Dans une rare lueur d’espoir dans le nuage du confinement imposé par la COVID, Jess Moskaluke a trouvé une raison de ressentir de la gratitude. « D’une certaine manière, je suis reconnaissante pour la pandémie, car mon nouvel album The Demos n’existerait peut-être pas sans elle », explique l’auteur-compositeur-interprète country basée en Saskatchewan.

« Avant tout ça, je pensais que j’allais simplement suivre la voie des simples, en écrivant toutes les quelques semaines, puis en sortant les meilleurs morceaux en simples. Sauf qu’avec mon processus de création, ce n’était plus possible, étant donné que je ne pouvais pas aller à Nashville pour des sessions d’écriture. »

Moskaluke s’est adaptée à la situation en se tournant vers son catalogue pour y trouver ses démos préférées de morceaux qui n’avaient pas été enregistrés. Trois de ces chansons figurent sur The Demos, à la fois en version démo et finalisée, aux côtés de son n° 1 de 2019 « Country Girls », « Halfway Home », un autre succès, et d’autres inédits. Cette compilation est arrivée en première position des palmarès iTunes dès sa parution en février.

Moskaluke a connu de nombreux succès au Canada depuis la parution de son premier simple en 2012. Elle a remporté le JUNO de l’album country de l’année en 2017, pour Kiss Me Quiet et, de 2014 à 2016, a été trois fois de suite lauréate du prix de l’artiste féminine de l’année de la CCMA. Avec son succès de 2014 « Cheap Wine and Cigarettes », elle est devenue la première artiste country féminine canadienne depuis Shania Twain à atteindre le statut platine de la CRIA, et elle a également obtenu des certifications or pour « Take Me Home » (lauréate d’un prix SOCAN 2017) et « Kiss Me Quiet ».

The Demos est son premier album où elle co-écrit toutes les chansons. « J’ai toujours été convaincue que les meilleures chansons l’emportent toujours », dit-elle. « Il y a plein d’auteurs-compositeurs qui sont meilleurs que moi et c’est toujours un honneur d’interpréter leurs chansons lorsqu’elles sont un “fit” parfait. N’empêche que ça faisait longtemps que j’avais envie d’écrire toutes les chansons d’un de mes albums. »

Le groupe diversifié de co-auteurs sur cet enregistrement comprend son producteur de longue date Corey Crowder (Florida Georgia Line), Emily Shackelton et Liz Rose (Taylor Swift).

« Ça  faisait longtemps que j’avais envie d’écrire toutes les chansons d’un de mes albums »

Tout en reconnaissant qu’elle reste d’abord et avant tout « une chanteuse et une interprète, et une auteur-compositrice ensuite », Moskaluke souligne que «ça ne veut pas dire que je n’aime pas écrire des chansons. Je suis vraiment heureuse que le fait d’être chanteuse m’ait permis d’écrire des chan sons. Quand j’écris une chanson vraiment bien ficelée, j’ai encore plus de plaisir à la chanter que toutes les autres, et à son tour ça nourrit mon amour de la création. »

Elle a constaté que l’approche nashvillienne de la composition country dans une salle d’écriture convient à sa personnalité. « M’asseoir avec ma guitare pour écrire une chanson, ça n’est pas mon genre”, avoue-t-elle.  « Je suis quelqu’un de très collaborative et mes meilleurs textes sont créés en groupe quand il y a une certaine énergie dans la pièce, »

« Ce n’est que lorsque j’ai signé mon premier contrat de développement à Nashville qu’on m’a encouragé à collaborer avec des auteurs et à apprendre à écrire. J’en suis vraiment reconnaissante. C’est devenu un des aspects de mon travail que j’aime vraiment. Certains disent que ce format [de session de co-écriture] étouffe la créativité, mais c’est ainsi que j’ai appris à écrire des chansons au cours des 12 dernières années. De toute façon, c’est quand je peux planifier du temps pour le consacrer à l’écriture que je travaille le mieux. »

Elle a fait des percées sur les marchés australien et britannique, mais elle résiste pour l’instant à l’appel des sirènes qui l’inciteraient à tenter de percer aux États-Unis. « C’est une autre conversation, ça », dit-elle. « J’ai envie de fonder une famille, éventuellement, et je ne veux pas être totalement absente de leur vie. Tenter de percer aux États-Unis c’est comme repartir à zéro. Faire toutes ces tournées radio, et [passer] des semaines ou des mois loin de sa famille, je ne sais pas si c’est quelque chose qui m’intéresse tant que ça. »

« Pour l’instant, il y a des choses qui se passent au Canada et dont je suis vraiment heureuse. J’aime ce pays et notre industrie. On prépare nos artistes à la réussite, et on peut vraiment faire carrière ici. C’est vraiment cool. »

Moskaluke affirme qu’elle est une artiste tournée vers l’avenir et non le passé. « Je suis totalement concentrée sur ce s’en vient et sur la façon dont je peux mieux me connecter avec mes fans pendant que je ne peux pas donner de spectacles. Le hamster dans ma tête court sans arrêt ! »

Elle confie, dans un moment de réflexion, « je pensais que la musique serait un simple passe-temps, mais c’est devenu ma carrière. Je ne tiens jamais pour acquise la chance que j’ai que c’est devenu mon chemin de vie. »



Kae Sun a déjà chanté en pidgin sur des rythmes tendance afro-beat, mais aujourd’hui, c’est le monde en constante évolution du r&b qui occupe ses pensées. L’auteur-compositeur-interprète montréalais né à Accra, capitale du Ghana, a lancé en février dernier l’envoûtant mini-album Midnight and Other Endings sur lequel il poursuit ce virage en direction d’un r&b moderne et exploratoire, amorcé sur son précédent album, Whoever Comes Knocking, paru en 2018 sur le label Moonshine. « C’est le côté abstrait, impressionniste, de l’écriture de chansons qui m’intéresse aujourd’hui », nous explique le musicien.

Le r&b en mutation est un terreau fertile pour le compositeur, qui s’inscrit dans le sillon des têtes chercheuses Moses Sumney, serpentwithfeet et, dans une autre mesure, Frank Ocean. Ces comparaisons, acquiesce Kae Sun (né Kwaku Darko Mensah-Jnr.), ont l’avantage de délimiter ses choix esthétiques : « Y’a cette qualité que je retrouve chez ces artistes – particulièrement chez Frank Ocean – qui touche à leur manière d’écrire des chansons. Ça m’intéresse parce que j’ai étudié l’écriture, la poésie. Ils ont une manière singulière de lier les mots et la musique; avant, dans mon travail, j’avais tendance à dire les choses plus directement, tout en essayant d’être lyrique. Mais on note aujourd’hui l’émergence d’une nouvelle génération de compositeurs r&b qui s’intéresse autrement à la poésie, et je trouve ça très intéressant. »

Reçu au Canada à l’adolescence comme étudiant international, Kae Sun a commencé à composer et produire sa propre musique à la fin de ses études, alors établi à Toronto – sa famille a depuis quitté le Ghana pour s’établir dans la région d’Atlanta. Sur ses précédentes parutions, la soul rencontrait le folk, la pop, le reggae et, occasionnellement, les rythmes de son pays d’origine. « Ce n’est que plus récemment que je me suis tourné vers le r&b, mais je dirais qu’il reste toujours un peu de l’influence du Ghana en filigrane de ma musique – et par ailleurs, la culture musicale est si riche au Ghana qu’elle ne peut que laisser des traces dans ce que je fais, sans avoir à insister. Ces influences sont plus subtiles, plus directes. »

Kae Sun, en ce sens, est le produit de son environnement sonore. Enfant, il a été marqué autant par la pop américaine et britannique qui tournait à la radio que par le gospel (à la manière, bien distincte, d’Accra) et, inévitablement, par le high-life, cette fusion du jazz et des rythmes traditionnels ghanéens apparue au milieu du XXe siècle dont l’influence, même à l’époque, a grandement traversé les frontières du pays – l’afro-beat nigérian est d’ailleurs largement tributaire du son du Ghana; une version moderne, plus pop-reggae-funk née auprès de la diaspora ghanéenne en Allemagne qu’on a baptisée le « burger-high-life », tournait aussi abondamment dans la radio des souvenirs de Kae Sun.

L’autre ingrédient musical formateur du musicien lui a été transmis par son père, grand amateur de soul et collectionneur de disques. « Stevie [Wonder], Marvin [Gaye], les Ohio Players, tous ces disques jouaient à la maison. J’ai des goûts musicaux éclectiques! », abonde le musicien qui compose à la maison, dans son petit home studio, souvent à partir d’idées trouvées à la guitare, son premier instrument.

« La mélodie vient toujours en premier, ensuite je trouve les mots, explique Kwaku. Parce que parfois, t’as beau avoir les plus beaux mots, ils auront toujours besoin d’une bonne musique – à mon sens, c’est toujours la mélodie qui dirige la chanson. Parfois aussi, je vais écouter un truc que quelqu’un a composé, un beat, et je prends des notes. J’essaie de trouver des pistes de mélodies qui pourraient s’y attacher. »

S’il a beaucoup composé et réalisé ses premiers projets, pour Midnight and Other Endings, Kae Sun s’est tourné vers ses collaborateurs montréalais, en premier lieu le beakmaker Yama//Sato : « Pour ce projet, je cherchais à atteindre un son plus lent, plus coulant, plus brumeux, justifie-t-il. Yama//Sato fait ce type de production, très atmosphérique » qui va comme un gant à la voix fine du musicien et à ses tendres chansons. Sur ce mini-album, « mes chansons parlent du désir, le désir d’intimité, bien sûr, mais aussi d’avoir un chez-soi, d’un port d’attache. J’ai beaucoup bougé ces dernières années, alors je voulais exprimer cette envie d’une place à soi, cette envie d’aimer et d’être aimé ».

Au moment de quitter Toronto il y a quelques années, une ville où la scène r&b est clairement plus valorisée qu’à Montréal, « il y avait plein de trucs intéressants qui s’y passaient – en tous cas sur le point de vue de l’industrie de la musique, estime Kae Sun. Mais je crois que pour un artiste, un créateur, il faut pouvoir s’extraire de l’industrie. Sur le plan créatif, je me sens plus à l’aise à Montréal; la scène culturelle ici est tellement stimulante, il y a tellement de bons musiciens, de bons créateurs, des talents provenant de différents horizons – des designers, des artistes visuels, des réalisateurs, etc. Oui, Toronto a le vent dans les voiles en ce moment, mais la scène est très « cut throat » (coupe-gorge). J’ai le sentiment que pour revenir à la création, Montréal est le bon endroit pour moi. »



Pour la majorité des mélomanes, elle sera toujours J.Kyll, cofondatrice de Muzion, pionnière du rap québécois et l’une des plumes les plus pertinentes à avoir émergé de cette scène. En près de dix ans cependant, Jenny Salgado s’est aussi fait un nom pour elle-même dans le domaine de la composition de musiques à l’image et à la scène – sa trame musicale du long-métrage Scratch (de Sébastien Godron, 2015) lui a valu une nomination au Gala du cinéma québécois et deux prix, au Canadian Screen Award à Toronto et au Chicago International Movies + Music Festival. Réflexions sur son travail, sur les différences entre la musique pour le cinéma et le théâtre et sur la malédiction des « temp tracks ».

Jenny Salgado assure que de rappeuse à compositrice de musique à l’image, il n’y avait qu’un pas à franchir dans une direction qu’elle-même avait tracée depuis la fondation de Muzion : « Au départ, je faisais déjà toute la production pour Muzion, rappelle-t-elle. Je dirais même que la musique est arrivée dans ma vie avant les mots et la littérature; mon élan vers le rap est venu autant du texte que du beatmaking alors, peut-être que certains voient le travail de compositrice comme une seconde corde à mon arc [de rappeuse], mais en vérité, ces cordes se sont posées en même temps sur l’arc. »

L’occasion a tout de même fait la larronne, reconnaît-elle : « Un peu comme tout ce que je fais dans ma carrière, c’est comme si des pavés se posaient devant mes pas; je ne fais que marcher dessus », dit-elle en se rappelant du coup de fil de la documentariste Nicole Giguère, qui fut la première à lui proposer d’écrire une musique originale pour son film On me prend pour une Chinoise! (2011), qui traite de l’adoption internationale.

« Elle m’a demandé quelque chose d’assez audacieux, soit de mélanger la musique urbaine, le hip-hop, à la musique chinoise, explique Jenny Salgado. Elle m’a forcée à plonger dans un univers très différent de ce que connaissais, et j’ai relevé le défi. Ça a été un point tournant, alors que pour Scratch, on m’a ramené dans ma zone de confort puisque je composais à partir de mes racines, le hip-hop, la musique de la rue. Dans ce film, la musique avait un rôle prédominant, presque un personnage en soi. Ma musique a été bien accueillie et je crois que c’est à ce moment-là que, dans l’industrie, une lumière s’est allumée : il se passe quelque chose avec cette fille… »

Quiconque connaît J.Kyll sait d’abord qu’elle n’a pas la langue dans sa poche. La femme de tête met aujourd’hui tout son talent au service de la vision d’un réalisateur au cinéma ou d’un metteur en scène (l’automne dernier, Christian Fortin a demandé à la compositrice une trame sonore pour sa production de King Dave, présentée au Théâtre Jean Duceppe). Le travail exige aussi du compositeur de musique à l’image un talent d’équilibriste, concède la musicienne : d’un côté la commande du réalisateur, de l’autre la singularité du travail de la compositrice. La nécessité d’être polyvalente, de s’adapter à la vision du cinéaste, tout en trouvant le moyen d’apposer sa propre signature à la trame sonore.

« Y’a une zone entre les deux où il faut savoir se retrouver, explique Jenny Salgado. J’imagine qu’une des raisons pour lesquelles les gens me soumettent des projets, c’est ma capacité à pouvoir aborder la proposition en me l’accaparant un peu. Servir une œuvre – un film, une pièce de théâtre – qui n’est pas moi, qui n’est pas de moi, qui n’est pas ma parole, mon propos ou ma vision, la servir entièrement, tout en y trouvant quelque chose de créatif sur le plan personnel et proposer ma propre ligne éditoriale. J’ai été capable jusqu’ici à le faire à chaque projet, mais c’est un défi, à chaque fois, de savoir placer son mot. C’est aussi ça le trip, trouver comment s’insérer dans la vision d’un autre. »

Elle note également une grande différence entre la composition musicale pour le cinéma et pour le théâtre : « Quand tu reçois les images d’un film [pour lequel elle compose], tout est placé dans un timecode [minutage] t’indiquant précisément où la musique est prévue; au théâtre, c’est vivant, l’œuvre bouge à chaque représentation. Il faut donc être capable de créer une musique assez malléable pour suivre le contenu. Ça prend quelque chose qui se tient, mais accompagne la fluidité des mots, ou des corps pour la danse – j’aime beaucoup composer la musique pour les corps. Ça m’aide dans mon travail d’avoir donné des concerts [avec Muzion] et prévu le déroulement d’un spectacle, avec des moments réfléchis pour faire réagir la foule de telle manière. J’essaie d’amener ça dans mon travail de composition pour le cinéma ou la scène. »

Ce qui, dans le cas du cinéma, soulève la question des attentes liées à ces premiers montages, souvent faits avec des musiques de références – des œuvres déjà enregistrées, souvent connues, qui indiquent en musique une intention, une émotion, illustrée à l’image. « Les fameuses temp tracks!, souffle la compositrice. On m’en a proposé parfois au théâtre aussi… Ça fait partie des obstacles qu’il faut contourner. Le danger avec ça, c’est ce qu’on appelait avant la « démophobie » : le fait que des musiciens s’habituent au son d’une version démo d’une chanson et soient insatisfaits de la version propre et mixée. »

« C’est un peu le même problème avec les « temp tracks »; elles s’imprègnent dans le cerveau de l’équipe de tournage. Lorsque tout le monde est habitué de voir ces images avec telle chanson, il faut alors réussir à composer une pièce qui réussira à détrôner l’originale. Le truc, c’est de parvenir à aller chercher dans la composition originale l’émotion la plus juste, la mieux adaptée à la scène, mieux encore que le fait la chanson de référence. C’est toujours un défi, mais ça fait partie du jeu! »