Jill Barber a l’habitude du risque. « C’est ce que je trouve stimulant dans la vie d’artiste, » explique-t-elle, « à la fois quand je suis sur scène et quand je décide de ce que sera mon prochain projet artistique. »

Et cette intrépidité l’a bien servie. En un peu plus de dix ans de carrière, Jill Barber, à 34 ans, a déjà vendu plus de 100 000 albums dans un genre bien à elle, a été en nomination à plus de 30 prix et a entendu sa musique jouer dans des annonces publicitaires et des émissions de télévision, dont le grand succès de Netflix Orange is the New Black. Elle s’est engagée récemment comme ambassadrice de l’œuvre de charité Save the Children et vient de publier son deuxième livre pour enfants, Music is for Everyone.

C’est elle qui a décidé de poursuivre sa maternité, ce qui lui a permis finalement de prendre une pause. « Ce que je craignais le plus en décidant d’avoir un enfant, c’est qu’après avoir consacré dix ou douze ans à essayer de donner de l’essor à ma carrière, je serais obligée d’y mettre un frein, admet-elle. Ça m’a vraiment fait peur. » Déterminée à continuer d’avancer, Jill Barber s’est fait une promesse : avant que son bébé ait atteint sa première année, elle allait sortir un nouvel album. « J’ai décidé d’être une maman au travail, dit-elle, mais évidemment, j’avais le sentiment de jeter les dés, car je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait »

« Je ne peux pas tellement courir après ma muse parce que je cours déjà après mon bébé. »

Mais le pari s’est avéré payant. En septembre 2013, six semaines après la naissance de son garçon Joshua, Jill Barber était de retour sur scène, jouant à  New York à l’occasion de la première de la série télévisée américaine, Masters of Sex. Et fidèle à sa parole, elle a fait paraître son sixième album, Fool’s Gold, en juin 2014. Produit par ses collaborateurs de longue date Les Cooper et Drew Jurecka, et enregistré par l’ingénieur Stu Young, cet album montre une Jill Barber qui réfléchit sur l’amour et les peines de cœur dans une série de nouvelles chansons au confluent du jazz, du blues, du motown et du country.   « Je suis très fière de ce disque, dit-elle. Je trouve qu’il clique vraiment avec les gens, et c’est merveilleux. »

Tandis qu’elle emmène Joshua avec elle dans ses tournées sur scène, l’artiste, aujourd’hui établie à Vancouver, ajoute rapidement qu’elle n’y serait pas parvenue toute seule. « Il n’y a pas de secret! » dit-elle en riant. « Ça fonctionne uniquement parce que j’ai beaucoup d’aide. » Son mari, la personnalité de CBC Radio 3 Grant Lawrence, a pris un congé de paternité pour l’accompagner sur les routes pendant les six premiers mois, et elle voyage maintenant avec sa nounou. Elle remercie également Joshua d’être un bébé facile. « Il suit simplement le courant. C’est un très bon voyageur. »

Jill Barber dit que sa maternité l’a obligée à être plus disciplinée dans l’écriture. « Aucune des chansons de ce disque n’a été écrite à minuit, sur le coup d’une inspiration soudaine, » s’esclaffe-t-elle. « Avec la façon dont se déroule ma vie actuelle, je ne peux pas tellement courir après ma muse parce que je cours déjà après mon bébé. » Elle essaie plutôt de se réserver du temps pour écrire et travailler avec ses collaborateurs.

Tandis que ses talents de musicienne et d’interprète mûrissent, Jill Barber – qui a remporté le prix SiriusXM de l’artiste de jazz de l’année en 2012 ainsi que le prix de l’album francophone canadien de l’Ouest de l’année en 2013 pour Chansons, enregistré entièrement en français – dit qu’elle parvient plus facilement maintenant à dire non quand il le faut.

« Parce que, en tant que musiciens, nous aimons tellement ce que nous faisons, c’est facile d’exploiter cet amour, » dit-elle, sérieuse. « Je veux être gentille, mais je me rends compte que je ne dois pas être trop accommodante. Je tiens encore à travailler dur quand des occasions se présentent, mais je ne peux pas me démener pour elles sans arrêt. »

Jill Barber n’en est pas moins reconnaissante de tout ce qu’elle a pu accomplir depuis qu’elle a encaissé ses bons d’épargne (cadeau d’un grand-parent) il y a une dizaine d’années afin de pouvoir se consacrer à temps plein à la musique. « C’était un risque, je suppose, rigole-t-elle, parce qu’à ce moment-là, c’était toutes les économies de ma vie! » Mais l’auteure-interprète, qui a fini alors par enregistrer son premier album, Oh Heart, au Studio H de CBC à Halifax, a vite compris que le risque aurait été de ne pas essayer. « Mon but ultime en 2004, était de ne pas être obligée de me trouver un emploi de jour, se rappelle-t-elle. Pour moi, c’était ça le succès. »

Pour ce qui est de l’avenir, Jill Barber dit espérer être en mesure de collaborer plus officiellement avec celui qui a été sa première inspiration musicale, son frère aîné Matthew Barber. Refusant que ses appréhensions l’empêchent de repousser ses propres limites musicales, elle prévoit aussi travailler un beau jour à ce qu’elle appelle un « disque entièrement country ».

« Quand je regarde ma collection de disques, elle comporte une foule de genres. Alors pourquoi, en tant qu’artiste, devrais-je n’en représenter qu’un seul? » demande-t-elle. « J’écris toutes mes chansons et, pour moi, c’est ce qui les rattache toutes entre elles. »

QUELQUES FAITS
Éditeur :
S/O
Discographie : A Note to Follow So (EP) (2002), Oh Heart (2004), For All Time (2006), Chances (2008), Mischievous Moon (2011), Chansons (2013), Fool’s Gold (2014)
Visitez www.jillbarber.com
Membre de la SOCAN depuis 2003



Notre homme n’avait pas commis d’album de compositions originales depuis Fou en 2005. Dan Bigras était pourtant visible ailleurs, comme à la télé, en tant que comédien dans le téléroman 30 Vies, au cinéma comme réalisateur du film La rage de l’ange (2006) ou, plus récemment, comme mentor d’Éric Lapointe à La Voix. Voilà qu’en février dernier paraissait son album Le sans visage, lui qu’on n’avait jamais autant vu que ces dernières années.

Au bout du fil, interrompant brièvement des vacances en République Dominicaine pour répondre à nos questions, il explique les raisons d’une si grande pause de nouveau matériel musical : « Comme j’ai un déficit d’attention, la notion de pause n’existe pas pour moi. En fait, mon problème, c’est que j’ai surtout beaucoup trop d’idées, que je dois noter sur-le-champ parce que dans trois minutes, elles ne seront plus là. Et que je dois faire un tri à travers tout ça par la suite… »   

« Il faut s’impliquer totalement sans aucune ostie de distance ! Après tu peux réfléchir un peu. »

Vrai que lorsqu’on accumule 50 chansons en quelques années, on peut comprendre que le tri doit se transformer en véritable casse-tête. Surtout lorsqu’on recherche une certaine cohérence et qu’on a des chansons dont les thèmes sont aux antipodes les uns des autres. L’amour heureux ou libidineux, l’amour sous toutes ses coutures, les laissés-pour-compte, les puissants, l’amitié indéfectible, les réseaux sociaux et leur surdose d’opinions, etc.

« Ça donne l’impression d’être beaucoup de travail d’écriture, de faire 50 chansons pour en garder une quinzaine, explique Dan Bigras. Mais après en avoir écrit 10, tu te retrouves à en écrire 10 autres… qui font paraître nulles à chier les 10 premières ! Ce qui fait que tu continues et qu’au bout de trois ans, t’es rendu à 50. Et quand tu t’aperçois que ça fait trois fois que tu réécris la même chanson, ben tu t’arrêtes. Le voyage est fini. Il reste à arracher les branches mortes, à tailler ça comme il faut, et à garder ce qu’il y a d’intéressant pour faire un disque. »

Mais comment fait-on cohabiter des chansons plus sombres et d’autres carrément guillerettes sur un même album sans que ça paraisse déséquilibré? Pour Dan Bigras, l’équilibre est une notion bien relative : « Moi, l’équilibre, ça fait longtemps que j’ai appris que ce n’était pas quelque chose qui se tient au milieu. Ce sont des extrêmes, mais bien balancés. Tu mets ton point d’appui dans le milieu et les extrêmes vont tenir. Ma vie est construite comme ça. Le milieu m’a toujours rendu malheureux depuis que je suis tout petit. C’est pour ça que j’ai ressenti le besoin d’aller dans les extrêmes. Dans mes tounes, c’est pareil, j’ai besoin d’une variété d’émotions et d’ambiances. C’est comme ça que j’ai trouvé l’équilibre sur Le sans visage. »

Bigras le dit lui-même, avec l’âge, il devient de plus en plus solitaire lorsque vient le temps de la création. Seul dans son studio-maison, il se parle et rit tout seul, engueule ses machines, mais il a surtout beaucoup de plaisir. Depuis qu’il est sobre, ces moments sont devenus sa façon préférée de délirer.

Mais n’y a-t-il pas un risque de manquer d’air à force de travailler seul, de ne pas avoir un regard extérieur qui aide à voir les choses d’un autre œil ? « De dire qu’un créateur doit prendre de la distance avec sa création c’est une grave erreur selon moi, » affirme Dan Bigras avec l’assurance du gars qui est passé par là. « C’est ce que beaucoup de producteurs disent pour justifier leur paye… Il faut s’impliquer totalement sans aucune ostie de distance ! Après tu peux réfléchir un peu. J’ai quand même une compagnie de disques avec des employés, j’ai des chums que j’invite sur des comités d’écoute et que je mélange avec des gens de l’industrie. Mais seulement quand je suis rendu assez loin, pas en plein processus de création. Je ne pourrais pas travailler avec un producteur qui vienne me dire que j’ai besoin de mettre plus de ci et moins de ça. Je trouverais ça insupportable… »

Ce que Dan Bigras a arrêté de trouver « insupportable », avec les années, c’est sa propre voix, une voix reconnaissable entre toutes, qu’il a appris à accepter, avec ses qualités et ses défauts : « J’ai arrêté d’être complexé parce que je ne suis pas un grand chanteur, » avoue-t-il sans une once de fausse modestie. « Je me suis aperçu que de tous les instruments que je jouais, ma voix était le seul qui disait des mots, qui partait de loin à l’intérieur de moi, et qui était vraiment bien plogué sur mon cœur. Et que c’était ça l’important. Je commence, à mon âge, à être capable de m’écouter. Parce que laisse-moi te dire que quand tu t’écoutes toute la journée, parce que t’es à l’étape du mix en studio, et que t’aimes pas ta voix, c’est long longtemps… Il y a des albums où j’ai tourné les coins ronds juste parce que je n’étais plus capable de m’entendre ! Maintenant je suis capable. Je suppose qu’on devient fataliste avec l’âge, on accepte qu’on n’ira pas ailleurs… »



Les Hay Babies, c’est d’abord une rencontre, celle de trois filles allumées au concours l’Accro de la chanson du Nouveau-Brunswick. Ensemble depuis novembre 2011, Vivianne Roy (22 ans, guitare), Katrine Noël (21 ans, ukulélé) et Julie Aubé (21 ans, banjo) ont un parcours plus que respectable. Parution d’un EP (Folio) et première partie de Lisa LeBlanc en 2012, six récompenses au gala des prix MNB (Musique Nouveau-Brunswick). Puis, le trio d’auteures-compositrices-interprètes est déclaré grand vainqueur de l’édition 2013 des Francouvertes.

« On ne pensait même pas que c’était un concours. On croyait que c’était un festival, lance Vivianne en riant. Quand on est arrivées là, on s’est dit “wow, ok”, mais on n’avait aucune attente. On était installées au Nouveau-Brunswick et on faisait le trip à chaque fois pour jouer. On n’a pas pu voir beaucoup d’artistes sur scène, mais la whole affaire nous a aidées, for sure. Ça a vraiment été un tremplin en ce qui concerne le booking dans les salles et les festivals et aussi pour la production du disque. C’est vraiment ce qui a kickstarté notre carrière. »

Loin des yeux, loin du cœur

C’est en avril dernier que leur premier album complet débarquait dans les bacs. Réalisé par François Lafontaine (Karkwa, Alexandre Désilets), Mon Homesick Heart propose 11 titres aux ambiances indie-folkcountry-psyché et se veut le résultat d’une période d’écriture passée sur la route, loin de la famille et des chums. « Ça a déteint sur les chansons, » avoue C’est en avril dernier que leur premier album complet débarquait dans les bacs. Réalisé par François Lafontaine (Karkwa, Alexandre Désilets), Mon Homesick Heart propose 11 titres aux ambiances indie-folk-country-psyché.

Alors que « J’ai vendu mon char » présente le côté ludique des Babies, une pièce telle que « La toune du soundman » dévoile le groupe à son plus vulnérable et touchant. Katrine explique : « C’est la chanson la plus personnelle que j’aie écrite jusqu’à ce jour. Et l’une des premières qui parle directement de moi. J’étais partie pendant un mois et demi et j’étais homesick. Pas pour rien que l’album s’appelle de même! Je ne m’inspire pas toujours des mêmes affaires. On retrouve souvent des choses que je n’ai pas vécues. Souvent, nos chansons, c’est de la pure fiction. »

Pour les trois jeunes femmes, l’écriture est un exercice démocratique dont l’approche est différente à chaque fois. Katrine décrit : « On n’a jamais eu de méthode qui se répète. Des fois, je vais écrire une chanson au complet ou presque, je l’apporte au groupe et on la travaille ensemble. Ou alors, c’est une autre fille. D’autres fois, on aura juste un bout de texte qu’on ne peut pas finir et qui nous bloque. Ou on commence une toune toutes les trois ensemble. » Julie poursuit : « On donne toutes les trois notre deux cennes par rapport à une chanson. Ça peut même naître d’un jam, mais il n’y a pas de formule. »

Talents acadiens

Si des artistes tels que Lisa LeBlanc et Radio Radio ont réussi à se tailler une place de choix ces dernières années sur l’échiquier québécois, le talent acadien demeure encore quelque peu refermé sur lui-même. Julie : « Je crois que le problème est qu’il y a un certain complexe d’infériorité parce qu’il n’y a pas de structures pour réussir dans la musique chez nous, pas une façon de gagner sa vie en restant au Nouveau-Brunswick. Il faut aller en France, au Québec. Il faut s’exporter. Et c’est pas tout le monde qui est prêt à faire ça. Il faut sortir de sa zone de confort et c’est difficile. »

Katrine ajoute : « Le fait que de nombreux jeunes artistes acadiens commencent à gagner leur vie avec la musique incite les musiciens à aller de l’avant et à voir que c’est possible de réussir. Il y a toujours eu du talent en Acadie et il y en a encore beaucoup à découvrir. »

Succès rapides

Récolte de nombreux prix, parution d’un album porté aux nues par la critique et apprécié du public, spectacles courus par les amateurs : une reconnaissance qui a de quoi donner le vertige. Dur, dur d’être une Hay Baby? « Non. Tu sais, ne vivant pas au Québec, il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas. Il y a des tonnes d’articles écrits sur nous qu’on ne lira jamais. À chaque fois qu’on arrive là, on est choquées de découvrir à quel point on est connues. Sept cent personnes sont venues voir notre spectacle lors des dernières FrancoFolies, alors qu’on ne s’attendait à rien, » raconte Julie, la voix vibrante.

Vivianne : « À l’origine, je voulais travailler autour de la musique. Je ne pensais pas qu’on pouvait gagner sa vie en jouant de la musique. Je voulais être journaliste ou alors designer des pochettes d’albums, mais pas être à l’avant-plan. Ça m’a un peu prise par surprise tout ça. »

Katrine renchérit : « Depuis le début, on s’est lancées là-dedans, mais on n’a pas pris de recul. On est super choyées, contentes que notre travail porte fruit, mais je ne pense pas qu’on voit tout à fait à quel point ce qui nous arrive est huge. On est juste heureuses de pouvoir vivre de notre musique et de tripper. »

On the road (again)

Après avoir passé un été « ben relaxe », les filles attaquent l’automne avec une escale en France, une participation au ROSEQ ainsi qu’au Coup de cœur francophone, en plus d’une poignée d’autres spectacles à gauche et à droite. Vivianne : « On a aussi toutes des petits projets individuels. Puis l’an prochain, on se concentrera sur l’écriture et la réalisation du nouvel album qui pourrait bien être entièrement en anglais. On aimerait plus prendre notre temps, côté production, que le dernier disque. »

Julie poursuit : « Pour nous, l’anglais n’est qu’un choix artistique. On est toutes bilingues. On a écrit plein de chansons en anglais qu’on joue et qu’on n’a pas encore mises sur disque. Lorsque tu crées quelque chose dont tu es fière et que tu le documentes pas, je trouve ça triste. En même temps, ça pourrait nous rapprocher de nos influences country américain. Et peut-être nous aider à tourner là-bas ou dans des coins plus anglos. Ce serait un peu fou de ne pas faire entendre nos chansons aux gens. Faut pas se limiter lorsqu’on fait de la musique. Il faut explorer. Aller voir ailleurs.