Dans quelques années, la plupart d’entre nous frémiront au souvenir des jours sombres de 2020 et 2021, mais probablement pas Jenna Andrews. La Torontoise aux multiples cordes à son arc – chanteuse, auteure-compositrice, productrice vocale, éditrice de musique – vit en ce moment une période faste. En date du 19 juillet 2021, elle a des crédits d’auteure dans le # 1 de BTS aux États-Unis (« Butter ») et le # 6 au Royaume-Uni, « Heartbreak Anthem » de David Guetta, Little Mix et Galantis. Elle a également coécrit la « face B » de « Butter », « Permission to Dance » et les deux chansons ont été encensées après leur performance, la semaine précédente, à l’émission The Tonight Show with Jimmy Fallon. Andrews a passé la semaine dans un avion entre Toronto, Los Angeles, New York et Nashville et son souvenir de cette pandémie sera assurément différent de celui du reste de la population.

Elle a attiré l’attention du label de BTS, Big Hit, grâce à la chanson « Supalonely » qu’elle a coécrite pour la chanteuse néo-zélandaise Benee. Le label l’a contactée pour travailler pour un autre groupe, TXT, mais cette collaboration a débouché sur une relation étroite avec l’équipe de BTS. Jointe au téléphone depuis New York, Andrews m’explique qu’« à cette époque, Ron Perry [président-directeur général de Columbia Records] travaillait sur leur premier simple [chanté en anglais], “Dynamite”, et, à la dernière minute, il m’a demandé si je serais prête à travailler sur la production vocale. J’étais bien entendue aux anges, surtout pendant la pandémie. »

Et Andrews a instinctivement habité ce rôle. « J’ai grandi en chantant à l’église », dit-elle, « donc j’aime les harmonies vocales et c’est la base de ce qui fonctionne vraiment bien quand il s’agit d’un groupe, qu’il s’agisse d’un groupe de garçons ou de filles. Donc, en gros, j’ai écrit toutes les harmonies et les “ad libs” qu’ils chantent. Je chantais toutes ces harmonies et je leur envoyais, puis ils me répondaient en disant “on aime celle-là, mais pas celle-là.” Je chantais un ad lib et ils me le retournaient et me demandant de l’essayer de cette façon. »

Une fois dans le sanctuaire BTS avec l’attention du label, Andrews a mis son chapeau d’éditrice. En 2019, elle et Barry Weiss, vétéran de la musique américaine, ont signé une contrat avec Sony/ATV pour leur entreprise d’édition, Twentyseven Music. La maison d’édition avait reçu un démo écrit par Stephen Kirk, Sebastian Garcia et Robert Grimaldi qu’Andrews trouvait incroyable. « La mélodie “hook” était fantastique et j’ai tout de suite pensé que ça pourrait être le prochain simple de BTS », dit-elle. « Sauf que le texte n’était pas très solide. » Elle l’a fait écouter à plusieurs personnes sans succès, mais Ron Perry de Columbia « était sur la même longueur d’onde que moi ». Ils se sont mis au travail avec leurs collaborateurs via Zoom.

Andrews se souvient d’un jour où « Ron m’a juste dit “ça te tente d’essayer quelque chose dans le genre de ‘Smooth Criminal’ de Michael Jackson ?” J’ai tout de suite pensé à la phrase “smooth like butter, like a criminal undercover”, et le tour était joué. C’est là que j’ai trouvé le concept et je savais qu’on tenait un bon filon. »

Sept auteurs-compositeurs sont crédités sur « Butter », et 14 sur « Heartbreak Anthem », mais Andrews ne voit rien de spécial à ce qu’il y ait autant de collaborateurs. « De nos jours, écrire des chansons n’est pas nécessairement aussi simple que quelques musiciens assis autour d’un feu de camp », croit-elle. « Tu peux avoir une “loop” de batterie géniale créée par quelqu’un en Nouvelle-Zélande et ça t’inspire une chanson, et après je trouve une mélodie, et je l’envoie à un ami qui a une idée de génie pour le texte. Après, t’as l’interprète qui a ses propres idées – par exemple il ou elle adore la chanson, mais le texte ne cadre pas avec son image de marque et voilà que la chanson a un nouveau texte. C’est comme ça qu’on se retrouve avec autant d’auteurs-compositeurs sur une chanson. À notre ère de la diffusion continue, on peut parfois retrouver 20 auteurs-compositeurs pour une chanson. »

Être auteure-compositrice et éditrice de musique
Andrews aime la synchronicité qu’implique le fait d’être à la fois auteure-compositrice et éditrice. « En gros, tous ceux que nous avons signés chez Twentyseven sont des gens avec qui j’écris et avec qui j’ai des liens parce que, évidemment, nous travaillons vraiment bien ensemble », dit-elle. « C’est logique qu’on soit sous le même toit. » Elle cite l’évolution de « Heartbreak Anthem » en exemple. « Je travaillais avec Lennon Stella, elle est canadienne et on la connaît à cause de la série Nashville… On m’a envoyé cette chanson à l’origine pour Lennon et elle n’était pas faite pour elle, mais j’ai pensé qu’elle serait parfaite pour Little Mix, qui était aussi signée chez Twentyseven. Ils voulaient un deuxième couplet, alors j’en ai écrit un avec Little Mix. La chanson est un gros “hit”, alors on peut dire que Twentyseven vit un beau moment ! »



Le producteur torontois Jenius a fait honneur à son nom en appliquant ses compétences prodigieuses aux enregistrements de certains des plus grands noms du hip-hop.

Récemment mis sous contrat par Wonderchild – le nouveau label de WondaGurl – Jenius, 19 ans, a connu son plus récent succès en se plaçant sur Hall Of Fame du rappeur de Chicago Polo G, qui a débuté à la première place du Billboard 200 en juin 2021. Crédité sur « Go Part 1 », aux côtés du torontois FrancisGotHeat, Jenius a travaillé directement avec Polo G sur l’inquiétante fondation sonore de la chanson. « On lui a pas simplement donné un beat », explique Jenius. « On a réellement travaillé et peaufiné la production de cet enregistrement. »

La fierté s’entend dans la voix de Jenius lorsqu’il parle de cette production. C’est un témoignage de la confiance qu’il a dans la croissance et la polyvalence de son talent de producteur. « Je suis définitivement très fier de ma polyvalence », dit-il avec assurance. « Je sais comment créer tous les genres de musiques, j’imagine. S’il y a une chose que je veux tirer de la musique, c’est être moi-même, tu vois ? Mon style est puissant et frappe fort. Je veux que les gens ressentent ma musique et pas juste avec leurs oreilles. »

Outre Polo G, des artistes comme Travi $ Scott, JackBoys, Jack Harlow et des Canadiens comme KILLY et Anders ont tous tiré parti des prouesses sonores de Jenius que ce dernier peaufine depuis un très jeune âge.

Né Julius-Alexander Brown, Jenius se souvient que les bases musicales du reggae et du dancehall – par des artistes comme Buju Banton, Capleton et Bob Marley – lui ont été inculquées dès son enfance à Whitby, en Ontario. Il a été initié au hip-hop en écoutant son père jouer le « boom-bap » menaçant de Mobb Deep. Jenius a été élevé dans un environnement familial qui l’encourageait à cultiver et développer son art ; à preuve, c’est son père qui lui a appris à créer des beats dès l’âge de huit ans.

« Pendant quelques années, créer des beats était surtout une activité père-fils pour nous », explique Jenius. « Et, petit à petit, je créais de plus en plus des beats seul, quand ça me tentait et c’est là que j’ai réellement développé cette passion et mon amour de la création musicale. »

Outre les encouragements de son père, Jenius s’est également inspiré du rappeur torontois Infinite, qui se trouve être son oncle. Infinite s’est fait connaître en tant que membre de l’influent groupe hip-hop canadien Ghetto Concept au milieu des années 90 et il s’est séparé du groupe pour enregistrer des succès comme « Gotta Get Mine » et « Take A Look » au fil d’une carrière solo remarquable.

« Ça m’a prouvé que moi aussi je pourrais y arriver à un jeune âge », dit Jenius. « Voir comment lui y est arrivé, d’autant plus qu’il fait partie de ma famille, et au niveau qu’il a atteint m’a convaincu que si mon oncle est capable, je suis capable aussi. »

« Je veux que les gens ressentent ma musique et pas juste avec leurs oreilles »

Dès l’âge de 12 ans, Jenius savait hors de tout doute qu’il se destinait à une carrière de producteur. C’est à 14 ans qu’il a réussi un premier placement majeur et dès lors, il n’était plus question de rebrousser chemin. « Never Let Up », une chanson qu’il a produite pour Killy, a été mise en nomination pour un prix JUNO alors qu’il était encore au secondaire.

Si Jenius a manifestement fait ses preuves au début de sa carrière, il a aussi astucieusement tissé des liens avec WondaGurl. Son père a contacté l’équipe de la productrice pour lui parler du talent de Jenius en matière de production et les deux artistes se sont rencontrés dans un studio pour réaliser quelques beats. Jenius explique que le lien créatif qu’ils ont établi est « organique » et, par conséquent, il a non seulement été mis sous contrat sur son label, mais il collabore fréquemment avec elle. L’un des crédits de production que le duo partage est « Bad B**** From Tokyo », l’intro de l’album Shoot for the Stars, Aim for The Moon de feu Pop Smoke – bien que Jenius ne le savait pas au départ.

« Quand l’album est sorti, j’ai appuyé sur “play” et voilà que j’entends mon beat comme première pièce de l’album », s’exclame-t-il. « J’étais comme “Oh ! wow ! y’a une des mes productions sur l’album de Pop Smoke. » Le beat en question avait été créé par Jenius et WondaGurl un an plus tôt, alors qu’il était au secondaire et qu’il l’avait presque oublié. WondaGurl, qui se trouvait dans la voiture avec Jenius et quelques amis lorsqu’il a appuyé sur « play », avait été prévenue du placement, mais a voulu faire la surprise à son collègue.

Aussi exaltant que puisse paraître ce scénario particulier, l’approche collaborative habituelle de Jenius repose sur la stratégie plutôt que sur les heureux hasards.

« Je collabore avec un groupe très restreint de producteurs », dit-il. « Mais là encore, c’est des relations très organiques… Ce sont simplement des gens avec qui j’aime faire de la musique. Sauf que quand on travaille ensemble, on se donne à fond. On va en studio, peu importe qui mon collaborateur est à ce moment-là, et on crée quelque chose. Je m’occupe de la mélodie et l’autre du beat, on encore on travaille tous les deux sur tous les aspects de notre beat. Ça dépend, au cas par cas. »

C’est ce type de fluidité intuitive et d’approche intellectuelle malléable qui forment les racines des grandes aspirations de Jenius dans la réalité.

« On m’a toujours dit que j’étais un génie, même avant que je commence à créer de la musique », affirme-t-il. « Quand j’étais à l’école, j’avais des A partout et en première année, je lisais à un niveau secondaire 2. Et au-delà de ça maintenant, je prouve que sur le plan musical et créatif, je suis un génie de la création. Tous ceux avec qui j’ai travaillé pourraient vous le dire. »

 



Nous sommes ravis de vous offrir encore notre série Jeunes pousses, où nous vous présentons des profils de très jeunes membres de la SOCAN qui se font remarquer grâce à leur musique.

Jay JayEn grandissant dans les Appartements St-Pie X, Jay Jay avait déjà un pied dans la culture hip-hop québécoise. Auparavant appelés Tours Bardy, ces tours d’habitation emblématiques du quartier Limoilou ont vu naître et croître le mouvement rap à Québec depuis trois décennies.

Du haut de ses 12 ans (et de son cursus primaire terminé il y a un mois), Jay Jay s’impose donc comme la relève d’un quartier fondamental du rap québécois, qu’ont représenté avec fierté Shoddy, Webster, Souldia, Les Sozi et bien d’autres. Bloc 2000, son premier EP, s’inscrit géographiquement dans l’espace limoulois grâce à son titre qui réfère au 2000 rue Désilets, adresse de l’un de ces deux gratte-ciel à loyer modique, où se regroupent une myriade de cultures dans un climat vivant et chaleureux, mais parfois impétueux.

« Retourne chez toi / Juste au cas où / Y’a des bagarres de partout, cours / On pourrait dire des loups-garous », témoigne l’artiste aux origines congolaises sur la percutante Feu rouge, un titre renvoyant aux sirènes de police qu’il a vu refléter dans les vitres du bloc 2000 dès son plus jeune âge.

« À Limoilou, t’es comme en famille », explique Jay Jay, rejoint au téléphone en appel conférence avec son gérant Sami, qui interférera parfois dans la discussion pour préciser la pensée de sa jeune recrue. « Par contre, si t’es nouveau, tu peux avoir peur. C’est un quartier où il y a beaucoup de bandits […] Mais si tu es né ici, tu vas grandir avec eux. »

« Je pense que ce qu’on peut retenir de tout ça, c’est qu’à Limoilou, on est en famille », résume Sami, le sourire dans la voix.

Et on le sait : la seule chose qui compte, c’est la famille. L’adage d’Alaclair Ensemble, formation qui a quelques-unes de ses nombreuses racines dans le quartier, incarne bien ce qui ressort de Bloc 2000, un mini-album marqué par l’amour que porte Jay Jay à sa mère, son équipe et ses amis.

L’un d’entre eux, c’est Izo, jeune adolescent de son voisinage qui lui a donné envie de rapper il y a un peu plus d’un an. « Je voyais qu’il était vraiment bon », dit-il, à propos de celui qu’il cite comme une influence majeure aux côtés de gros noms comme Koba LaD, Souldia et 50 Cent. « On a commencé à rapper ensemble il y a environ un an. C’est lui qui m’a montré à Sami. »

Sami a rapidement flairé le talent des deux jeunes garçons. « Je les ai invités dans mon petit studio. Mon ami avait placé son matériel dans ma chambre. Ça a donné Recompter », raconte le jeune gérant, également natif des Appartement St-Pie X.

Le clip de la première chanson de Jay Jay et Izo a rapidement dépassé le cap des 10 000 vues sur YouTube. Le succès était prometteur, mais malheureusement, « la maman [d’Izo] a supprimé la vidéo », se désole Sami. « J’ai donc recontacté Jay pour une chanson solo. Cette fois, je l’ai amené dans un vrai studio. Et on a fait la chanson Bloc 2000 avec un autre beat [que celui de l’album]. »

Sami a ensuite eu la brillante idée d’envoyer la chanson à un ami de son cousin : Souldia. Avide de nouveaux talents, le rappeur a instantanément pris Jay Jay sous son aile. « Je me retenais full pour pas sortir mes émotions », dit le jeune rappeur qui voit en Souldia un modèle. « À partir de là, il m’a dit qu’on allait faire un album dans un vrai de vrai studio. C’était vraiment professionnel ! »

Publié sous Disques 7ième Ciel et Altitude Records (la toute nouvelle étiquette de Souldia), le microalbum a été enregistré à Montréal chez Christophe Martin, fidèle réalisateur et ingénieur de son du porte-étendard limoulois. Chanson faisant la promotion du restaurant de sa mère, Malewa (premier extrait du EP sorti en mars dernier) a jeté les bases du style de Jay Jay : un trap fougueux mené par des compositions assez sombres qui contrastent avec ses textes rayonnants, un brin candides, mais plutôt matures et conscients pour son âge.

« La drogue, nah, ne prends pas de tout ça / Ils croient que je dors, mais nah, je ne connais pas le coussin / Tu sais où que j’ai poussé, la jeunesse est dégoûtée / Bloc 2000, St-Pie-X, dis-moi est-ce que tu sais où c’est », lance-t-il avec un flow précis et exalté, en phase avec la tendance du moment.

Sur Jeanine, touchant hommage à sa mère, Jay Jay sait aussi se faire plus sensible et émotif. « J’espère que ma musique pourra te faire vibrer / Maman je pars faire du rap / J’ai un combat à livrer », confie-t-il.

« Ma mère, je voulais la remercier pour la carrière qu’elle m’a donnée. J’adore ma mère », dit-il. « Je pensais qu’elle allait dire ‘’non’’ [à mon ambition de faire de la musique]. Ça aurait pu gâcher tous mes rêves. »

La pièce marque également les esprits par son refrain crève-cœur. « Papa où es-tu ? », demande-t-il à répétition dans un élan qui rappelle le tube international de Stromae. Quand on lui parle de ce passage, Jay Jay se fait catégorique : « Je vais même pas dire que c’est mon père… Il ne s’est jamais occupé de moi ! »

De toute façon, à quoi bon compter sur un adulte qui ne prend pas ses responsabilités quand on a tout un quartier derrière soi ?