À 23 ans, Jeune Rebeu fait preuve d’une grande lucidité sur Business et sentiments 3, le troisième volet d’une série d’albums qui l’a fait évoluer, à la fois sur le plan humain et artistique.
« Je le vois pas comme une dualité, mais plutôt comme deux choses qui se complètent », tranche le rappeur montréalais lorsqu’on l’interroge sur la portée du titre de cette trilogie amorcée en 2018. « Les gens ont tendance à opposer business et sentiments, surtout dans le rap. Certains vont davantage dévoiler leur côté sentimental, tandis que les plus coriaces vont dire qu’ils sont plus business… Et là, je parle pas particulièrement des rappeurs virils, mais plutôt de ceux qui jouent une game et qui cachent [une partie d’eux-mêmes]. En fait, je parle aux rappeurs qui ont une virilité mal placée. Moi, au contraire, j’essaie d’être le plus vrai possible. Je suis quelqu’un de sensible. Et j’essaie de décomplexer [ce côté émotif] que d’autres refoulent. »
Cette sensibilité-là, Jeune Rebeu l’éprouve depuis déjà longtemps. À son arrivée au Québec au début des années 2000, il se souvient avoir entendu deux chansons qui l’ont tout particulièrement marqué : Parce qu’on vient de loin et Seul au monde de Corneille. « C’était une période dure pour moi. Non seulement j’arrivais de loin, mais j’avais de la famille qui venait de décéder en Tunisie », confie-t-il. « Je retrouvais une sensibilité dans la musique de Corneille, qui venait me chercher. Je ne parlais pas encore très bien le français, mais je connectais avec son émotion. »
Vingt ans plus tard, le destin du jeune rappeur croise celui de Sonny Black, multi-instrumentiste qui a composé, arrangé et coréalisé le brillant premier album de Corneille, d’où sont issues ces deux percutantes pièces. Comme un petit coup de pouce du destin. « C’est fou ! » admet celui qui a profité de l’expertise et de la rigueur de Black à titre de directeur artistique et principal compositeur de BS3. « J’ai beaucoup aimé sa façon de travailler. Il a rendu les chansons encore mieux que je me les étais imaginées. »
Avec sa signature chaleureuse, où règnent la guitare acoustique, les rythmes trap et les influences latines, Business et sentiments 3 marque un bond en avant dans la carrière de Jeune Rebeu. Dix ans après son initiation au rap, qui s’est faite dans le cadre d’un atelier d’écriture et d’interprétation rap donné dans un centre communautaire de Côte-des-Neiges, l’artiste établi dans l’arrondissement de LaSalle témoigne d’une nette évolution, qui va bien au-delà de sa collaboration avec Sonny Black.
Quelque part entre le côté spontané du premier volet de la trilogie et celui plus mélancolique du deuxième, Business et sentiments 3 trouve un équilibre entre les forces et les émotions du rappeur. Cette fille dont il nous parle depuis trois ans, cette «valentina» qui a teinté l’écriture d’une bonne partie de la trilogie, a maintenant quitté sa vie.
Résultat : Jeune Rebeu a les idées plus claires.
C’est du moins ce qu’il nous montre sur BS Story, saisissante conclusion de plus de cinq minutes qui résume en toute franchise l’épopée Business et sentiments. Histoire de tourner la page. « J’étais dans un chalet d’écriture en août dernier et je venais tout juste de sortir de cette relation. Je voulais marquer le coup », confie-t-il, sans aucune amertume. « Je n’avais aucun regret. Je trouvais ça dommage [que tout se termine], mais je n’avais plus de regret. Je voulais simplement relater les choses de la manière qu’elles se sont déroulées. Y’a des gens qui ont un journal intime. Moi, ce sont mes chansons, mon journal intime. »
Autre petit coup de pouce du destin : sa rencontre avec Ousmane Traoré (alias OTMC) de Dubmatique. « Au moment où j’ai perdu ma relation, j’ai rencontré Ousmane », se surprend-il encore. « La vie, c’est une balance. Chacun doit trouver son équilibre. »
À ce moment-là, Traoré mettait sur pattes l’embryon de ce qu’allait devenir Yokobok Records, sa toute nouvelle étiquette de disques. « Je lui ai fait écouter les maquettes de BS3, et il a vraiment aimé. Il a dit : ‘’Let’s go ! Ce sera la première signature de mon label!’’», raconte le jeune rappeur. « Depuis, on a appris à se connaître. On est des amis, des associés. On rigole tout le temps. »
Bien en selle aux côtés d’un des rappeurs ayant vendu le plus d’albums de l’histoire du Québec (La force de comprendre de Dubmatique s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires), Jeune Rebeu a maintenant des ambitions de grandeur. « Pendant longtemps, j’ai eu plein d’idées… mais pas assez d’outils. Maintenant, avec Ousmane, j’ai les outils qui me permettent de réaliser les idées auxquelles je rêvais », juge-t-il.
Pièce d’ouverture de BS3, J’suis pas désolé incarne bien le côté « business » du titre-mantra de sa trilogie. « Je fais ça pour le butin / Pour marquer le but hein ? » lance-t-il, évoquant à la fois sa mission et son « empathie quelque part cachée dans le froid ».
« Pour moi, l’argent, c’est un vecteur d’ambition, de rêve. C’est pas une fin en soi », nuance-t-il. « Quand je parle d’argent, c’est pas avec les yeux plein d’étoiles. J’ai aucun attachement à la marque ou au luxe. Contrairement à d’autres, j’ai compris durant mon enfance que l’argent allait pas me sauver. Mais je sais aussi qu’il peut m’aider à réaliser mes objectifs. Tout est une question de bien savoir l’investir. »