La rappeuse et chanteuse montréalaise ne pouvait mieux tomber : elle présente Yellow Crane, son mini-album paru à la fin novembre, comme « une lettre d’amour à Wuhan », la capitale de la province du Hubei, au centre-est de la Chine. La ville où elle a ses racines, où habitent toujours sa grand-mère et une partie de sa famille maternelle. Une ville de plus de dix millions d’habitants qui, jusqu’en février 2020, était quasi-inconnue de la majorité des citoyens de cette terre. Une ville qui, un an plus tard, a bien besoin d’un peu d’amour…

Hua LiCette ville-là, en effet. L’épicentre de la pandémie de COVID-19. Pas tout à fait la manière rêvée d’accéder à la notoriété. « C’est une drôle de coïncidence parce qu’avant même le début de la pandémie, j’avais déjà choisi que j’écrirais des chansons à propos de Wuhan », assure l’autrice-compositrice Hua Li. « Donc j’ai amené cette idée avec moi pendant ma résidence de création au Centre des arts de Banff en mars dernier, il y a donc presque un an. Or rendu à mars 2020, tout le monde avait entendu parler de Wuhan… »

Hua Li était donc à Banff lorsque le premier confinement est survenu. « Tout d’un coup, ça a complètement changé la perspective que j’avais à propos de mon projet. À l’origine, je m’imaginais écrire un EP racontant l’histoire de la ville, avec un tas d’informations à propos d’elle, pour que les gens en apprennent un peu à propos de cette ville qui compte beaucoup pour le pays – c’est une très grosse ville ! – mais que personne ne connaît vraiment. Mais en raison de tout ce qui se passait, j’ai plutôt choisi d’écrire une sorte de lettre d’amour à cette ville, presque comme une campagne promotionnelle pour contrer tout ce qu’on racontait de mal à propos de Wuhan à cause du virus. »

Sur les quatre belles chansons de Yellow Crane, Hua Li en a composé trois; la dernière, intitulée Electronic Girl, s’avère une reprise d’une chanson d’un groupe de math rock, quasiment inconnu ici, nommé Chinese Football. « J’avais une idée assez floue pour ce projet, celle de faire la reprise d’une chanson d’un artiste ou d’un groupe originaire de Wuhan », une ville que l’on présente comme le berceau du punk chinois, une scène musicale qui n’existe d’ailleurs que dans cette ville.

« Alors, poursuit Hua Li, j’ai envoyé des membres de ma famille à la pêche pour me dénicher des chansons, mais je n’étais pas emballée par leurs suggestions… Je savais par contre qu’il y avait une vraie scène rock indépendante à Wuhan – une scène que ma famille ne fréquente pas vraiment ! Alors j’ai cherché, en commençant par fouiller dans les groupes shoegaze de Bejing – le shoegaze est vraiment gros là-bas -, et de fil en aiguille, je suis tombée sur Chinese Football, un groupe math rock de Wuhan. »

Le type de groove néo-r&b / hip-hop électronique de Hua Li et le math rock sont comme chiens et chats dans nos oreilles, et la musicienne sera la première à admettre le peu d’intérêt qu’elle accorde à ce dérivé du rock progressif, « mais cette chanson-là m’a intriguée. Et j’aime vraiment le rock indépendant, qui m’a en partie inspiré – je crois aussi que c’est la raison pour laquelle je me suis vraiment sentie chez moi, à Montréal », où elle a composé et enregistré (avec le coup de main du réalisateur et multi-instrumentiste Alexander Thibault) les chansons de Dynasty, son tout premier album paru en septembre 2019 sur étiquette Next Door Records.

Bref, sa version d’Electronic Girl, chantée en mandarin, est formidable, tout comme le sont la cool rap Water et les plus mélodieuses Four More Days (une « chanson d’amour en quarantaine ») et Dream Narratives in Modern China. Yellow Crane est un coda parfait à Dynasty qui, en raison de la pandémie, n’aura malheureusement pas connu la vie qu’il mérite sur scène.

« Je ne te cacherai pas que la dernière année fut très éprouvante pour moi; la majorité des membres de ma famille résident toujours à Wuhan, de sorte que la situation m’a fait paniquer davantage que les gens qui m’entourent ici. […] Quant à savoir si ce que j’ai vécu cette dernière année sera exprimé dans mes nouvelles chansons, je répondrais que mes opinions et mes convictions ont toujours transpiré dans mon travail, même si je ne suis pas vraiment explicite. »

« J’écris des choses qui me sont toujours très personnelles, et souvent à propos de relations humaines – pas forcément amoureuses, mais plutôt le rôle que je joue dans toutes mes relations avec les autres. Et à cet égard, je pense, tout ce que j’ai pu vivre finit par émerger [dans mes chansons]. Tout ce qui se passe autour de moi trouve son chemin dans ma musique, surtout que 2020 aurait dû être une année chargée de concerts et de tournées pour moi. Alors j’ai eu à me réinventer – c’est le mot de l’année, ça! –, forcée à m’isoler, de sorte que j’ai composé énormément de nouveau matériel. Et parce qu’il y avait tellement d’anxiété et d’incertitude dans l’air, ça m’a fait un bien énorme de pouvoir tout canaliser ça dans la création. » Hua Li souhaite offrir un nouvel album au début de 2022.



« OMG » est certainement ce qu’on a dit le plus souvent depuis un an. Si la pandémie est devenue l’incubateur de talents à naître, elle aura également poussé des talents existants plus loin. C’est le cas de Laurence Nerbonne qui déploie simplement OMG, un album qui porte un style peu commun en français, chez les femmes du Québec. Et elle se positionne comme une reine parmi les autres.

« La chanson Queens qui termine l’album, je la trouve importante parce qu’elle fait juste expliquer comment toutes les femmes peuvent le prendre, le pouvoir, et il n’y a personne pour leur enlever », raconte Laurence Nerbonne. Celle qu’on a connue il y a près de quinze ans au sein de la formation Hôtel Morphée a su profiter de son envol dès la séparation du groupe en 2015. Déjà en 2016, elle prenait ses racines en solo avec un premier album. « Depuis, j’ai laissé mon style évoluer pour devenir de plus en plus ce que j’ai toujours voulu être de toute façon, avoue-t-elle. J’ai tout appris avec les années, mais OMG est le premier album sur lequel je suis capable de contrôler l’ensemble du produit final. » Au bout du compte, tout est précisément à son image.

La création, quand on la tient dans ses mains du début à la fin, peut se décliner de plusieurs façons et adopter de nombreuses cadences. Pour Laurence Nerbonne, l’esprit bouillonne autant sur le long-terme que par à-coups.

« On voit souvent l’inspiration comme une lumière qui s’allume au milieu de la nuit et qui sort d’un coup, et c’est vrai. Par contre, ce genre d’inspiration arrive une fois sur cent, déclare l’autrice. Le reste du temps, je travaille sur le même morceau, le même beat et le même refrain pendant des jours. Je réécris, je recommence, je peaufine. C’est rare que ce soit vraiment fini. »

C’est ainsi autant la solitude pandémique que l’appel du contrôle qui ont inspiré l’autrice-compositrice-interprète qui fait tendre sa pop vers les zones limitrophes du rap. « Du rap féminin joyeux, en français et fait par des femmes, on n’en entend pas et je ne comprends pas pourquoi, dénonce Laurence. Plusieurs personnes dans l’industrie ont décrié récemment que ce qu’on entend sur les radios commerciales ce sont toujours les mêmes artistes. On entend rarement plus de 30% de musique féminine et quand on l’entend, c’est toujours la même. Si des artistes masculins sont capables d’avoir un succès commercial avec du rap au style américain, je ne vois pas pourquoi ce que je fais ne marcherait pas. »

Laurence Nerbonne gagne bien sa vie et ses chansons jouent à la radio, mais elle espère dorénavant faire entendre largement ce son qui est au plus près d’elle. « Il y a deux voix distinctes sur mon album : la première est celle de tous les personnages que j’incarne. J’ai envie d’être drôle et ça paraît aussi dans mes textes. Dans Première ministre, on voit vraiment que j’ai inventé cette femme qui réussit et qui pousse toutes les portes. Il n’y a rien qui l’empêche d’aller où elle veut et peut-être que pour une fois, les scandales autour d’elle ne vont pas la détruire. On n’en peut plus de voir des personnages d’hommes qui réussissent et qui ne subissent jamais les conséquences de leurs actes. Je voulais aussi laisser de la place à des chansons de party… on en a tellement besoin. »

Le deuxième discours qu’on entend sur l’album est le sien. Il est plus frontal et plus sérieux. On y perçoit sa voix à elle, celle qui a des choses à dire sur la manière dont on traite les femmes et les femmes en musique. « Je voulais qu’on sente de l’empowerment, évidemment. C’était important pour moi qu’on perçoive un changement. J’ose parler des sujets dont seuls les hommes parlent sur la place publique normalement. »

Quand la scène fera partie des lieux qui s’ouvrent réellement à nous sans contraintes, on y verra un déploiement complet du discours féminin et féministe qui se doit d’emboîter tous les genres. Laurence Nerbonne fera partie de celles qui se sont réinventées, à la demande des institutions. En embrassant le trap, le rap et le R&B, en insufflant sa parole assumée, elle alimente un paysage qu’on voudrait plus diversifié. Elle l’aura fait pour elle et pour un objectif plus large : celui de représenter. « Si je peux être une voix parmi toutes celles qui sont entendues, je vais vraiment être contente. Mon objectif, ce n’est pas d’être la seule. »

La porte est ouverte.



Olivia Penalva a observé son plus récent simple, « Love Me » accumuler plus de 20 millions d’écoutes sur TikTok, et ses reprises de succès pop sont passés de YouTube à American Idol et America’s Got Talent, mais il n’en demeure pas moins que la chanteuse de la génération Z est encore plus fière de sa réussite « old school ».

Olivia Penalva« Ce qui compte le plus pour moi est la radio », dit-elle. « [“Love Me”] grimpe les palmarès pop et “contemporary hit radio”, ce qui est complètement dingue. Les chiffres n’arrêtent pas de monter, j’en suis renversée. »

La jeune femme de 20 ans originaire de Vernon en Colombie-Britannique a entendu sa propre voix à la radio à l’âge de 13 ans quand sa fantaisiste chanson de noël « Christmas For Two » s’est inscrite dans le Top 30. Le titre a été co-écrit à l’automne 2013 à Los Angeles avec Andrew Allen, un auteur sous contrat chez Sony/ATV qui est également originaire de la région de l’Okanagan en Colombie-Britannique et qui avait signé son propre tube de Noël en 2009.

« C’était la première fois que je me rendais à L.A. et nous ne savions pas vraiment ce qu’on allait écrire, mais le sujet de Noël est venu sur la table », raconte Penalva. « Tu sais qu’à l’approche du temps des fêtes, la radio cherche non seulement toujours plus de chansons de Noël, mais elle cherche des artistes canadiens qui ont des chansons de Noël… Je me souviens être partie à rire en disant que j’allais essayer de me mettre dans cet esprit-là même si ce n’était pas l’hiver. »

Son ouverture aux idées des autres l’a bien servie, puisqu’elle s’est associée à des compositeurs d’horizons musicaux divers pour une série de simples et de EPs. « Love Me » a été co-écrite par Penalva et les membres SOCAN Emery Taylor (surtout connu pour la pop et l’EDM) et Brian Howes (dont les nombreux crédits rock comprennent des succès pour Daughtry, Puddle of Mudd et Skillett). Parmi ses précédentes collaborations, citons « Ferris Wheel » avec Brian West (Nelly Furtado, Maroon 5), et « Forgettable » avec Josh Cumbee (Madonna, Nick Howard).

“Je crois que je suis tombée en amour avec la co-écriture dès le premier jour”

« Je crois que je suis tombée en amour avec la co-écriture dès le premier jour », explique-t-elle. « Écrire seul peut devenir intimidant. Le fait d’être dans une pièce avec d’autres auteurs, de leur parler et de partager leurs expériences, mais aussi de s’appuyer les uns sur les autres pour trouver des idées, m’a ouvert un tout nouveau monde. Ça n’est jamais la même chose, j’ai tellement de plaisir à écrire avec d’autres créateurs. C’est vraiment amusant. »

La collaboration avec des auteurs professionnels a également permis de relever un défi particulier aux créateurs adolescents : comment écrire profondément sur la condition humaine alors que l’on commence tout juste à avoir ses propres expériences de vie ? Penalva admet que ses premières chansons comme « Ferris Wheel » essayaient de « composer avec » son âge, mais qu’elle a vite dépassé ce stade.

“J’adore créer des mélodies. J’aime aussi écrire des textes, mais j’ai longtemps trouvé difficile de mettre des mots sur ce que je voulais dire parce que j’étais si jeune », dit-elle. « Mais après un moment, je me suis dit “Tout ça est amusant, mais j’ai plus de profondeur que ça”. Les gens avec qui j’écrivais m’aidaient à trouver les étincelles pour toutes ces idées, et leur expérience me servait de guide. J’ai beaucoup appris sur l’écriture de chansons de cette façon. Mais au cours des deux ou trois dernières années, alors que j’arrivais à l’âge adulte, quelque chose en moi a changé. Plus rien ne pouvait m’arrêter. »

Penalva dit que depuis le début de la pandémie, elle écrit sans arrêt, même si les voyages à L.A. et à Nashville ont été remplacés par des sessions Zoom. Elle se prépare à sortir son premier album dans le courant de l’année, et elle a tellement de titres desquels choisir qu’elle doit consulter une liste de tous les auteurs-compositeurs afin de ne laisser personne de côté.

Certains noms se démarquent, néanmoins : Nolan Sipe, dont la chanson « Honey, I’m Good » a été un succès du Top 10 de Billboard pour Andy Grammar ; le lauréat d’un prix SOCAN Daniel Powter (« Bad Day ») ; Ryan Stewart (Carly Rae Jepsen) ; Tyler Spry (de One Republic); et Jessica Mitchell, qui a co-écrit « The Chase » sur l’album Courage de Céline Dion.

Quand il est question de savoir à quoi ressemblera son album, la chanteuse en révèle le moins possible. « Cette année, j’ai en quelque sorte tout adopté », dit-elle. « C’est ce qui est si génial dans la musique pop de nos jours — tant que t’es fidèle à toi-même, tu peux faire ce que tu veux. »