique de Stanković et a souvent joué dans l’Orchestre symphonique des jeunes de Belgrade avant que sa famille et lui s’installent à Toronto quand il avait 17 ans. Il s’est ensuite tourné vers la basse et, après des études au Humber College, il est rapidement devenu un musicien très demandé par les artistes canadiens de R&B. « J’ai joué avec Zaki Ibrahim et été musicien remplaçant pour des artistes comme Divine Brown et Philosopher Kings », se souvient-il.

Sa virtuosité a également pu être raffinée lors de nombreuses sessions au célèbre (et désormais regretté) club torontois prisé des musiciens, The Orbit Room, en compagnie des groupes The A Team et Hot Fire de Wade O. Brown ainsi qu’en tant que musicien de studio avec des artistes comme Fito Blanko et Ray Robinson.

« J’ai toujours voulu porter plusieurs chapeaux musicaux »

Puis vint un « détour » stylistique lorsque Matthew Good l’a recruté pour son groupe. « C’était juste avant l’enregistrement de l’album Live At Massey Hall  en 2008, et ç’a duré huit belles années », déclare Mills.

La transition vers l’écriture et la production s’est faite très naturellement. « J’ai toujours voulu porter plusieurs chapeaux musicaux en plus d’être un bassiste », confie l’homme à tout faire. « J’ai toujours été un audiophile qui aime écouter de la musique bien enregistrée. Quand j’étais musicien de studio, j’observais les producteurs faire leur travail et ça m’a intéressé. Vers 2008, je me suis acheté un ordinateur équipé de Logic et d’une bonne paire de haut-parleurs et tout est parti de là. »

Ce n’est que depuis quatre ans que la production est devenue la principale activité de Mills et il doit pour cela une fière chandelle au producteur vedette – et désormais collaborateur régulier – Boi-1da qu’il qualifie d’inspiration majeure. « Son talent pour faire sonner les chansons comme une tonne de briques m’a vraiment poussé à m’améliorer au chapitre de la production et de la création et aussi à créer de la musique dans différents genres », explique-t-il.

Une collaboration avec Boi-1da sur « Maze », un titre de Juice WRLD figurant sur l’album n° 1 de 2019 Death Race for Love a marqué un moment décisif et le duo collabore encore aujourd’hui. « On vient juste de terminer la musique d’un film mettant en vedette Halle Berry qui s’appelle Bruised », dit-il.

Il a récemment signé un contrat avec Sony/ATV aux États-Unis et les offres de travail n’arrêtent plus. On pourra l’entendre sur des albums à venir d’Alessia Cara, Giveon, Ne-Yo et plusieurs autres et il confie également avoir « tout juste terminé ma première trame sonore en tant que compositeur-producteur sur une grosse production américaine ».

Parmi les artistes canadiens avec qui Mills a collaboré au cours des dernières années en tant que producteur, coauteur ou musicien, on retrouve Tyler Shaw, Dan Talevski, Banners et Maya Killtron.

Et malgré cet horaire chargé, Angelov a trouvé le temps d’enregistrer son propre matériel sous son pseudo de Don Mills qu’il a lancé en ligne sur son propre label, Politik Records. « Je ne veux pas que des bonnes chansons demeurent inédites, alors c’est là que je sors ce matériel », explique-t-il.

Ces morceaux reflètent sa grande polyvalence – « tous les genres musicaux m’emballent » – et on y entend des vocalistes invités de la trempe de Nuela Charles, Bryn et son vieil ami JRDN. « Pour moi c’est bien plus amusant comme ça que si je n’étais motivé que par l’argent ou en tentant d’avoir uniquement une carrière solo. »



Avec notre série Arts visuels X Musique, Paroles & Musique présente une série de portraits d’artistes visuels pour qui la musique joue un rôle essentiel autant dans la vie que dans l’œuvre.

« J’ai l’honneur d’être le premier drummer à avoir été slaqué par Fred Fortin », lance en riant l’artiste Martin Bureau, qui a signé chacune des pochettes du père du son du Lac, « depuis Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron », dit-il d’une traite, en débitant le titre à rallonge de son premier album, paru en 1996. Impressionnant. « C’est pas difficile pour moi de m’en souvenir parce que je connais les Fortin, je connais les Perron. »

Leur rencontre a lieu à la polyvalente des Quatre-Vents, à Saint-Félicien, au milieu de la décennie 1980. « On habitait dans le même quartier, on a commencé à jouer de la musique ensemble. » Martin Bureau est alors derrière la batterie – « c’est le batteur du groupe au père de Fred qui m’a vendu mon premier drum, j’avais 14, 15 ans » – et Fred à la basse, qui demeure son instrument principal. « Déjà au secondaire, il était au-dessus de la mêlée. Son talent était intersidéral.»

Parce que le sien derrière les chaudrons l’était peut-être un peu moins, Martin Bureau se tourne bientôt vers la photo et la peinture. Le moment venu, rien de plus logique que de donner un coup de main à son pote Fred, sur le front de son identité visuelle. « Ça s’est fait paresseusement. Arrivé au début de la vingtaine, Fred a fait un disque, moi, je sortais du bacc en arts. C’était juste évident qu’on travaille ensemble. »

Si c’est une photo assez classique de Fred Fortin qui orne la pochette de son premier disque, ce sont les magnifiques tableaux de Martin Bureau, à la fois naturalistes et oniriques, qui incarneront visuellement les albums de l’auteur-compositeur à partir du Plancher des vaches en 2000. « Si on se ramène à cette époque-là, les labels voulaient tout le temps avoir la face du chanteur sur le disque », rappelle le peintre en jetant un œil à la couverture du premier Gros Mené (1999), sur laquelle se faisait déjà sentir beaucoup plus de liberté, bien qu’il s’agisse encore d’une photo, et non d’un tableau. « La pochette de Tue ce drum Pierre Bouchard, ça témoigne de ce qu’on faisait à ce moment-là, c’est-à-dire jouer au hockey dehors. J’avais mon lab photo noir et blanc, je développais encore mes habiletés en Photoshop. »

C’est La Tribu, avec qui Fortin enregistre son deuxième album, qui donnera carte blanche à Bureau. L’étiquette initiera d’ailleurs plusieurs rencontres entre artistes visuels et musiciens, sous l’impulsion de la cofondatrice Suzie Larivée, une exégète en matière d’arts visuels. Martin Bureau collaborera aussi notamment avec Galaxie, Stephen Faulkner et, plus récemment, avec Tire le coyote, dont il a conçu toutes les couvertures depuis Mitan (2013).

Ce travail de créateur de pochettes lui permettra également de décrocher des contrats de photographe, puis de réalisateur de vidéoclips, des accidents heureux qui infléchissent sa pratique d’artiste, alors que Bureau se tourne à partir de 2008 vers le documentaire – son court-métrage de 2015 L’Enfer marche au gaz! pose un regard sans vernis sur l’environnement emboucané des courses de l’Autodrome de Saint-Félicien.

Le modus operandi du duo Bureau/Fortin? Fred rend visite à Martin dans son atelier de Québec et s’immerge dans la production des dernières années de son vieux chum. « On regarde quarante, cinquante tableaux en écoutant les tounes de l’album et on se dit: Ça, ça pourrait fitter. » Fred empruntera même carrément à son ami le titre d’un de ses tableaux, celui qui illustrera Planter le décor (2004).

Rare exception à leur stratégie: Microdose, cette buzzante incartade lysergique de 2009. « Fred me disait qu’il s’amusait à jouer à Pink Floyd dans sa façon de composer et d’enregistrer et c’est là que j’ai eu le flash d’un pastiche de Wish You Were Here, parce que sa chienne Wendy venait de mourir. » C’est elle qui, par-delà la mort, se retrouve en lieu et place de Syd Barrett. « C’est tellement gros comme référence, mais il y quand même des gens sur Facebook qui nous traitaient de copieurs », rigole Martin.

Joue-t-il encore de la batterie? Plus vraiment. « Mais avant, j’avais ma routine de rentrer à la maison pour diner et avant de retourner à l’atelier, au moment où tu t’endors un peu, j’allais tapocher pour me crinquer avant de retourner à mes tableaux. » Godspeed You! Black Emperor, les Black Crowes et Jóhann Jóhannsson figurent sur la liste de lecture.

Et cette collaboration vieille d’un quart de siècle, c’est pour la vie? « Avant, je disais à Fred « Envoye, essaie quelqu’un d’autre, amuse-toi. » Mais aujourd’hui, je n’ai plus envie qu’il aille voir ailleurs. C’est très hot qu’après 25 ans, on fasse encore ça ensemble. » Surtout que la cohérence de l’œuvre monumentale de Fred Fortin ne s’en trouve que renforcit. Écoutez Scotch et vous aurez immanquablement en tête tête les teintes d’orange fin du monde, les arbres chétifs et les échafaudages de la pochette Planter le décor. « Je suis content d’entendre ça, parce que lorsque je pense à des bands que j’aime, moi aussi, j’ai tout de suite plein d’images qui m’apparaissent. »



Quand Shawnee Kish a été déclaré gagnante du concours CBC Music Searchlight en mars 2020 grâce à sa chanson « Building a Wall » – elle était la première artiste autochtone à remporter le premier prix de ce concours –, elle aurait dû être catapultée sur les scènes d’un bout à l’autre du pays. Sauf qu’une semaine plus tard, toutes ces scènes ont été fermées. Il n’y aurait pas de prestation durant la JUNO Week. Ni ailleurs, en fait. La pandémie a mis à mal la majorité des formes d’art, de culture et de divertissement et elle a plongé la majorité des artistes dans une profonde incertitude. Shawnee, elle, a fait ce qu’elle fait toujours quand elle traverse une période difficile : elle a écrit des chansons.

« Quand j’ai un obstacle à surmonter, je me tourne vers la musique », dit Kish que nous avons jointe chez elle à Edmonton. « La pandémie n’était même pas le bout le plus difficile. Plein de choses ont été bouleversées dans ma vie personnelle au cours des deux dernières années. Ma mère est tombée malade et dans ma tête c’était la seule constante dans ma vie. Elle a souffert d’un ACV majeur. En la voyant traverser cette épreuve, en étant là quand elle était sous assistance respiratoire, j’ai eu l’impression que tout d’un coup, mon monde entier se résumait à un grand “Qu’est-ce que je fais maintenant ?” J’utilise donc l’art pour me lancer dans l’autonomisation et l’inspiration, pour surmonter ce que j’ai besoin de surmonter. »

La musique comme remède est une leçon qu’elle a apprise très jeune. Elle a commencé à écrire et enregistrer des chansons quand elle avait environ cinq ans. Puis, à l’adolescence, elle a découvert qu’il s’agissait d’un moyen de faire face à la pression exercée par les tentatives d’intégration d’une jeune femme mohawk en train d’assumer son identité bispirituelle.

« Je ne pense pas que je serais ici aujourd’hui si ce n’était de la musique », affirme-t-elle. « Je ne m’étais pas encore affiché. Ma famille et mes pairs mettaient de la pression pour que je trouve ma place dans une certaine vision du monde. Pas juste ma sexualité, mais mes racines autochtones. Je n’ai pas grandi sur une réserve. J’essayais donc de comprendre s’il y avait une place pour moi quelque part. Je me souviens de m’être sentie incroyablement seule quand je me réveillais. J’enfourchais mon vélo, je me sauvais dans la brousse et je me connectais à la nature en écrivant des chansons. Je me sentais en sécurité. La guérison par l’expression. J’ai réalisé que je serais OK. Et si c’était ça, mon avenir ? Et si c’était ça qui me donnait un objectif et un sens ? Je n’ai jamais regardé en arrière après. »

« Je me sers de l’art pour surmonter ce que j’ai à surmonter »

En effet. Outre Searchlight, Shawnee a connu de nombreuses réussites, récemment, notamment de partager la scène avec Lady Gaga, Madonna et Alicia Keys, figurer sur la liste Musicians You Need To Know de Billboard en 2019 ainsi que sur la liste des Artistes transcendant les genres (Gender Bending Artists) de MTV.

Son EP éponyme est paru le 25 juin 2021 et il comprend les simples « Got it Bad », une chanson blues rock enflammée qui a atteint la quatrième place du Top 20 de la CBC et la non moins brûlante chanson pop soul « Burnin’ Love », avec Jamie Fine, anciennement du duo Elijah Woods x Jamie Fine. Les deux artistes se sont rencontrées dans le cadre du Allan Slaight JUNO Master Class, un programme de développement et de mentorat.

Sa relation avec l’industrie canadienne de la musique n’a pas toujours été simple. Elle se souvient qu’on lui a demandé, lorsqu’elle était plus jeune, de changer de coiffure pour être plus attrayante pour son supposé public masculin hétéro ou encore recevoir beaucoup de conseils non sollicités de la part d’associés qui semblaient en savoir plus qu’elle sur qui elle devrait être. Aujourd’hui, en tant que fière membre de la communauté LGTBQ+ qui redonne à des organisations comme Jeunesse, J’écoute, Kish espère que les chansons qu’elle écrit à partir de toutes ces expériences de vie aideront les autres.

« Je ne contrôle pas entre quelles mains ma musique se retrouve, où ma carrière va se terminer, où la musique va me mener », dit-elle. « Mais j’ai le contrôle sur mon évolution en tant que créatrice, parolière et personne qui se tient debout avec fierté pour raconter son histoire. J’espère changer la vie de quelqu’un d’autre qui est comme moi. »