Kevin Drew n’y va pas par quatre chemins pour décrire son amour du cinéma.
« Je suis en amour avec le cinéma », dit simplement le cofondateur du groupe alternatif torontois Broken Social Scene et le propriétaire de la maison de disques Arts & Crafts. « Tout ce qui m’intéressait, c’était de devenir réalisateur et j’ai fini par me retrouver dans un groupe de musique instrumentale pour créer des trames sonores. Quelques personnes m’ont dit que je devrais chanter, et c’est comme ça que le périple de Broken Social Scene a commencé. »
C’est l’évidence même que lorsque l’occasion s’est présentée de composer la musique du documentaire The Movie Man de Matt Finlin – un portrait de Keith Stata, un entrepreneur de Kinmount, en Ontario, qui a construit il y a 40 ans son propre et unique multiplexe de six salles, appelé Highland Cinemas sur sa ferme, Drew l’a accueillie à bras ouverts.
Et c’est ainsi qu’il a découvert à quel point Stata est un personnage unique. « Il adopte des chats », explique Drew. « Il s’occupe d’une quarantaine de chats. T’es là à regarder ce docu et tout d’un coup il se met à raconter son amour pour les chats et qu’il en héberge une quarantaine sur sa propriété. Il accueille les chats errants et tu te demandes “Oh mon Dieu! Qui est ce gars?” »
Malgré la population relativement faible de Kinmount – 500 habitants –, Stata a réussi à tirer son épingle du jeu pendant 40 ans grâce au soutien des communautés voisines de Minden Hills, Trent Lakes et Kawartha Lakes. Le film de Finlin documente la fragilité de l’entreprise de Stata durant la pandémie.
Drew explique qu’il a rencontré Finlin lorsque celui-ci a invité Broken Social Scene à participer à un téléthon qu’il organisait au nom d’Eddie Vedder de Pearl Jam et de sa femme Jill, au profit de la recherche contre l’épidermolyse bulleuse, un groupe de maladies génétiques qui provoquent des déchirures, des cloques et l’érosion de la peau, même après une abrasion mineure.
« Je lui ai dit, genre “mais pourquoi nous veux-tu dans ta programmation?” », raconte Drew en riant. « Il m’a parlé de l’attrait de notre groupe et de l’idée d’essayer d’avoir de l’espoir malgré tout ce qui nous entoure, de communauté et tout ça… c’est comme ça que Matt et moi on s’est connus. »
“On a beaucoup jasé et on a tissé des liens, notamment parce que nos mamans n’allaient pas bien à ce moment-là. On a jasé de notre amour du cinéma et j’en ai appris de plus en plus sur ce qu’il faisait et les productions sur lesquelles il travaillait. C’est là qu’il m’a parlé de ce documentaire.”
Après avoir visionné un montage de The Movie Man – qui a été co-produit par Ed Robertson des Barenaked Ladies –, Finlin a demandé à Drew de composer la musique du film, car il n’était pas satisfait de la musique originale.
« Quand j’ai regardé le film », dit Drew, « j’ai ressenti cette mélancolie, pas juste à cause de ce fou du cinéma qui a bâti cet incroyable théâtre pour les gens, mais aussi le parallèle avec notre époque actuelle, comment on est rendus incapables d’apprécier les choses de la vraie vie analogique et, même avec les grèves [d’acteurs et de scénaristes] qui se sont en cours, j’ai juste trouvé cela brillant. »
Il a accepté de créer la trame sonore et il a fait appel à Ohad Benchetrit du groupe Do Make Say Think pour lui donner un coup de main. « C’est un producteur avec qui j’ai travaillé tout au long de ma carrière et je lui ai expliqué que je faisais une faveur à un ami parce que c’est vraiment un très beau film », raconte Drew. « J’avais envie d’utiliser de l’harmonium et du piano pour que ça soit très analogique, sans pour autant délaisser le drone que tout le monde attend de moi. Je fais du drone depuis l’âge de huit ans ; les textures et les tonalités de la musique ambiante font partie de ma vie depuis que je suis tout petit. »
« Et j’ai été témoin de leur popularité fulgurante dans le domaine du cinéma et de la télé », poursuit-il. « Ça me rend heureux de me laisser porter vers l’infini par une seule note, c’est une très belle façon d’exprimer des émotions. La mélancolie est une des formes de musique les plus simples : écrire une chanson triste est super facile. Pour moi, c’est extrêmement difficile d’écrire des chansons joyeuses et entraînantes. »
« Alors quand Matt m’a dit “écoute, j’aimerais aller puiser un peu dans la tristesse de tout ça”, je me suis dit “OK, allons-y” », continue Drew. « Je lui ai envoyé du matériel et il a aimé ça. Quand un réalisateur te dit qu’il aime ce que tu fais, tu lui en donnes plus. J’ai commencé à créer d’autres thèmes. C’était très beau. Tout était très viscéral et simple. »
Comment un album « pour enfants » est devenu AgingKevin Drew insiste sur le fait que son quatrième album solo, Aging, qui sortira le 22 septembre 2023 en format physique et le 3 novembre 2023 en format numérique, était au départ un projet complètement différent avant que les choses prennent une autre tournure dans la foulée de la perte de bons amis comme le chanteur de Tragically Hip Gord Downie et récemment, celle de sa mère à la suite d’une longue maladie.
« Ç’a commencé comme un album pour enfants », confie-t-il. « Mais y a toujours des gens qui sont malades… des gens qu’on perd… En vieillissant, tu réalises que tu as de plus en plus tendance à te concentrer sur l’essentiel et à surmonter la peine de voir tes parents vieillir. Ma maman, malheureusement, est devenue gravement malade. Ç’a duré cinq ans et je l’ai perdu le mois dernier. »
Il se sentait aussi très connecté à Finlin et sa mission. « Heureusement, c’était un film pour lequel c’était très facile de composer la trame sonore sans avoir recours à des “cues”. Normalement, c,est pas possible, mais il y a une façon de travailler où tout ce que tu as à me dire c’est “OK, j’ai besoin de ce thème-là” et en plus, Matt est très descriptif quant à l’aspect final du film, alors… Je ne dis pas que créer cette musique a été facile, mais on avait une connexion qui rendait le processus pour lui donner le résultat voulu plus simple, et il est satisfait du résultat. »
Kevin Drew a créé et livré la musique du film très rapidement. « Je n’aime plus passer plein de temps sur un projet », dit-il. « Tu ne peux pas vendre ou même mettre un prix sur l’intuition. Tu ne peux pas vendre ou même mettre un prix sur ton instinct premier. De toute façon, on vit à une époque où tu as plein de chances de changer quelque chose ou d’ajouter quelque chose et, en vieillissant, j’ai tiré des leçons de tout ça. »
« Au final, les gens avec qui je travaille sur des vidéos, des trames sonores, des productions ou des séances d’écriture savent que je veux que ça aille vite. Je n’aime pas l’idée de donner toute ta vie et ton identité à un projet, et je le sais parce que je l’ai fait. Mais c’était dans une autre vie. »