Père de la vague rock crasseuse du Lac-Saint-Jean, Fred Fortin lance son album le plus homogène en carrière. Ancré dans un folk hypnotique, Ultramarr se distingue pour sa douceur dans la riche discographie du bleuet.

C’est presque devenu un cliché. Lorsqu’un chroniqueur musique doit expliquer l’identité rock du Saguenay Lac-Saint-Jean, l’inévitable image d’une shed bourrée de vieux amplis à lampes refait surface. Des amplis crinqués dans l’prélart! En quelques mots, le portrait décrit toute la fougue, la nonchalance et la distorsion particulières des Gros Méné, Galaxie, Dales Hawerchuk et Poni.

Sur le terrain, on n’a pas à chercher loin pour trouver le shack en question. Suffit de se rendre à Saint-Prime dans le garage de Noël Fortin, le père de l’emblématique Fred Fortin. Entre ces quatre murs, tous décorés d’affiches de groupes locaux, est né le son d’Ultramarr, le cinquième et plus récent disque solo de Fred.

« Depuis l’arrivée du festival Coup de Grâce Musical de Saint-Prime, pas mal tous les partys d’après-show du Vieux-Couvent se déroulent dans le garage à mon père, explique Fortin. Comme c’est son local de pratique, ça finit toujours en jam jusqu’aux petites heures du matin. »

C’est là que Fred a joué pour la première fois avec les Barr Brothers, dont la présence sur Ultramarr teinte l’ambiance folk enveloppante. « Lorsque j’ai joué avec eux, on s’est dit qu’ils participeraient à mon album. Et quand je compose avec des musiciens en tête, ça devient un casting. Je veux leur donner un rôle qui les mettra en valeur. Je me suis mis à jouer de la guitare acoustique en masse. Ça donne un disque plus ramassé. Faut dire que j’avais pas mal épuisé ma banque de tounes rock avec le dernier Gros Méné. » Hypnotique de par la structure ouverte de ses compositions, Ultramarr rappelle par moments les ambiances folk psychédéliques des Sadies, un autre groupe avec qui Fred a communié dans le garage du paternel.

Le résultat frappe en plein cœur. Certains diront qu’il s’agit du meilleur album de Fred en carrière. Difficile de les contredire. Contrairement aux quatre albums précédents, Ultramarr ne déstabilise jamais l’auditeur par des pointes rock plus acides. La réalisation signée par Fortin lui-même coule de source. Les claviers de François Lafontaine sont plus organiques qu’à l’habitude. Même Olivier Langevin, roi des solos de guitare hurlants, n’y joue aucune six cordes, se limitant à la basse sur cinq titres.

« La bêtise humaine m’affecte pas mal. Ma propre bêtise aussi. J’aimerais ça être plus bright des fois. J’ai 44 ans et je deale avec ma vie d’aujourd’hui. Je ne me laisse pas aller dans le complètement dark parce que je veux être là pour mes enfants. C’est la limite de mon narcissisme. »

Ode à la naïveté

Fred Fortin

En plus de briller sur le plan mélodique, Fred Fortin continue de s’y approprier la langue comme peu l’ont fait avant lui. En jouant avec la forme de ses chansons, le compositeur se donne toute la latitude pour jongler avec les mots, escamoter des syllabes ou allonger certaines phrases. « Je travaille toujours le texte en même temps que je compose la toune. Sinon, je me retrouve avec des musiques pas de paroles et j’haïs ça écrire juste des paroles. Mais là, je peux ajuster la longueur des couplets et des refrains en fonction du texte. Je ne suis jamais pris avec une chanson en carré où tout est égal. La pièce devient du sur mesure pour le texte qu’elle inspire. »

Et ce travail avec la langue? « Il y a de la musicalité en masse dans la langue française. Mais pour être honnête, je ne suis pas assez intelligent pour penser à tout ce que j’écris. C’est souvent de la luck », confie Fortin avec un sourire en coin. « Le plus difficile, c’est d’avoir une cohérence dans le texte. Comme je ne prévois pas d’avance où je m’en vais, ça arrive qu’au final, les phrases ne fassent pas de sens entre elles. Mais des fois, ça y va tout seul, et le feeling prend le dessus. C’est bête à dire, mais il y a des surprises icitte et là dans mes textes qui font que je suis chanceux. Comme un voleur, tu trouves une petite affaire qui fait ton bonheur. »

Fred cite au passage la spontanéité de Daniel Johnston ou de feu Syd Barrett, « deux fous qui y vont direct. Ces gars-là n’ont pas de filtre. Ce sont des exemples parfaits de musique naïve dont j’essaie de m’inspirer. » En ce sens, Fred Fortin n’a pas tort. Depuis ses débuts avec Joseph Antoine Frédéric Fortin Perron lancé en 1996, l’auteur-compositeur-interprète s’est distingué comme un «artiste signature». Peu importe l’époque, les arrangements ou le registre, les chansons de Fred sont identifiables entre mille. Une question de dégaine, d’intention et de «tone» comme dirait le principal intéressé. « Le but, c’est d’avoir une idée de chanson et de ne pas réfléchir à ce que le monde vont penser ou comment ça pourrait être plus recherché. Tu te laisses aller. »

Ode à Stephen Harper

Fred Fortin

Cette absence de filtre en chanson contraste avec l’homme assis en entrevue. Même si le temps nous a permis d’apprivoiser la bête, Fortin n’est pas du genre à étaler sa vie publique ou ses états d’âme dans les médias. Pourtant, même lorsqu’elles dépeignent le quotidien de personnages colorés comme sur Molly ou la pièce titre, les chansons d’Ultramarr font la part belle aux bibittes noires: la psychose sur Douille, l’insomnie et son insatiable questionnement sur Grippe, l’isolement sur Gratte. Un album d’obsessions. « C’est pas dur à trouver des bibittes. C’est connu, les artistes ont souvent un peu de bipolarité sur le side. La bêtise humaine m’affecte pas mal. Ma propre bêtise aussi. J’aimerais ça être plus bright des fois. J’ai 44 ans et je deale avec ma vie d’aujourd’hui. Je ne me laisse pas aller dans le complètement dark parce que je veux être là pour mes enfants. C’est la limite de mon narcissisme. Pour le reste, je ne pense pas que ce soit bien utile de savoir comment allait un artiste au moment d’écrire une chanson. Ce qu’il veut dire se trouve dans le texte. »

Pour contrer le mélodramatique, Fred teinte ses propos d’autodérision et d’ironie comme sur L’amour Ô Canada, un hommage à Stephen Harper écrit pendant la dernière soirée électorale. « J’étais certain qu’il passerait encore une fois. Faque je me suis enfermé dans mon chalet. Sans connaître les résultats, j’ai écrit cette chanson d’amour à mon beau Harper. »

Sa collaboration à l’émission de télé Les Beaux malaises laisse aussi des traces sur Ultramarr. Compositeur pour la série de Martin Matte, Fortin y signe la trame sonore et le thème d’ouverture. « La chanson Tête perdue m’a été inspirée par le personnage du frère de Martin (joué par Fabien Cloutier). À la base, la musique devait meubler une scène, mais tant qu’à faire, j’ai voulu y ajouter des paroles. J’avais regardé un monologue de Martin qui disait que son frère aimait ben la root beer. Je suis partie de là pour construire une histoire. La dernière pièce de l’album, Tite dernière, a aussi été composée pour la série. C’est pour la scène finale, mais comme l’épisode n’a pas encore été diffusé, j’ai pas le droit d’en parler. »

À lire les quelques mots de la chanson, on se met à craindre une fin dramatique pour les protagonistes des Beaux malaises. « Ha! Tu verras bien. Chose certaine, Martin a annoncé que l’émission ne revenait pas l’an prochain. Va falloir que je me trouve un nouveau contrat », conclue Fred semi-sérieux.

Considérant la qualité d’Ultramarr, souhaitons-lui de ne pas chercher bien longtemps.



Tout au long des années 50 et 60, Johnny Cowell a vu ses chansons propulsées au sommet des palmarès pop. Un de ses plus grands succès demeure « Walk Hand in Hand », une majestueuse chanson d’amour qui a été enregistrée plus de 90 fois, incluant de très populaires versions par les « crooners » Andy Williams et Tony Martin ainsi que le célèbre quartet liverpuldien Gerry & The Pacemakers. Cowell a également écrit des chansons à succès pour d’autres artistes tels que The Guess Who (« His Girl ») et Bill Purcell (« Our Winter Love »), et on a également pu entendre sa chanson « (These Are) The Young Years » interprétée par l’organiste Floyd Cramer durant la dernière saison de la populaire série Breaking Bad en 2013. Le trompettiste de 90 ans qui a déjà fait partie de l’orchestre symphonique de Toronto a également été un des premiers intronisés au Scarborough Walk of Fame.

Vous avez commencé votre carrière musicale en tant que trompettiste. Qu’est-ce qui vous a attiré vers l’écriture??
J’ai commencé à écrire des chansons quand j’ai rencontré Joan (sa femme) dans un orchestre de danse. Elle en était la chanteuse et elle était simplement magnifique?! J’ai voulu écrire une chanson pour qu’elle la chante et je suis devenu accro à l’écriture, alors j’ai continué.

Qu’aimiez-vous de l’écriture??
Ça m’apportait beaucoup de satisfaction en tant que musicien. J’aimais m’asseoir au piano et jouer. Lorsque j’avais une bonne idée, la chanson s’écrivait pas mal toute seule. En fait, les mélodies me venaient facilement, mais j’avais plus de difficulté avec les paroles. Mais lorsque j’avais terminé, je ressentais une immense satisfaction. Si je ne ressentais pas cette émotion, je jetais simplement la chanson à la poubelle.

Johnny Cowell

Vous avez étroitement collaboré avec le célèbre et regretté éditeur William Harold Moon. Comment était-il??
C’était un de mes meilleurs amis. Nous étions réellement comme larrons en foire et il est celui qui m’a véritablement donné mon élan. Il était intéressé par mes chansons et c’est lui qui m’a poussé vers (l’ancêtre de la SOCAN), BMI (Canada). C’était drôle, car Harold m’appelait parfois le soir pour me dire « J’ai un bon titre de chanson pour toi, j’aimerais que tu me présentes une bonne chanson d’ici deux jours ». J’étais vraiment triste lorsqu’il est mort.

Racontez-nous la genèse de « Walk Hand in Hand ».
Ma femme Joan et moi nous sommes rendus à New York lors de notre anniversaire de mariage et nous avons décidé de prendre le traversier jusqu’à Staten Island. Lorsque nous sommes arrivés là-bas, la première chose que nous avons remarquée était la marquise du théâtre où l’on pouvait lire Love is a Many-Splendored Thing (NdT : un film paru en 1955 dont la V.F. est « La Colline de l’adieu », mais dont le sens librement traduit est « l’amour est une chose aux multiples splendeurs »). Alors nous avons décidé d’aller vois ce film. Et pendant tout le film, les personnages marchent main dans la main. Lorsque nous sommes sortis du cinéma, j’ai dit à Joan « Je crois que j’ai un bon titre de chanson, Walking Hand in Hand (marcher main dans la main). » Et lorsque nous sommes arrivés à l’hôtel, j’avais déjà composé toute la musique.

Il existe plusieurs versions de la chanson – Andy Williams, Tony Martin, Gerry & the Pacemakers, etc. Comment cela s’est-il produit
C’est mon ami Denny Vaughan. J’ai joué sur son émission de télévision, et c’est à ce moment que j’ai décidé que j’allais en studio pour enregistrer « Walk Hand in Hand ». C’est donc lui qui l’a enregistrée en premier et c’est un excellent enregistrement, c’est un excellent chanteur. C’est Denny qui s’est rendu à New York et l’a fait entendre à Republic Music. Eux l’ont fait entendre à RCA, puis à Tony Martin. Et à partir de là, Andy Williams l’a aussi interprétée, et de nombreuses autres personnes par la suite. C’était difficile de garder le compte. Un soir, Joan et moi regardions le Ed Sullivan Show, et Tony Martin s’est mis à chanter ma chanson. On ne s’attendait pas à ça. C’était magnifique.

« Walk Hand in Hand » est devenue un classique dans les mariages. Comment vous sentez-vous par rapport à ça??
C’est amusant, car les gens pensent souvent que c’est une chanson religieuse, mais pas à mes yeux. C’est une chanson d’amour. De temps en temps, je reçois un appel de quelqu’un qui n’arrive pas à en trouver la partition, alors je leur envoie une photocopie afin qu’ils puissent l’entendre à leur mariage. Je suis ravi à chaque occasion que j’ai de permettre à quelqu’un de chanter « Walk Hand in Hand ».

 



Le 29 janvier dernier, le groupe post-rock Pandaléon sortait son troisième album, intitulé Atone. Un solide disque de rock atmosphérique dans la lignée des Sigur Ros, Kinski, Flaming Lips, Swans et compagnie. Sans être un « album concept », il y a un fil conducteur tout au long d’Atone, une direction artistique claire et unique. Le résultat n’est pas étranger au chemin plutôt singulier qu’ont emprunté les trois musiciens et leur technicien de son pour enregistrer ces dix chansons. Ils se sont enfermés durant cinq semaines dans leur ancienne école primaire, désaffectée depuis une quinzaine d’années! Pour comprendre cette démarche, il faut remonter dans le temps…

Voici trois jeunes hommes de 23, 24 et 25 ans qui ont été élevés à la campagne, quelque part entre Montréal et Ottawa. Les frères Levac, Frédéric et Jean-Philippe, ont grandi à St-Bernardin, où leurs parents et grands-parents ont longtemps géré une ferme laitière. Leur ami Marc-André Labelle naît à quelques kilomètres de là, à L’Orignal, un village de 2 000 âmes. « On a adoré notre enfance. Ce style de vie où tous contribuent. Éloignés, mais ensemble », confie Fred.

Trois jeunes musiciens qui aiment se renouveler, qui apprécient triturer les sonorités, qui ont un intérêt sans fin pour la composition musicale et l’enregistrement. Tôt, les deux frangins font de la musique ensemble. Frédéric joue des claviers et chante, Jean-Philippe est à la batterie. Ados, ils s’installent dans une ancienne grange de la propriété familiale et la transforment en local de pratique, puis en studio et même en salle de concert intime. C’est ce qu’ils appellent « La Piaule ». Ils y composent toute leur musique. Un labo. Un repère. Un petit coin de paradis.

Le guitariste Marc-André Labelle débarque dans leur vie à la fin du secondaire. Dès sa première visite à la Piaule, les frères Levac sont renversés par son jeu et sa personnalité. La synergie est parfaite, le band est né! « C’est intense être dans un groupe. On partage beaucoup de choses. Tu apprends beaucoup sur toi-même, sur quel genre de musicien tu es. Chaque membre doit être impliqué à fond et c’est notre cas », explique Fred Levac lorsque rejoint par Paroles & Musique à la Piaule. La quatrième roue du carrosse est Nicolas Séguin, ami proche et technicien de son attitré du groupe. Totalement impliqué dans le projet, autant pour la scène que sur disque.

 NOSTALGIE DE L’ENFANCE

Lorsque les thèmes de l’enfance, du passé, de la famille s’organisaient naturellement sous la plume de Fred, les trois musiciens ont voulu sortir de leur zone de confort. « On passe devant notre ancienne école primaire tous les jours. C’est une petite école de village qui accueillait une quarantaine d’élèves à l’époque et qui a dû fermer lorsque mon frère et moi la fréquentions. On savait qu’il y avait un potentiel acoustique extraordinaire dans ce bâtiment. Il fallait saisir l’occasion », raconte Fred Levac.

Pandaléon

C’est ainsi que les quatre jeunes hommes se sont installés pendant cinq semaines à la fin de l’été dernier dans l’école St-Bernardin, avec une citerne d’eau, des matelas et surtout leurs instruments de musique et tout leur équipement d’enregistrement. « On a dormi là, on a vécu là, il fallait aller dehors se brosser les dents, raconte Jean-Philippe dans la vidéo qui présente l’expérience, sur le site Internet du groupe. On oubliait de manger, t’es tellement dedans… T’oublies d’appeler ta blonde, t’oublies tout en fait. » L’immersion est totale.

« L’école elle-même a eu un immense rôle dans le processus. On a passé plusieurs jours à tester les salles, à expérimenter avec le volume et la réverbération naturelle des locaux. Tu me donnes un gymnase pour enregistrer la batterie et je tripe! », d’expliquer Fred. Les photos prises et vidéos tournées dans l’établissement abandonné montrent le capharnaüm dans lequel les musiciens se sont créé un espace de travail et de vie pour la durée du projet.

LE DEUIL

Si le résultat musical a satisfait leur besoin d’exploration et a abouti en un album aux riches sonorités (particulièrement à la guitare électrique), qu’en est-il de l’expérience humaine vécue cet été-là? « C’était très particulier. Le premier soir, nous étions fébriles. Excités par cette nouvelle expérience, emballés de sortir de notre zone de confort. Puis, nous sommes plongés dans cette nostalgie de l’enfance. À force de travailler la musique plus de 18 heures par jour pendant cinq semaines, isolés, nous avons atteint un degré d’intensité élevé. Ça a été le meilleur trip d’enregistrement qu’on a vécu! » raconte Levac.

« Le départ a été rough. Le jour qu’on a quitté l’école, personne n’a prononcé un mot. Nous avons démonté le studio, roulé les fils, sorti l’équipement dans le silence. » Un deuil? « Oui certainement. J’étais artistiquement satisfait de l’expérience et des enregistrements, mais mentalement fatigué. Ça m’a pris deux bonnes semaines avant de rebrancher les instruments à la Piaule », confie Levac.

Où ira Pandaléon après une telle expérience? « On a très hâte de jouer sur scène! On a beaucoup de plaisir à se perdre dans le son de notre musique, jouée live. C’est enivrant! » Faudra-t-il un contexte aussi fort pour concevoir la suite d’Atone? « Je ne sais pas. On verra. C’est probable que nous essayions de composer en dehors de la Piaule la prochaine fois, pour voir ce que ça donne d’être influencé par un autre environnement. » Un disque de reggae enregistré en Jamaïque? « Haha! On ne sait jamais! On ira là où la musique va nous mener. »

Chose certaine, ces quatre jeunes hommes vont continuer d’explorer, de se réinventer, de vivre à fond leur passion pour la musique et l’enregistrement. Pour eux, le chemin à parcourir est aussi important que la destination.