Certains diront qu’il faut être patient, attendre le bon moment et demeurer en retrait en attendant sa vague. Si tel est le cas, la vague d’Émile Bilodeau en est une soudaine et précoce. À peine âgé de 21 ans, l’auteur-compositeur-interprète vit encore chez ses parents en banlieue de Montréal, n’a pas de permis de conduire, mais il n’a qu’un seul rythme lorsqu’il chante : la vitesse grand V.

Émile Bilodeau

Photo: Léolo

« Quand j’écris, je me dis « si ça rime, ça doit marcher ». J’ai toujours été séduit par la musicalité des mots. C’est seulement après que je vérifie si le sens est bon. J’aime que la forme prenne le dessus sur le propos. Après, quand on s’attarde à mes textes, on voit le travail de piétage. Ça a l’air de ne pas être contrôlé, c’est un paquet de mots qui se suivent et qui sont faciles à mémoriser, mais je repasse toujours sur mes textes après un jet d’écriture automatique. »

Autodidacte, Émile a fait le saut dans le grand monde de la musique lors de sa participation à la finale des Francouvertes en 2015. Son coffre à outils artistique peut sembler vide si on s’attarde au fait qu’il n’a aucune étude en musique derrière la cravate, mais il assure que Dare To Care, sa maison de disques, lui a trouvé « tous les amis dont il avait besoin », dit-il en riant. C’est notamment Philippe B qui a réalisé son premier album et il aspire à travailler à nouveau avec ce dernier pour son prochain disque.

Ni totalement dans la marge, ni complètement plongé dans le grand bassin de la musique commerciale, il se dit fier de pouvoir s’assoir entre deux chaises. Celui qui a réussi à placer certains titres sur les ondes des grandes radios se targue également de pouvoir faire entendre des pièces moins collées au moule sur les ondes des radios indépendantes. « C’est une chance de toucher à tous les publics, clame-t-il. Depuis que je suis petit, je veux gagner ma vie avec la musique. J’ai commencé mes études en multisport… Loin de moi l’idée de généraliser en disant que les sportifs écoutent juste CKOI, mais je suis toujours flatté quand mes amis du cégep me disent qu’ils m’ont entendu à la radio. »

«  Ma carrière musicale est partie en flèche. C’est tout cru, mais j’ai des bonnes mâchoires  !  »

Il n’en demeure pas moins qu’il puise une grande fierté dans le fait de proposer une voie alternative avec un style moins accessible. Il affectionne particulièrement le mariage du rock et du jazz de la pièce America, qui joue plutôt sur les ondes universitaires. « J’aime que les gens qui m’ont connu avec CKOI me découvrent en show et se disent « ok, c’est pas Marc Dupré. On change de moule d’une chanson à l’autre ». Au Québec, il y a trois personnes qui décident ce que toute la province écoute. J’espère pouvoir amener de nouvelles personnes à faire leurs propres recherches pour découvrir des choses qu’on ne leur donne pas toutes cuites. »

Le premier album du jeune artiste, Rites de passages, sorti à l’automne 2016, permet de constater qu’il est loin d’être un homme de peu de mots. C’est d’ailleurs son franc-parler, sa fougue et son propos politique qui marquent lorsqu’on s’attarde à ses pièces tantôt amusantes, tantôt revendicatrices. Déjà comparé aux grands porteurs d’idéaux tel Dédé Fortin, il ne s’oppose pas lorsqu’on lui fait porter les chapeaux de la préservation de la langue ou de la défense des intérêts de sa génération.  « Je pense que ça peut faire du bien aux gens de voir un jeune qui a la langue française à cœur. Je me fais un devoir de dire que le français, c’est important et il faut en parler aux gens de mon âge et aux plus jeunes. Il ne faut pas diaboliser la musique francophone en faisant juste écouter du Céline Dion aux jeunes en leur disant que, la musique d’ici, c’est seulement ça. S’ils aiment le métal, il faut leur montrer que ça existe, du métal francophone québécois. »

Si le deuxième album n’est pas dans les cartes pour l’instant, la créativité du prolifique musicien n’est jamais en veilleuse. « Je suis vraiment fier de faire un show totalement composé de chansons originales. J’ai écrit des nouvelles chansons dès que mon album a été fini donc mon spectacle, ce n’est que moi », évoque-t-il en précisant qu’il convoite l’idée d’écrire une chanson à quatre mains, prochainement. « J’essaie aussi de sortir de ma zone de confort. J’ai une chanson et demie au piano, à date. C’est original parce que je sais pas vraiment jouer », ajoute-t-il en riant.

La tournée, la route et les spectacles, c’est l’école de musique qu’Émile a choisie. « Si je mets mon capo à la mauvaise place ou que je commence un demi-ton en dessous de ce qui est supposé, mes musiciens s’ajustent et ils me traitent de con. Ce sont eux qui me permettent d’être bon. » Il se considère heureux et choyé de pouvoir « apprendre sur le tas devant 5000 personnes au lieu de 5 » et il persiste et signe : son originalité provient de son inexpérience et de sa manière de ne pas voir la musique pour ce qu’elle a de didactique. « Ma carrière musicale est partie en flèche. C’est tout cru, mais j’ai des bonnes mâchoires ! »



Jason Bajada

Tous les journalistes spécialisés en musique vous le diront : il existe peu de phrases plus galvaudées que « cet album m’a littéralement sauvé la vie ». Au fil des ans, des artistes de tous les genres m’ont lancé ces quelques mots avec un détachement qui frise la nonchalance, mais pour Jason Bajada, elle sonne juste.

L’auteur-compositeur-interprète ne s’en cache pas : les événements qui ont inspiré Loveshit II (Blondie & the Backstabberz), son ambitieux double album, sont les plus difficiles qu’il ait jamais vécus. Une série de relations catastrophiques et de malheurs personnels, suivis d’épisodes dépressifs, l’ont mené au bord du gouffre. Et sans la musique, il est possible qu’il ne s’en soit pas sorti indemne. « C’est vrai que la musique a été un formidable exutoire et une bouée de sauvetage, mais en même temps, ce n’était qu’une partie de la guérison, précise-t-il. Si je vais mieux, je le dois aussi à d’autres facteurs, notamment à une extraordinaire thérapeute qui a croisé mon chemin. »

Aujourd’hui serein et philosophe, Jason parle aussi de la paix intérieure que peuvent lui apporter la méditation, le plaisir qu’il prend à écouter ses stand-up comics préférés, comme Bill Hicks et George Carlin (« presque plus des philosophes que des humoristes », dit-il) ou l’émerveillement ressenti à visionner la série Cosmos. Mais Jason est musicien, jusqu’au bout des ongles, et il s’est nourri de son expérience personnelle pour faire de l’art, mettant tout ce qu’il avait de larmes, de sang et de sueur dans ce projet.

« Je me souviens de la dernière chanson que j’ai écrite pour l’album, In What World Do You Savages Live Where You Thought I’d Be Cool. J’étais dans une fête de Nouvel An et quelques secondes après le coup de minuit, j’ai été terrassé par une crise d’anxiété. Je suis parti seul dans la nuit, je me suis enfermé dans le studio, j’ai empoigné ma vieille Gibson et la chanson est sortie. C’est comme ça que je me suis calmé. »

Très tôt, Jason a compris qu’il lui faudrait deux disques pour raconter son histoire ; un, plus folk et dépouillé, sur la période noire qui a suivi la rupture, et l’autre, plus arrangé et lumineux, qui retracerait ladite histoire d’amour, des feux d’artifice du début jusqu’à l’inévitable chute. Une fois fixé sur son idée d’album double, il est allé jusqu’à jouer de presque tous les instruments et à imaginer les arrangements avant même d’entrer en studio.

« C’était la première fois que j’arrivais avec des chansons presque finies en studio et ç’a été formidable de les travailler ensuite avec Philippe Brault. D’abord, parce que c’est vraiment un humain extraordinaire, mais aussi parce qu’il n’a pas voulu transformer complètement ce que j’avais fait. La marque d’un bon réalisateur, ce n’est pas de mettre sa patte partout, mais au contraire, de faire sortir le meilleur d’un artiste, ce qui veut souvent dire de résister à la tentation de trop en mettre. Et Phil est un grand réalisateur. »

Après deux albums en français, dans un style qu’il qualifie lui-même de « pop planante », Jason retrouve la langue du premier Loveshit, paru en 2009, et laisse ses influences remonter à la surface : on reconnaît la mélancolie théâtrale de Morrissey, l’émotion à fleur de peau d’Elliott Smith… « et puis Springsteen, Stephin Merritt de Magnetic Fields, Devendra Banhart et tant d’autres… », poursuit-il.

Et si la douleur qui a inspiré les chansons est palpable – la plupart des textes sont sans équivoque – la musique brille, même dans les chansons les plus squelettiques. « Ce qui est paradoxal, c’est que ma période la plus down, c’était pendant que j’enregistrais Volcano, un disque d’amour très pop et très planant. Loveshit II, c’était tout le contraire : il s’est fait dans la joie et la simplicité. »

Il reste qu’au terme de l’aventure, Jason a cru un moment avoir tout laissé sur la table et ne plus être capable de se remettre au travail. Mais ses réflexes d’auteur-compositeur ont vite repris le dessus. À preuve : au moment de notre conversation, il se trouvait à Los Angeles en compagnie de Matt Holubowski et d’Aliocha Schneider, avec lesquels il participait à un camp d’écriture.

« J’avais déjà participé à un camp d’écriture à l’invitation de la SOCAN l’an dernier (dans le cadre du Camp Kenekt Québec, où il a créé la chanson Comme les Autres, avec Laurence Nerbonne, NDLR) et j’avais trouvé ça très stimulant. Il fait beau, je rencontre plein de gens d’autres milieux, je travaille dans d’autres genres et je découvre d’autres facettes du songwriting. »  Est-ce que le bonheur va finir par tuer l’inspiration ? « Ha ! Ça m’étonnerait, je pense que j’ai encore assez de matériel pour toute une vie d’écriture ! »

Loveshit II (Blondie and the Backstabberz) sera lancé le 1er septembre dans le cadre du FME et au Théâtre Fairmount, à Montréal, le 7 septembre.

 



Fuso, Guillaume de son prénom, Français d’origine installé au Québec depuis l’âge de neuf ans, lançait en 2016 un premier album anglophone. Un premier extrait radio bilingue s’en suit, Rain Is Falling, puis pas grand-chose. Jusqu’au jour où il soumet une version française de la ballade romantique Love aux radios québécoises. Un texte remanié, où il passe allègrement de l’anglais au français, au gré de sa mélodie ensoleillée qui rendrait n’importe quel fan de Jason Mraz ou Jack Johnson bien heureux.

« Il faut dire que la version initiale de Love était déjà bilingue, explique Fuso. Ce que j’avais fait naturellement. Quand on a voulu la modifier pour la radio, j’ai seulement eu à réécrire quelques passages. J’avoue que ce fut un processus plus compliqué que je ne l’aurais cru. Je voulais garder la même sonorité que la version de base, mais surtout le même message. On a essayé plusieurs textes avant de trouver le bon. Ce fut un défi très agréable à réaliser. »

Depuis, Love (version française) lui a permis de connaitre son premier top 10 radio, les 4 principaux réseaux radiophoniques québécois jouant quasi à satiété la chanson. Autodidacte, l’auteur-compositeur et membre SOCAN ne cache pas sa surprise face au succès de la pièce, surtout que sa vie radiophonique a commencé en étant le Coup de cœur du groupe iHeartRadio : « J’ai été tellement heureux, mais surtout surpris par le succès de ma composition « coup de cœur »! Déjà que l’accueil de mon premier single Rain Is Falling dans les radios avait dépassé de loin toutes mes attentes. Là, je suis comblé ! »

Le jeune auteur-compositeur devrait passer l’automne sur la route et aussi en studio, comme les derniers spectacles lui ont permis de “casser” quelques nouvelles chansons : « J’ai eu beaucoup de plaisir à faire la première partie d’artistes que j’admire tels que Jérôme Couture. Je le vois comme un mentor musical, mais aussi un homme avec la main sur le cœur. J’ai eu énormément de plaisir à​ partager la scène avec lui. J’aurai la chance de remonter sur scène et assurer la première partie de son spectacle en octobre prochain à Granby et espère renouveler l’expérience encore plusieurs fois ! », conclut le sympathique troubadour.