Dans cette vidéo captée lors de la conférence de presse dans les coulisses de l’édition 2017 des prix JUNO, Sarah McLachlan – qui a été intronisée au Panthéon de la musique canadienne cette année en plus de donner une prestation durant le gala télévisé – nous parle de son processus de création



La première fois où je suis entrée en contact avec l’univers de Samuele, c’était il y a 2 ans, à la demi-finale des Francouvertes. Sa chanson Pas toi, dans laquelle une mère tente d’expliquer à son jeune enfant, avec toute la délicatesse qui s’impose, que ce n’est pas lui que son père quitte, mais elle, m’avait jetée en bas de ma chaise. Je me souviens m’être dit que cette fille était une sorte de Lynda Lemay d’Hochelaga. Que cette chanson-là, qu’on peut entendre sur le mini-album Le goût de rien paru en 2011, était un grand texte.

SamueleJe l’ai croisée à quelques reprises par la suite à l’École Le Plateau, l’école primaire à vocation musicale où nos kids jouent ensemble dans l’orchestre des vents, section clarinettes. Lors des concerts d’élèves, on peut apercevoir la crinière blonde ébouriffée de Samuele dans la fenêtre en régie. J’ai su qu’elle travaillait au très cool Camp de rock pour filles, qui se donne l’été à la Sala Rossa. Bref, je m’intéresse au parcours de Samuele depuis un moment déjà, car je sens qu’elle a quelque chose de riche et d’unique à offrir. Il semble que le moment de l’offrande soit arrivé : son premier « album officiel » atterrit dans nos oreilles le 7 avril.

Bien sûr, il y a eu quelques projets et de nombreuses chansons avant ça : deux démos en anglais sous le nom Starless Sky, un mini-album bilingue en 2011 (Le goût de rien) et le Z’album en 2015, qui de l’avis de l’artiste annonçait la naissance artistique de Samuele telle qu’on la rencontre aujourd’hui : « Après Le goût de rien, j’étais restée sur une mauvaise note. J’avais trouvé ça dur, j’étais prête à lâcher la chanson et j’ai décidé de faire le Z’album pour finir sur une belle expérience… Puis j’ai joué une couple de fois en femme-orchestre et j’ai retrouvé confiance. Lors d’un soundcheck, j’ai dit aux musiciens : soit le monde embarque, soit je m’en vais faire pousser des légumes dans une commune. »

Mais justement, le monde a embarqué. Samuele a remporté les grands honneurs au Festival international de la chanson Granby, ce qui lui a permis d’éponger les frais de mixage, de mastering, d’impression et de la promotion d’un album dont la conception et l’enregistrement étaient déjà passablement avancés. Entretemps, son identité d’artiste s’est précisée. L’ascendance blues vers laquelle tend son folk-rock est désormais beaucoup mieux intégrée au son et semble être là pour rester.

« C’est un groove qui est naturel pour moi, les riffs sont simples et ça part du ventre. Quand je fais de la musique, j’y vais au feeling, je suis dans mon corps, pas dans ma tête. Ces dernières années, à force de jouer ensemble, mes musiciens et moi, on est arrivés à préciser le son du band. »

Samuele jubile à l’idée de voir, un peu partout dans la ville, les affiches avec le titre de son album, un slogan féministe qui fait à la fois sourire et réfléchir. Une phrase saisissante : Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent. À l’heure où certains commencent à se poser la question de la place des femmes en musique et de la reconnaissance accordée à leurs œuvres, on peut dire qu’elle arrive au bon moment avec une position forte, assumée et même revendiquée. L’album s’ouvre de façon audacieuse sur un discours féministe intitule Égalité de papier dans lequel on entend des phrases comme :

Compte avec moi le nombre d’élues à l’Assemblée.
Comment parler d’égalité quand ceux qui ont le pouvoir de décider si devrait ou pas naître un bébé n’ont jamais eu eux-mêmes le pouvoir d’en porter ?
Comment t’expliques à une fille qu’elle est égale aux garçons quand jouer « comme une fille » c’est d’échapper le ballon ?

Je joue aussi bien que le nombre d’heures que je consacre à ma passion et puis de toute façon, je joue comme une fille ; je joue bien, je joue fort et je ne m’excuse pas de prendre le décor.

Et Samuele pousse encore plus loin en faisant suivre ce discours inspiré par La sortie, superbe chanson d’autodétermination qui ramène en tête les notes de Cornflake Girl de Tori Amos. « Quand je la joue en show, je me crisse par terre au moment du solo de guitare ! » Samuele est libre et ça fait toujours du bien d’être devant une artiste qui a des ailes et de petites cornes.

La dernière fois que je l’ai vue en show, c’était lors des préliminaires de l’édition actuelle des Francouvertes, dans le cadre de la série « J’aime mes ex » présentée par la SOCAN. Entre deux chansons, avec la verve qu’on lui connaît, Samuele, qui est aussi intervenante dans les écoles secondaires via GRIS-Montréal (Groupe de recherche et d’intervention sociale), a démystifié toute la question de la pansexualité, du queer, de la transexualité et du polyamour sans que ce petit aparté important n’alourdisse sa perfo… Juste avant la fin de notre entrevue, elle m’apprend qu’il existe des pronoms neutres comme « ille » et « iel », qu’il y a plusieurs choses à l’essai en ce moment pour les personnes qui se définissent comme « non binaires ».

« Dire les choses et les expliquer, c’est dans ma nature. Rendre visible ce qui était invisible est un processus puissant ! » Tout comme sa musique, qui ouvre le printemps avec une force et une vigueur qui nous élèvent tous et toutes, les filles sages tout autant que les rebelles.



Cette enivrante envie d’aller voir ailleurs, tout d’un coup qu’il y serait, jusque dans les textes de ses chansons nouvelles : l’auteur, compositeur et interprète Damien Robitaille a passé les deux ou trois dernières années à s’éloigner de la musique pour mieux y revenir avec Univers parallèles, un cinquième album en carrière – quatrième pour l’étiquette Audiogram – qui arrive cinq ans après Omniprésent. Le thème de la fuite s’est ainsi glissé dans ce disque où le chant des chœurs et les grooves disco-funk prennent le devant de la scène.

Damien Robitaille« La musique, c’est de la curiosité, c’est le plaisir de la découverte », déballe Damien Robitaille, attrapé sur la route en direction de Trois-Rivières où s’arrête sa petite tournée promotionnelle annonçant la parution dudit nouvel album. « Je n’aime pas me répéter, je n’aime pas non plus toujours écouter la même musique. Et quand je tombe sur quelque chose [de nouveau], je fais de l’obsession. Dernièrement, tiens, j’ai découvert ABBA –  je veux dire : je connaissais déjà ABBA, mais là, j’ai vraiment écouté ABBA, tu comprends ? Tabarnouche, c’était bon ça ! Prends Dancing Queen, je l’avais écoutée souvent, mais là… My God, c’est bon, les arrangements, l’enregistrement, tout ! »

Peut-être avait-il vraiment envie de ça, Damien, pour retourner en studio. Retrouver l’excitation dans la musique, quinze ans après la parution de son premier album (éponyme, autoproduit). Il ne le dira pas clairement : « Une envie d’aller voir ailleurs ? Euh… C’est juste que la vie me présentait des projets intéressants, alors j’ai embarqué. »

Ainsi, ces derniers temps, on l’a vu comme explorateur de la francophonie américaine dans le très bon documentaire Un rêve américain (2013) du réalisateur Bruno Bouliane. Il a aussi coanimé la série Ma caravane au Canada sur TV5 et UNIS, aux côtés de Vincent Gratton. « J’ai aussi fait une émission de chiens… Toutes sortes d’affaires variées, tsé ! En faisant tout ça, je ressentais moins l’envie de composer… »

Bref, c’est bien beau, la télé et le grand écran, mais ça éloigne de la musique, « même si j’ai quand même fait une tournée solo pendant un an et demi », insiste-t-il. Mais voilà, après quatre ans sans nouveau matériel, « c’était le temps d’y revenir. Au fond, il suffisait de se forcer pour trouver du temps à nouveau pour écrire. Il fallait décider de tirer la plogue, et de m’y consacrer pendant un an, écriture, studio. »

« Là, me suis dit : pas d’influences. On regarde ce qui sort naturellement et on prend le meilleur de tout ça. »

Résultat : Univers parallèles, un disque « sans influences » musicales, souligne-t-il pour marquer la différence avec Omniprésent, l’album par lequel il embrassait son affection pour les musiques latinos, « à cause de ma femme, Colombienne » d’origine. « Là, me suis dit : pas d’influences. On regarde ce qui sort naturellement et on prend le meilleur de tout ça. »

Moins typé sur le plan musical – pas très country comme L’Homme qui me ressemble (2006), ni très latino comme sur Omniprésent -, Univers parallèles, une réalisation de Carl Bastien, trouve son fil conducteur dans les voix, la sienne et celles de ses collaboratrices Marie-Christine Despestres et Dawn Cumberbatch.

« En faisant les démos, je m’amusais à enregistrer moi-même les back vocals, raconte Robitaille. Au bout du compte, j’ai voulu m’éloigner du son « digital » du précédent disque », alors enregistré à quatre mains à Miami dans un petit studio de fortune. « Je voulais faire un disque joué live en studio, à tout le moins pour les percussions, la batterie et les chœurs, tous chantés ensemble, en même temps. […] Je voulais retrouver plus d’âme. » Le but est atteint, particulièrement sur le triplé final, la superbement solennelle Chance en or, Oasis et Ennemi imaginaire.

Mais il y a aussi le Damien funky qui réapparaît sur l’album, notamment par un autre trio de joyeuses chansons, Rêve récurrent, Sortie de secours et S.O.S. Y’a pas à dire, Damien sait rendre en français la chanson qui groove et qui assume ses références R&B et funk. Y’a pas un peu de référence à ABBA, tiens, là-dedans ? « Je dirais plutôt l’influence du reggae », une de ses obsessions de jadis. « Le roots, le rocksteady, je me suis imprégné de tout ça. »

Damien reggae, on en prendrait tout un disque ! « Je dirais que Homme autonome est mon album reggae… mais avec des arrangements soul. Des chansons comme Plein d’amour, ou encore Jésus nous a dit… Celle-là est directement inspirée d’une chanson de Junior Murvin, tu vois laquelle ? » Et d’entonner le premier couplet de Soloman, tiré du disque classique Police & Thieves (1977, une production du mythique Lee « Scratch » Perry) : « Solomon was the wisest man / But he didn’t know the secret of a woman… »