Le jazz a eu un enfant qui s’appelait le funk. Le funk a eu un enfant qui s’appelait le disco. Et le disco a eu un enfant qui s’appelait le house. Le house est né dans les clubs et les « warehouse parties » de New York et Chicago au début des années 80 et, vers la fin de cette décennie, un sous-genre du house qui allait être baptisé deep house commençait à prendre forme. C’est à peu près à la même époque qu’un jeune homme de la ville de Québec commençait à entrevoir son parcours personnel et professionnel.
La raison pour laquelle vous n’avez peut-être jamais entendu parler du membre SOCAN Fred Everything — sauf si, évidemment vous aimez ou faites partie de la scène deep house —, c’est que comme le dit le vieil adage, nul n’est prophète en son pays, mais aussi parce que ce genre musical et ses acteurs préfèrent généralement demeurer sous le radar.
Depuis qu’il a percé internationalement en 1995, Fred Everything — né Frédéric Blais à Hull, Québec — a été DJ résident dans des clubs de Montréal, Toronto et Honolulu en plus d’être invité régulièrement à Londres, Chicago et San Francisco. Il a été tête d’affiche des plus importants festivals et clubs de grandes villes aux États-Unis, en Europe, en Asie, au Moyen-Orient et même en Afrique du Sud et en Russie, sans oublier les destinations festives comme Ibiza et la Croatie.
À titre de producteur et remixeur de renommée internationale, il compte plus de 250 parutions à son nom — incluant cinq albums — tandis que son très respecté label Lazy Days Recordings compte déjà près de 80 parutions, sans compter les compilations, par la crème de la crème de l’univers deep house.
En 2019 seulement, il a cumulé 1,1 million d’écoutes sur Spotify et il a récemment produit un remix pour Dominique Fils-Aimé, la gagnante du Félix de l’album jazz de l’année 2019 au gala de l’ADISQ.
Vous vous demandez peut-être où se situe le deep house dans le spectre de ce qui est généralement appelé l’EDM (Electronic Dance Music), et Fred nous offre cette explication toute simple : « EDM est devenu un terme fourre-tout pour la musique électronique en général, mais c’est aussi un genre musical en soi qui est principalement associé aux festivals de musique et typique en raison de ses “drops” massifs. C’est une musique conçue et construite pour plaire à d’immenses foules ; ces pièces suivent une formule et sont purement fonctionnelles. Je n’aime pas l’EDM, mais je n’ai aucun problème avec le genre. Je crois que ça peut être une porte d’entrée vers le vaste monde de la musique électronique pour une nouvelle génération. »
Bien qu’il soit inextricablement associé au deep house, Fred se considère comme un artiste aux horizons bien plus vastes qui s’efforce de brouiller les frontières entre les genres musicaux, d’où son « Everything ». « J’ai touché à d’innombrables styles au fil des ans », dit-il, « mais c’est vrai qu’il y a un fil d’Ariane dans mes productions en ce qui a trait aux harmonies, aux sonorités et aux textures. Les qualités sonores sont aussi importantes que les éléments musicaux, pour moi. »
Fred a brièvement reçu une formation classique, dans son enfance. « Je n’étais pas un bon élève », avoue-t-il. « Je crois que c’est surtout parce que j’étais plus intéressé par l’aspect pratique, même à ce jeune âge, et je ne comprenais pas comment une formation en bonne et due forme me serait utile, plus tard. » Il fera très tôt l’acquisition de son premier synthé, un Akai AX-60, après avoir travaillé tout un été à la plonge d’un restaurant. Il formera ensuite quelques groupes en compagnie de ses amis et, à cette époque c’était encore le new wave qui l’intéressait, mais il découvrira très rapidement les scènes house et techno qui prenaient l’Angleterre d’assaut.
Des maisons de disques légendaires comme Warp et Network deviendront des phares pour lui. « Avec le recul, je réalise que j’ai toujours été intéressé par les sonorités électroniques », dit-il. « Les synthés et les vocodeurs m’ont fasciné dès mon plus jeune âge. Il faut dire aussi que j’étais enfant unique et un plutôt solitaire, alors la musique électronique m’offrait une alternative sécuritaire pour créer de la musique seul dans mon coin. »
Et c’est là que les raves font leur entrée en scène. « Après l’époque où je donnais des petits spectacles avec mes groupes, je me suis lancé en solo et je jouais dans les raves à Québec et Montréal », se souvient Fred. « Après un certain temps, j’ai décidé de laisser mes instruments à la maison, où je continuais de composer, et je me suis mis au DJing. Ce n’est que quand je me suis installé à Montréal en 1995 que j’ai commencé à signer mes créations à l’international et que j’ai commencé à me produire hors de l’Amérique du Nord. » Et comme le veut l’adage, le reste appartient à l’histoire.
“Mon nom de scène reflète la liberté de transcender les frontières que je m’accorde dans ma musique”
Alors que son étoile était de plus en plus ascendante, Fred s’installera ensuite à Londres pendant quelques années avant de rentrer brièvement à Montréal pour se diriger vers San Francisco où il vivra pendant huit ans.
Si vous n’êtes pas familiers avec le deep house — et même si vous l’êtes, en fait —, les vrais (et bons !) albums dans ce genre sont très rares, car il s’agit principalement d’un genre axé sur les simples, comme la majorité des genres axés sur la danse. Bon nombre d’artistes ont simplement colligé leurs simples et appelé ça un album, mais ça n’a jamais fonctionné, parce que le fil d’Ariane qui fait d’un album un album génial — peu importe le genre musical — est inexistant. Fred Everything fait partie des très rares artistes deep house à avoir réussi le tour de force de créer de vrais, bons albums deep house.
En 2004, son deuxième album intitulé Light of Day a été consacré meilleur album house de l’année par le prestigieux DJ Magazine et le Festival international de jazz de Montréal l’a invité à le jouer sur scène accompagné d’un groupe complet de musiciens. La même année, il a reçu le prix du meilleur artiste électronique du défunt Montréal Independent Music Initiative (MIMI). En 2016, il sera consacré meilleur producteur deep house au monde par Traxsource, l’un des plus importants sites de vente de musique en ligne du domaine électronique et dance.
Bon nombre de musiciens sont obsédés par leurs instruments, et certains poussent parfois la note jusqu’à devenir de vrais collectionneurs. Pas Fred, mais nous lui avons quand même demandé quels sont ses instruments préférés, et pourquoi. « Je dis tout le temps que tout ce qu’il faut, c’est un bon synthé polyphonique et un bon synthé mono », nous explique-t-il. « J’en ai bien plus qu’un de chaque, mais je voterais sans doute pour le Prophet 6 comme meilleur synthé polyphonique moderne, et pour n’importe quel synthé Moog comme meilleur synthé mono. Le Minitaur est un excellent point de départ, mais le Model D est le summum. J’aime aussi Arp, Oberheim, et, bien entendu, les classiques de Roland. Le Arturia Beatstep Pro est un outil incomparable lorsque vient le temps de séquencer et déclencher les synthés plus vieux. »
Nous lui avons demandé si on pouvait espérer le revoir monter sur scène avec d’autres musiciens, et il ne semble y avoir que très peu de doutes dans son esprit. « Pas pour l’instant, mais il ne faut jamais dire jamais ! », dit-il. « Si ça devait arriver, je serais seul, pas avec d’autres musiciens. Mon rêve serait qu’un orchestre joue ma musique afin de souligner mes 25 ans de carrière en tant qu’artiste, cette année. Si par chance quelqu’un à l’OSM lis ça… »
En effet, 2020 devait être l’année où le musicien et DJ marque un anniversaire important avec une tournée mondiale printemps-été, soit son 25e en tant que producteur et le 15e anniversaire de son label. La pandémie a bien entendu mis un terme à ces plans.
Quoi qu’il en soit, c’est quand même tout un accomplissement pour un artiste qui a toujours géré tous les aspects de sa carrière ! « J’ai eu des agents de “booking” à l’occasion, mais je fais tout moi-même, en général. Je n’ai jamais eu de gérant. Ça peut devenir très exigeant par moments, et ça m’empêche de me concentrer entièrement sur le côté créatif de ma carrière, ce qui devrait toujours être le cas. Mais, au fil des ans, j’ai appris à jongler avec tout ça. »
Eh ! bien, M. Everything, continuez à jongler, vous faites un excellent travail !