Le champ des possibles est vaste pour un artisan de la musique lorsque le temps est venu de se démarquer, de tirer son épingle du jeu. Il y a les divers palmarès, Billboard, iTunes, ou autre, évoluant au fil des semaines et révélant certains artistes aux plus grands nombres. Il y a d’autre part les galas de reconnaissance comme les Junos et ceux de l’ADISQ et de la SOCAN, et, depuis onze ans, le Prix de musique Polaris.
Le prix n’est pas décerné à l’aveuglette. Chaque année, se sont près de 200 critiques, journalistes et membres de l’industrie qui se regroupent en cercles de discussions partout au Canada pour discuter des meilleurs albums parus durant l’année. Chacun d’eux soumet un premier bulletin de vote avec cinq disques. Après que la Longue Liste ait été émise en juillet, les jurés doivent voter à nouveau pour cinq albums parmi les 40 choisis et c’est ainsi que la Courte Liste est formée.
Diversifier les possibilités
Alors que la longue liste 2016 ne comptait que cinq albums en français, celle de cette année en dénombre sept, en plus d’un album bilingue, celui de la Montréalaise Marie Davidson, Adieux au Dancefloor. Celle-ci était d’ailleurs de la longue liste en 2016 avec son duo Essaie pas qui était nommé pour l’album Demain est une autre nuit.
C’est par ailleurs la Courte Liste qui fait le plus souvent sourciller les francophiles puisqu’aucun album en français n’a été retenu dans celle-ci depuis Tigre et diesel de Galaxie en 2011.
« Pour ce qui est des albums en français, c’est surtout un problème lorsqu’on arrive à la Courte Liste. C’est là que les gens se sont plaints dans le passé. Par contre, on essaie toujours d’avoir plus de journalistes et de critiques de Montréal dans le jury pour faire en sorte que, naturellement, davantage d’albums francophones soient sélectionnés. Après ça, ce n’est plus vraiment entre nos mains », explique Steve Jordan, le directeur et fondateur du Prix Polaris.
D’une année à l’autre, il a vu évoluer les goûts des critiques musicaux au même rythme que la musique s’est transformée elle-même. « Il semble y avoir plus d’ouverture à la musique qui va au-delà des hommes blancs et des guitares. Les albums plus courts ou les EP semblent faire de plus en plus leur place aussi. »
La question de la place des femmes en musique fait couler beaucoup d’encre depuis quelques années, mais plus particulièrement encore depuis quelques semaines notamment avec la création du regroupement FEM (Femmes en musique), né au Québec, dont la mission est de dénoncer l’inégalité homme-femme dans l’industrie de la musique, la sous-représentation de celles-ci dans les programmations de festivals pour susciter un dialogue et trouver des solutions. Si les programmations de festivals font souvent mauvaise figure lorsque vient le temps d’opter pour des têtes d’affiche féminines, le Prix Polaris est quant à lui, dans les bonnes grâces de la gent féminine, sans toutefois s’approcher de la parité. Vingt-cinq formations principalement masculines sont de la Longue Liste, contre treize artistes féminines et deux formations mixtes : Le Couleur et Weaves. Les proportions hommes-femmes sont inchangées par rapport à 2016.
Quand le jury final de 11 personnes — dont faisait partie l’an passé le rédacteur en chef de la SOCAN Words & Music, Howard Druckman — est composé, on s’assure qu’il y ait six personnes qui viennent de l’extérieur de Toronto et six personnes qui soient des femmes. Onze personnes forment ce jury final qui analysera la Courte Liste pour en sortir le gagnant.
« On assure une certaine diversité dans les choix des gens, précise Steve Jordan. Ensuite, tous les membres du jury reçoivent les albums environ six semaines avant le gala et on leur demande de les écouter jusqu’à ce qu’ils ne soient plus capables de les entendre (rires). Ensuite, on mange tous à la même table. J’appelle ça le epic dinner. Ça dure cinq heures et il y a une discussion sur chacun des albums en lice. Après, on demande aux gens d’aller se promener, de réfléchir en solo. Et c’est là que la magie se produit, ils votent de façon secrète et le gagnant est déterminé. Ça reste une surprise pour tout le monde jusqu’à la fin. »
« J’ai l’impression que le Polaris est vraiment là pour donner une reconnaissance au talent brut plutôt que de se baser sur le succès commercial d’un artiste. », William Robillard Cole, gérant de Kaytranada.
Un peu de tout dans la recette
La grande famille du folk domine l’ensemble de la longue liste avec notamment Leif Vollebekk, Philippe B, Antoine Corriveau, Leonard Cohen, à titre posthume, Daniel Romano et Gord Downie qui est, pour sa part, nommé à deux reprises dans la liste, puisque son groupe The Tragically Hip est aussi en lice pour l’album Man Machine Poem. Le rock prend également la place qui lui revient avec les Québécois de Chocolat, Tuns, de la Nouvelle-Écosse et Japandroids, basé en Colombie-Britannique. Le hip-hop et le R&B sont aussi représentés par des albums comme More Life de Drake, Les frères cueilleurs d’Alaclair Ensemble et Quest for Milk and Honey de Clairmont The Second, un jeune homme de dix-neuf ans nommé comme un espoir pour l’avenir du hip-hop à Toronto.
Les messages portés par les artistes nommés sont significatifs dans plusieurs cas. La chanteuse de gorge du Nunavut, Tanya Tagaq (lauréate du Prix Polaris en 2014) fait partie du lot. Elle aborde plusieurs questions politiques sur Retribution, se faisant d’emblée porte-parole pour les femmes autochtones jamais entendues. A Tribe Called Red, avec We Are The Halluci Nation, place son pion sur le grand échiquier de la musique internationale. C’est aussi là que la troupe se fait plus politisée, mêlant les chants autochtones traditionnels et les trames électros afin de défaire l’association aux ambiances tristes qui accompagnent spontanément les musiques ancestrales. Originaire de la Colombie et basée en Ontario, la jeune Lido Pimienta porte quant à elle une poignée de messages féministes qui se marient à une puissante électro pop.
Gagner, et après?
Similaire au Mercury Prize qui existe depuis 1992 chez les Britanniques, le Polaris est décerné au meilleur album au pays selon les gens de la critique et de l’industrie. Le fait que l’on ne prête aucune attention au succès commercial des albums en fait un prix distinct. Comme les albums nommés sont proposés par les journalistes musicaux du Canada, les artistes ne sont jamais en position de postuler pour obtenir le prix, ce qui rend une nomination à ce titre d’autant plus gratifiante.

Olivier Sirois, le gérant de Patrick Watson, perçoit le Polaris comme un prix à part. Watson ayant mis la main sur le prestigieux prix en 2007 pour son album Close To Paradise, il a été en mesure de soupeser les impacts d’une telle récompense sur la suite de sa carrière. « Ça dirige l’attention de toute l’industrie sur un artiste qui est toujours relativement marginal, mais ça demeure un prix remis par les critiques, les gens du milieu. C’est une appréciation extrêmement valable », soutient-il.
Pour lui, le dévoilement du gagnant du Prix Polaris est toujours une surprise parce que c’est rarement l’album phare du lot qui repart avec les honneurs. « C’était une grosse année de sorties d’albums, en 2007, et ça a fait tourner des têtes quand Patrick a gagné parce qu’il était vraiment loin d’être mainstream à l’époque. Je me rappelle même que c’était la grosse année de Feist (avec l’album The Reminder) et certains sites de musique reconnus avaient fait des commentaires déplacés envers Patrick en se demandant c’était qui ce gars-là. »
Pour William Robillard Cole, le gérant de Kaytranada, grand vainqueur de l’année dernière, l’engouement pour son artiste a été flagrant après qu’il ait reçu le prix. « On a vraiment remarqué un intérêt plus grand pour son travail, surtout à l’international et auprès des membres de la presse, se rappelle-t-il. J’ai l’impression que le Polaris est vraiment là pour donner une reconnaissance au talent brut plutôt que de se baser sur le succès commercial d’un artiste. »
Le fait que l’on décerne un seul grand prix de 50 000 $ au gagnant rend la chose encore plus unique. « En comparaison aux Junos ou à L’ADISQ, le Polaris est spécial parce qu’il n’y en a qu’un, dit Olivier Sirois. Ça le rend un peu mythique. » Après cette victoire, ça a été le « perfect storm » pour Patrick Watson. Sa carrière a pris son véritable envol et le Polaris a fait partie des as dans son jeu de cartes.
Pour Kaytranada, les impacts positifs continuent de s’additionner. « Il y a beaucoup de belles opportunités qui se présentent à lui, souligne son gérant. Le Polaris a été l’un des coups de pouce qui l’ont mené où il est aujourd’hui. »
La Longue Liste du Prix Polaris 2017 (la courte liste sera dévoilée le 13 juillet 2017)
A Tribe Called Red — We Are The Halluci Nation
Alaclair Ensemble — Les Frères Cueilleurs
Anciients — Voice of the Void
Arkells — Morning Report
Philippe B — La grande nuit vidéo
BADBADNOTGOOD — IV
Louise Burns — Young Mopes
Chocolat — Rencontrer Looloo
Clairmont The Second — Quest For Milk and Honey
Leonard Cohen — You Want It Darker
Antoine Corriveau — Cette chose qui cognait au creux de sa poitrine sans vouloir s’arrêter
Le Couleur — P.O.P.
Marie Davidson — Adieux Au Dancefloor
Mac Demarco — This Old Dog
Gord Downie — Secret Path
Drake — More Life
Feist — Pleasure
Figure Walking — The Big Other
Fiver — Audible Songs From Rockwood
Geoffroy — Coastline
Hannah Georgas — For Evelyn
Japandroids — Near To The Wild Heart Of Life
Carly Rae Jepsen — E.MO.TION Side B
B.A. Johnston — Gremlins III
Lisa LeBlanc — Why You Wanna Leave, Runaway Queen?
The New Pornographers — Whiteout Conditions
Klô Pelgag — L’Étoile thoracique
Peter Peter — Noir Éden
Lido Pimienta — La Papessa
Jessie Reyez — Kiddo
Daniel Romano — Modern Pressure
The Sadies — Northern Passages
John K. Samson — Winter Wheat
Tanya Tagaq — Retribution
The Tragically Hip — Man Machine Poem
TUNS — TUNS
Leif Vollebekk — Twin Solitude
Weaves — Weaves
The Weeknd — Starboy
Charlotte Day Wilson — CDW
MISE À JOUR!
La courte liste du Prix de musique Polaris 2017
A Tribe Called Red – We Are The Halluci Nation
BADBADNOTGOOD – IV
Leonard Cohen – You Want It Darker
Gord Downie – Secret Path
Feist – Pleasure
Lisa LeBlanc – Why You Wanna Leave, Runaway Queen?
Lido Pimienta – La Papessa
Tanya Tagaq – Retribution
Leif Vollebekk – Twin Solitude
Weaves – Weaves