Les frères Simon et Henri Kinkead visitent la Migration sous toutes ses formes dans un premier album paru en octobre et titré ainsi par cette action de quitter les lieux. Les questionnements, les changements que l’on choisit ou non, l’évolution nécessaire de l’enfance vers la vie adulte : le duo, épaulé par Simon Kearney à la réalisation propose dix chansons qui accompagnent la mi-vingtaine aussi bien que le café accompagne les lundis matin.
Les oiseaux quittent pour l’hiver, mais finissent par rentrer à la maison. Les jumeaux Kinkead essaient de regarder devant en faisant le deuil de ce qu’ils laissent derrière. « La COVID nous fait vivre une crise existentielle dans un contexte où tout le monde est en crise. C’est difficile de démêler ce qui vient de nous et ce qui vient de la pandémie dans le stress qu’on vit », rapporte Henri. La confusion est entière.
« L’anxiété nous assiège de toute part sauf que la société continue à progresser, parfois dans le mauvais sens et les questionnements sont permis, même s’il faut gérer une crise plus grande que nous, répond Simon. Il y a moyen de s’y perdre et l’équilibre est difficile à trouver. »
Les jeunes adultes d’aujourd’hui ont grandi avec les réseaux sociaux et ils se sont définis à travers eux, ce qui les rend enclins à souffrir de la surexposition de soi dans un contexte d’isolement. « Pour nous, après, ça va de soi, de parler de tout ce qu’on vit et de mettre un aspect très personnel dans nos chansons », avoue Simon. Abordant sans détour d’autres traits identitaires comme les orientations et appartenances sexuelles, ils ne se formalisent pas et disent les choses telles qu’elles sont.
« On ne cherche pas à provoquer, poursuit Simon. On ne se prend pas pour Hubert Lenoir, mais on sait qu’on représente un autre modèle de différence. On est un autre vecteur de ce message-là qui mériterait d’être partagé le plus possible. Plus il y aura de modèles, plus les gens qui ne se sentent pas représentés vont se sentir bien. »
Selon Henri, Simon Kearney a cimenté les propos de Kinkead en coulant une fondation à cette maison du groove qu’est leur album. « Il nous a donné une cohérence stylistique. On est davantage des songwriters donc on travaille plus avec la guitare et la voix, puis en studio, on lui a parlé de nos inspirations et il nous a trouvé une identité sonore. »
Et si certains pensent que les jumeaux ont un sixième sens pour communiquer sans rien dire, peut-être que les frères Kinkead ont ce petit don ésotérique pour la cohésion. « Notre télépathie, c’est que l’on connait les limites de l’autre. On ne met pas de bâtons dans les roues de l’autre parce qu’on est en symbiose totale », dit Henri.
Et même si la clé de leur succès est dans leur vision commune, ils savent reconnaître les forces qui les distinguent l’un de l’autre. « Henri a plus l’instinct du hook pop que moi, admet Simon. Moi je m’intéresse aux mots et aux façons de dire les choses, d’optimiser un texte. Je suis plus vulnérable et sensible, disons. » « Simon, c’est le emo du groupe, rigole Henri. On aime aussi beaucoup rebondir sur une idée de l’autre et laisser aller l’inspiration et la suivre jusqu’au bout. Pour la chanson Atomic Suzie, j’avais l’idée d’une femme transe qui entre dans un karaoké et qui domine. C’est venu après un jam de drum et de bass. »
Dans l’idée de la migration, au-delà de l’évolution de l’humain vers sa version préférée de lui-même, persiste également la nécessité de croître dans un environnement où il fera bon vivre. « La crise climatique c’est une chose, mais de participer à une transition vers un système politique et économique qui va nous permettre de survivre en évitant de ne profiter qu’à une infime partie de la population, ça, c’est nécessaire, dit Henri. Au lieu que 10 % des gens puissent aller vivre sur Mars, on pourrait essayer de faire en sorte que tout le monde ait accès à l’eau potable sans que ça vire en guerre civile. » « C’est vraiment difficile de faire ça, une révolution, renchérit son frère. Il faut trouver l’équilibre entre toutes les choses importantes pour nous et celles qui sont nécessaires pour permettre à l’autre de vivre aussi. »
Et après la révolution, la non-fin du monde, le bout de la pandémie, il restera encore un désir : celui de faire entendre cette musique vectrice de changement. « La musique existe grâce aux échanges, croit Henri. On a la chance d’avoir eu un accueil favorable sans lancement physique. Ça met la table pour la suite. On a la chance d’être jeunes et d’avoir l’énergie de continuer. On est optimistes. On va avoir une bonne swing quand le temps sera venu. » « On va aller travailler chez Normandin en attendant, en continuant de se nourrir artistiquement, poursuit Simon. Il n’y a rien pour nous arrêter. »