Le producteur torontois Jenius a fait honneur à son nom en appliquant ses compétences prodigieuses aux enregistrements de certains des plus grands noms du hip-hop.

Récemment mis sous contrat par Wonderchild – le nouveau label de WondaGurl – Jenius, 19 ans, a connu son plus récent succès en se plaçant sur Hall Of Fame du rappeur de Chicago Polo G, qui a débuté à la première place du Billboard 200 en juin 2021. Crédité sur « Go Part 1 », aux côtés du torontois FrancisGotHeat, Jenius a travaillé directement avec Polo G sur l’inquiétante fondation sonore de la chanson. « On lui a pas simplement donné un beat », explique Jenius. « On a réellement travaillé et peaufiné la production de cet enregistrement. »

La fierté s’entend dans la voix de Jenius lorsqu’il parle de cette production. C’est un témoignage de la confiance qu’il a dans la croissance et la polyvalence de son talent de producteur. « Je suis définitivement très fier de ma polyvalence », dit-il avec assurance. « Je sais comment créer tous les genres de musiques, j’imagine. S’il y a une chose que je veux tirer de la musique, c’est être moi-même, tu vois ? Mon style est puissant et frappe fort. Je veux que les gens ressentent ma musique et pas juste avec leurs oreilles. »

Outre Polo G, des artistes comme Travi $ Scott, JackBoys, Jack Harlow et des Canadiens comme KILLY et Anders ont tous tiré parti des prouesses sonores de Jenius que ce dernier peaufine depuis un très jeune âge.

Né Julius-Alexander Brown, Jenius se souvient que les bases musicales du reggae et du dancehall – par des artistes comme Buju Banton, Capleton et Bob Marley – lui ont été inculquées dès son enfance à Whitby, en Ontario. Il a été initié au hip-hop en écoutant son père jouer le « boom-bap » menaçant de Mobb Deep. Jenius a été élevé dans un environnement familial qui l’encourageait à cultiver et développer son art ; à preuve, c’est son père qui lui a appris à créer des beats dès l’âge de huit ans.

« Pendant quelques années, créer des beats était surtout une activité père-fils pour nous », explique Jenius. « Et, petit à petit, je créais de plus en plus des beats seul, quand ça me tentait et c’est là que j’ai réellement développé cette passion et mon amour de la création musicale. »

Outre les encouragements de son père, Jenius s’est également inspiré du rappeur torontois Infinite, qui se trouve être son oncle. Infinite s’est fait connaître en tant que membre de l’influent groupe hip-hop canadien Ghetto Concept au milieu des années 90 et il s’est séparé du groupe pour enregistrer des succès comme « Gotta Get Mine » et « Take A Look » au fil d’une carrière solo remarquable.

« Ça m’a prouvé que moi aussi je pourrais y arriver à un jeune âge », dit Jenius. « Voir comment lui y est arrivé, d’autant plus qu’il fait partie de ma famille, et au niveau qu’il a atteint m’a convaincu que si mon oncle est capable, je suis capable aussi. »

« Je veux que les gens ressentent ma musique et pas juste avec leurs oreilles »

Dès l’âge de 12 ans, Jenius savait hors de tout doute qu’il se destinait à une carrière de producteur. C’est à 14 ans qu’il a réussi un premier placement majeur et dès lors, il n’était plus question de rebrousser chemin. « Never Let Up », une chanson qu’il a produite pour Killy, a été mise en nomination pour un prix JUNO alors qu’il était encore au secondaire.

Si Jenius a manifestement fait ses preuves au début de sa carrière, il a aussi astucieusement tissé des liens avec WondaGurl. Son père a contacté l’équipe de la productrice pour lui parler du talent de Jenius en matière de production et les deux artistes se sont rencontrés dans un studio pour réaliser quelques beats. Jenius explique que le lien créatif qu’ils ont établi est « organique » et, par conséquent, il a non seulement été mis sous contrat sur son label, mais il collabore fréquemment avec elle. L’un des crédits de production que le duo partage est « Bad B**** From Tokyo », l’intro de l’album Shoot for the Stars, Aim for The Moon de feu Pop Smoke – bien que Jenius ne le savait pas au départ.

« Quand l’album est sorti, j’ai appuyé sur “play” et voilà que j’entends mon beat comme première pièce de l’album », s’exclame-t-il. « J’étais comme “Oh ! wow ! y’a une des mes productions sur l’album de Pop Smoke. » Le beat en question avait été créé par Jenius et WondaGurl un an plus tôt, alors qu’il était au secondaire et qu’il l’avait presque oublié. WondaGurl, qui se trouvait dans la voiture avec Jenius et quelques amis lorsqu’il a appuyé sur « play », avait été prévenue du placement, mais a voulu faire la surprise à son collègue.

Aussi exaltant que puisse paraître ce scénario particulier, l’approche collaborative habituelle de Jenius repose sur la stratégie plutôt que sur les heureux hasards.

« Je collabore avec un groupe très restreint de producteurs », dit-il. « Mais là encore, c’est des relations très organiques… Ce sont simplement des gens avec qui j’aime faire de la musique. Sauf que quand on travaille ensemble, on se donne à fond. On va en studio, peu importe qui mon collaborateur est à ce moment-là, et on crée quelque chose. Je m’occupe de la mélodie et l’autre du beat, on encore on travaille tous les deux sur tous les aspects de notre beat. Ça dépend, au cas par cas. »

C’est ce type de fluidité intuitive et d’approche intellectuelle malléable qui forment les racines des grandes aspirations de Jenius dans la réalité.

« On m’a toujours dit que j’étais un génie, même avant que je commence à créer de la musique », affirme-t-il. « Quand j’étais à l’école, j’avais des A partout et en première année, je lisais à un niveau secondaire 2. Et au-delà de ça maintenant, je prouve que sur le plan musical et créatif, je suis un génie de la création. Tous ceux avec qui j’ai travaillé pourraient vous le dire. »

 



Lorsque le mot-clic #CancelCanadaDay (annuler la fête du Canada) a commencé à gagner en popularité sur les réseaux sociaux quelques semaines après la découverte dans les pensionnats autochtones d’une série de tombes non marquées où se trouvaient les restes d’enfants et d’adolescents, de plus en plus de gens ont décidé de dénoncer la fête du Canada, en faisant la dernière victime de la culture de l’annulation. Mais dans de nombreuses communautés autochtones de Turtle Island, bien des gens, comme le rappeur et activiste Dakota Bear, savaient qu’il n’en était rien.

« Annuler la fête du Canada est un concept qui existait bien avant l’apparition du mot-clic », explique Bear. « Les autochtones n’ont jamais célébré la fête du Canada depuis la première fois où cette fête a été soulignée, nous ne faisons que continuer notre acte de résistance. Les gens appellent ça la culture de l’annulation, mais pour que le Canada devienne ce qu’il est, nous avons été annulés au complet et ce pays a été bâti par-dessus ce que nous avions déjà créé. On avait des infrastructures, un gouvernement, des liens de parenté et un système d’éducation. Tout ça était en pleine expansion. La constitution des États-Unis a été construite sur le dos de la Confédération Iroquoise. Nous, on annule la fête du Canada depuis que la fête du Canada existe. »

Le rappeur et poète s’exprime avec la force d’un orateur et d’un militant né il y a plusieurs décennies… mais il y a seulement quatre ans, il entamait le chemin pour surmonter sa dépendance et récupérer son identité volée.

Né à Saskatoon, Bear se souvient avoir été témoin de membres de sa famille aux prises avec des dépendances, des mécanismes d’adaptation mal formés et des traumatismes intergénérationnels non guéris causés par les abus, la négligence et la persécution identitaire et culturelle des pensionnats. Durant son enfance, écrire était devenu un exutoire grâce à l’amour de la langue que lui avait transmis sans grand-mère et le jeune Bear couchait poésies et nouvelles sur papier. C’est toutefois 8 Mile de Eminem qui a changé sa vie. Le regard sans complaisance du film sur la dépendance, les traumatismes familiaux, la pauvreté et l’autonomie a trouvé un écho profond, tout comme la musique.

« La trame sonore hip-hop de ce film m’a inspirée et donné l’élan nécessaire pour commencer à créer de la musique pour raconter mon histoire et inspirer les autres », confie-t-il. « Je m’y suis carrément attaché, elle m’a aspiré. » Lorsque sa mère lui a donné le choix entre un micro haut de gamme et des cours de boxe, il a choisi le micro et, à 16 ans, il était en tête d’affiche de son propre spectacle mettant en vedette un mixtape qu’il avait lui-même créé. Le succès fut au rendez-vous grâce à des vidéos YouTube tournées par son frère, alors âgé de huit ans, avec une caméra portable, et à des textes qui trouvèrent un écho chez son auditoire. Aujourd’hui, il a notamment partagé la scène avec des icônes du hip-hop comme Bone Thugs n’Harmony, Redman, Method Man et Tech N9ne. Aujourd’hui, un autre aspect de sa vie a rapidement pris le pas sur sa musique pour occuper le devant de la scène : le militantisme.

Dès un très jeune âge, Bear entendait parler des horreurs des pensionnats et des enfants, des femmes et des membres des familles de sa communauté qui avaient tout simplement disparu. Comme tant d’autres avant lui, la dépendance et le mode survie sont devenus un mode de vie. Inspiré par la résilience de sa grand-mère et de sa mère, il a entrepris un parcours de guérison.

« J’ai l’impression d’avoir mis sur ce chemin par le créateur et les ancêtres qui m’ont vraiment guidé dans tout ce processus de guérison que nous appelons la route rouge. Il s’agit de se libérer de ses dépendances et de vivre une bonne vie, ancrée dans la prière et les bonnes intentions », déclare Bear, citant les huttes de sudation, la cérémonie de son nom d’esprit et les liens affectueux avec les anciens comme systèmes de soutien. Bear considère d’ailleurs la fondatrice d’Idle No More, Sylvia McAdam [Saysewahum], comme l’un de ses plus grands professeurs, et sa famille apprend également le cri.

« C’est précisément à ce moment-là que j’ai commencé à retrouver mes racines et mon but dans la vie », dit-il. « Je savais que c’était plus que simplement être un artiste hip-hop. Je le sentais. Quand j’ai commencé à voir plus clair, j’ai commencé à agir comme un aidant. Aider à accomplir le travail qu’il y a à faire, se tenir debout contre les injustices et utiliser la musique comme véhicule pour un message fédérateur. »

Bear a non seulement commencé à participer à des manifestations, mais il en a également organisé en se servant de ses vidéoclips pour mobiliser ses fans. « Ç’a créé un mouvement en ligne », affirme-t-il. « On a été capable de mobiliser les gens et de les faire descendre dans la rue pour diverses causes comme Protect Our People : la montée du trafic humain dans les Prairies. » Même si le récent mouvement d’annulation de la fête du Canada a été le plus populaire jusqu’à présent, propulsé par la preuve tangible de ce que beaucoup savaient déjà – un génocide silencieux, mais implacable, qui inclut les femmes disparues et assassinées –, Bear souhaite que tout le monde continue à construire une communauté et un élan pour la justice.

« Il y a beaucoup de peine et d’inquiétude au sujet de ces tantes, des ces oncles et des ces bébés que nous avons perdus », dit-il. « Ils ont des porteurs de langue. Ils sont des célébrants de cérémonies. Nous les avons perdus. Leurs esprits vivent désormais dans le monde des esprits, mais c’est une perte immense pour nos communautés. Il y a eu une demande de pardon en 2008, mais ç’a été très bref. Après ce pardon, le premier ministre du Canada a affirmé que le Canada n’a pas de passé colonialiste. C’est comme dire “on s’excuse pour ça, mais en réalité, on n’a pas fait ce qu’on nous reproche et ce pour quoi on s’excuse.”

« Maintenant, on a une base sur laquelle s’appuyer. Nous avons encore plus le feu sacré en nous qui nous aide à continuer et à poursuivre ce combat, notre voix, avec celle de nos alliés, continue de se faire entendre de plus en plus fort. Faites quelque chose. Peu importe ce que vous faites, ne laissez pas cette histoire disparaître avec le prochain cycle des actualités. Il faut que ça change. On ne doit pas être la génération qui va cacher ça sous le tapis ; c’est comme ça que ce genre d’horreur se répète. »



Dans quelques années, la plupart d’entre nous frémiront au souvenir des jours sombres de 2020 et 2021, mais probablement pas Jenna Andrews. La Torontoise aux multiples cordes à son arc – chanteuse, auteure-compositrice, productrice vocale, éditrice de musique – vit en ce moment une période faste. En date du 19 juillet 2021, elle a des crédits d’auteure dans le # 1 de BTS aux États-Unis (« Butter ») et le # 6 au Royaume-Uni, « Heartbreak Anthem » de David Guetta, Little Mix et Galantis. Elle a également coécrit la « face B » de « Butter », « Permission to Dance » et les deux chansons ont été encensées après leur performance, la semaine précédente, à l’émission The Tonight Show with Jimmy Fallon. Andrews a passé la semaine dans un avion entre Toronto, Los Angeles, New York et Nashville et son souvenir de cette pandémie sera assurément différent de celui du reste de la population.

Elle a attiré l’attention du label de BTS, Big Hit, grâce à la chanson « Supalonely » qu’elle a coécrite pour la chanteuse néo-zélandaise Benee. Le label l’a contactée pour travailler pour un autre groupe, TXT, mais cette collaboration a débouché sur une relation étroite avec l’équipe de BTS. Jointe au téléphone depuis New York, Andrews m’explique qu’« à cette époque, Ron Perry [président-directeur général de Columbia Records] travaillait sur leur premier simple [chanté en anglais], “Dynamite”, et, à la dernière minute, il m’a demandé si je serais prête à travailler sur la production vocale. J’étais bien entendue aux anges, surtout pendant la pandémie. »

Et Andrews a instinctivement habité ce rôle. « J’ai grandi en chantant à l’église », dit-elle, « donc j’aime les harmonies vocales et c’est la base de ce qui fonctionne vraiment bien quand il s’agit d’un groupe, qu’il s’agisse d’un groupe de garçons ou de filles. Donc, en gros, j’ai écrit toutes les harmonies et les “ad libs” qu’ils chantent. Je chantais toutes ces harmonies et je leur envoyais, puis ils me répondaient en disant “on aime celle-là, mais pas celle-là.” Je chantais un ad lib et ils me le retournaient et me demandant de l’essayer de cette façon. »

Une fois dans le sanctuaire BTS avec l’attention du label, Andrews a mis son chapeau d’éditrice. En 2019, elle et Barry Weiss, vétéran de la musique américaine, ont signé une contrat avec Sony/ATV pour leur entreprise d’édition, Twentyseven Music. La maison d’édition avait reçu un démo écrit par Stephen Kirk, Sebastian Garcia et Robert Grimaldi qu’Andrews trouvait incroyable. « La mélodie “hook” était fantastique et j’ai tout de suite pensé que ça pourrait être le prochain simple de BTS », dit-elle. « Sauf que le texte n’était pas très solide. » Elle l’a fait écouter à plusieurs personnes sans succès, mais Ron Perry de Columbia « était sur la même longueur d’onde que moi ». Ils se sont mis au travail avec leurs collaborateurs via Zoom.

Andrews se souvient d’un jour où « Ron m’a juste dit “ça te tente d’essayer quelque chose dans le genre de ‘Smooth Criminal’ de Michael Jackson ?” J’ai tout de suite pensé à la phrase “smooth like butter, like a criminal undercover”, et le tour était joué. C’est là que j’ai trouvé le concept et je savais qu’on tenait un bon filon. »

Sept auteurs-compositeurs sont crédités sur « Butter », et 14 sur « Heartbreak Anthem », mais Andrews ne voit rien de spécial à ce qu’il y ait autant de collaborateurs. « De nos jours, écrire des chansons n’est pas nécessairement aussi simple que quelques musiciens assis autour d’un feu de camp », croit-elle. « Tu peux avoir une “loop” de batterie géniale créée par quelqu’un en Nouvelle-Zélande et ça t’inspire une chanson, et après je trouve une mélodie, et je l’envoie à un ami qui a une idée de génie pour le texte. Après, t’as l’interprète qui a ses propres idées – par exemple il ou elle adore la chanson, mais le texte ne cadre pas avec son image de marque et voilà que la chanson a un nouveau texte. C’est comme ça qu’on se retrouve avec autant d’auteurs-compositeurs sur une chanson. À notre ère de la diffusion continue, on peut parfois retrouver 20 auteurs-compositeurs pour une chanson. »

Être auteure-compositrice et éditrice de musique
Andrews aime la synchronicité qu’implique le fait d’être à la fois auteure-compositrice et éditrice. « En gros, tous ceux que nous avons signés chez Twentyseven sont des gens avec qui j’écris et avec qui j’ai des liens parce que, évidemment, nous travaillons vraiment bien ensemble », dit-elle. « C’est logique qu’on soit sous le même toit. » Elle cite l’évolution de « Heartbreak Anthem » en exemple. « Je travaillais avec Lennon Stella, elle est canadienne et on la connaît à cause de la série Nashville… On m’a envoyé cette chanson à l’origine pour Lennon et elle n’était pas faite pour elle, mais j’ai pensé qu’elle serait parfaite pour Little Mix, qui était aussi signée chez Twentyseven. Ils voulaient un deuxième couplet, alors j’en ai écrit un avec Little Mix. La chanson est un gros “hit”, alors on peut dire que Twentyseven vit un beau moment ! »