Erika et Simon Angell refusent de tomber dans la musique qui est une habitude, une routine ou une répétition. En duo, leur projet Thus Owls se réinvente à chaque disque depuis près de quinze ans. Leur album double Who Would Hold You If The Sky Betrayed Us ?, paru le 4 mars explore encore davantage la route où on n’est jamais allés et sur laquelle on ne revoyagera probablement jamais.
Il y a sur ce cinquième album tellement d’éléments lancés avec la fougue profonde des artistes, qu’il sera toujours un brin utopique de prétendre rejouer les mêmes pièces dans leur forme d’origine. « On aime le lieu où se marient la composition et l’improvisation. Et on aime encore plus brouiller les lignes entre les deux », explique Erika. « À notre premier album en 2009, quand on avait notre band suédois, c’était ça notre vibe, ajoute Simon. Full circle. »
Fondé à Stockholm, Thus Owls est installé à Montréal depuis de nombreuses années maintenant. La pandémie a pourtant semé des graines de questionnement qui s’entendent dans les mots d’Erika au fil de l’album. « Toutes mes paroles, c’est mon journal, lance-t-elle. J’écris pendant des mois et je regarde les textes ensuite. J’aime improviser les mélodies en second lieu. »
« Sur le nouvel album, je voulais savoir ce que ça me faisait d’avoir changé mes racines. Être déconnectée de ma famille, de la maison, de manière plus draconienne à cause de la pandémie, ça m’a changée. Ce ne sont pas tous les humains qui, chaque jour, parlent une langue qui n’est pas la première qu’ils ont apprise. J’ai voulu savoir qui j’étais, déracinée, et c’est ce que je chante ici. »
Si on n’entend très peu le son Thus Owls au Québec, ce n’est pas nécessairement parce que c’est le son suédois, mais plutôt parce que le couple embrasse l’idéologie musicale plus large qui forme les musiciens là-bas. « C’est du free jazz », énonce d’abord Erika. « En fait c’est que là-bas, beaucoup de styles différents vont intégrer une sorte d’improvisation jazz quand même; que ce soit pop, rock, contemporain… », ajoute Simon. « Tous mes amis avec lesquels je suis allée à l’école il y a vingt ans abordent aujourd’hui la musique avec une plus grande fluidité dans le mélange des styles. Il y a cette nécessité, qu’on entend, de ne rien mettre dans des boîtes. Ça n’a pas besoin d’avoir de nom, la musique », complète Erika.
Alors que l’ensemble de leur processus créatif semble naître au cœur d’une fanfare, dans un stade rempli, les deux dernières années ont dû au contraire ramener Erika et Simon à une expression dense et multiple de leur musique, devant presque rien.
« Quand tu joues avec un grand public, ça fait naître le plaisir, ça ouvre la porte aux possibilités et, oui, c’est comme ça qu’on aime penser notre musique », élabore Erika. « Par contre, ce qui est vraiment intéressant avec notre nouvel album, c’est que même si on a réussi à inviter des amis avec nous pour jouer (notamment les trois saxophonistes Claire Devlin (ténor), Adam Kinner (ténor) et Jason Sharp (sax basse)), l’album est construit pour qu’on puisse toujours ajouter quelqu’un sur scène sur la route, réitère Simon. C’est l’essence du projet : c’est libre. »
En studio, c’est souvent la première prise qui passe et ils ne vont « définitivement jamais au-delà de deux ou trois prises ». « L’énergie d’une chanson, c’est comme une flamme, dit Erika. Après trois takes, il n’y a plus de feu. On joue donc en studio avec tout le monde dans la même pièce sauf moi, au chant. On s’allume ensemble et on enregistre au plus près de ce qu’on ferait sur scène. »
Au début de la pandémie, Thus Owls complétait la musique du Film Woman In Car. Leur pièce Lovers Are Falling est nommée aux Prix Écrans Canadiens dans la catégorie de la meilleure chanson originale. C’est un type de projet qui sort le couple de ses procédés normaux. « Tu dois penser la musique différemment, dit Simon. L’accent n’est pas sur la musique. Tu dois la mettre en retrait. » « Quand je compose, je vois toujours des couleurs dans ma tête et des images, ajoute Erika. Là, la palette de couleurs existe déjà et il suffit de tracer les contours. »
Ainsi, malgré les sons lourds, les arrangements multiples qui se complexifient, se perfectionnent, s’additionnent, Thus Owls voyage léger : une simple idée en tête qui s’habille de toutes les possibilités rencontrées au passage. « On décide de s’écouter, assure Erika. On acquiesce devant l’imprévisible. »