Quand les artistes sentent qu’une composition commence à prendre forme, ils s’enferment généralement dans une chambre ou un studio pour l’étoffer. Mais dans le cas de SadBoi (alias Ebhoni Jade Cato-O’Garro), c’est direction salle de bain.
« Cela va paraître bizarre, mais c’est dans ma salle de bain que je me sens le plus en sécurité », explique Cato-O’Garro, qui est née à Toronto et qui vit aujourd’hui à Atlanta. « Des fois, j’écris sur une production simple, le plus simple, le mieux. J’aime aller dans ma salle de bain et m’asseoir dans mon lavabo, et je joue la musique à tue-tête pendant que j’enregistre tout ça avec mon autre téléphone. Après, je laisse décanter tout ça quelques jours. »
Si vous vous demandez quel genre de musique SadBoi écrit, jetez un coup d’œil sur YouTube, parce que c’est très varié : Potential dégouline d’une « vibe » dancehall ; LIE LIE LIE! est une ballade R&B tout ce qu’il y a de plus triste ; U Dun Kno est un excitant mélange de ragga et de hip-hop ; le squelette mélodique et rythmique de Gyal Clown est composé d’un ADN reggae ; et Sister Wives est une parfaite petite pièce pop. SadBoi fait feu de tout bois.
« Honnêtement, mes goûts musicaux sont très variés et j’en suis très fière », admet-elle, citant des influences aussi variées que les rockers Paramore aux expérimentateurs hip-hop agressifs Death Grips, en passant par le maître du dancehall Buju Banton.
Côté textes, SadBoi est un personnage provocante et sexuellement cru, un alter ego qui exprime son mécontentement en matière de relations sans retenue, un aspect qui a commencé à se manifester sur son mixtape Good Dick and Weed paru en 2021.
« Quand j’écris de la musique, je pense surtout à toutes les filles qui ont eu le cœur brisé », confie SadBoi. « C’est vraiment important pour moi : j’ai l’impression de me porter à leur défense. Je parle aussi de choses que je vis moi-même, des trucs que j’ai vus ou que des gens que je connais ont vécus, et j’essaie de parler de tout ça d’une manière qui est presque édifiante pour moi en même temps. »
SadBoi a également été mannequin pour Adidas et Savage X Fenty et elle a commencé sa carrière sous le nom d’Ebhoni après avoir participé au concours de chant de l’Exposition nationale canadienne quand elle avait 11 ou 12 ans. Elle avait alors interprété la chanson « Love » de Keyshia Cole.
Attirée par les arts – photographie, peinture, musique – lorsqu’elle est arrivée au secondaire, elle interprétait des chansons qu’elle publiait sur YouTube jusqu’à ce que celles-ci captent l’attention d’un producteur torontois qui lui a suggéré d’enregistrer du matériel original.
« Maman a trouvé que c’était une excellente idée et a réservé du temps dans un studio pour moi », raconte SadBoi. « On m’a écrit une chanson intitulée “Pop Princess” et je la détestais, mais je n’ai rien dit. J’ai pleuré tout le long du trajet en rentrant chez moi. Le lendemain, j’ai commencé à écrire mes propres chansons. Je pense que c’est à ce moment que j’ai compris que j’étais vraiment capable de m’exprimer grâce à la musique. Je n’ai plus arrêté d’écrire depuis. »
En 2017, elle a lancé Mood Ring, un EP de huit chansons qui a récolté environ deux millions d’écoutes et elle a commencé à se tailler une place en tant qu’artiste de scène. « Je jouais un peu partout en ville [Toronto] et j’ai fini par faire la première partie d’à peu près tous les artistes qui étaient de passage, comme Teyanna Taylor, Rico Nasty ou Doja Cat. »
Initialement, la musique d’Ebhoni cherchait à plaire au plus grand nombre, mais cela a changé à mesure qu’elle gagnait en maturité. « J’ai toujours été rebelle », lance-t-elle. « Quand j’étais plus jeune, je me “bleachait” les cheveux et les sourcils et je faisais toutes sortes de choses assez champ gauche. Heureusement, ma mère était d’un grand soutien et m’encourageait à m’exprimer. »
« En vieillissant, la vie a suivi son cours et j’e suis arrivée à un point où je n’avais plus besoin d’impressionner qui que ce soit. Tout ce que je voulais, c’était de faire ce qui me représente vraiment. Avant je chantais à propos de l’amour ou de jolies choses que je croyais que les gens avaient envie d’entendre, mais je ne parlais pas de ce que je vivais vraiment. »
« Je vivais tellement de choses dans mes relations et y a fallu que je découvre par moi-même ce que je veux vraiment et à qui j’ai vraiment envie de parler. Toutes ces chansons que j’ai écrites dans ma salle de bain parlent de peines d’amour, de problèmes familiaux et toutes ces choses qui font vivre le personnage de SadBoi dans mes chansons. J’ai l’impression que j’ai toujours été attirée par les enfants tristes qui avaient des histoires de vie semblables à la mienne, des enfants qui se sont fait mettre à la porte de leur maison ou qui ont fait le party toute la nuit ou qui se sont rebellés. »
« Je finis par dire des trucs que je ne dirais jamais tout haut autrement, mais que je peux chanter »
« Je réécoutais la musique et je n’étais pas sûre si Ebhoni cadrait dans le monde de ce que je ressentais. Y a du monde qui m’a suggéré le nom de SadGirl, je trouve SadBoi beaucoup plus puissant et j’ai décidé de le garder. »
SadBoi maîtrise parfaitement le piano, la guitare et la trompette et sa horde de fans est surnommée The Crybabies. Autre particularité de son univers, ses chansons, du moins celles qu’elle a lancées à ce jour, sont majoritairement sous la barre des trois minutes et certaines ne font même pas deux minutes.
« J’essaie de ne rien forcer », avoue-t-elle. « Dès que j’écris quelque chose… des fois c’est à peine trois minutes avec deux ou trois couplets. D’autres fois, c’est juste un refrain et un “hook”, puis un pont et un “hook”. Tout dépend comment je file à ce moment-là. »
« Quand j’arrive à un point où je suis en mesure de me dire “OK, j’ai ce couplet, j’ai ce ‘hook’, mais je n’ai pas autre chose à ajouter”, alors je vais essayer d’ajouter un pont. C’est simplement comme ça que mon cerveau fonctionne. »
Elle prépare actuellement son premier album avec des producteurs torontois comme Nineteen85 et Mike Wise et SadBoi a signé un contrat avec le label LVRN d’Atlanta (6lack, Summer Walker). Elle affirme sans détour que « The Six » est devenu son lieu de prédilection artistique.
« Après ma salle de bain, la meilleure place pour écrire de la musique pour moi, c’est à Toronto », affirme-t-elle avant d’ajouter qu’elle espère non seulement suivre les traces de Nicki Minaj et Lana Del Ray au chapitre de la popularité, mais aussi de ce qu’elle représente.
« J’ai vraiment envie que les gens sentent qu’ils font partie de l’univers que je veux créer. Nicki Minaj et Lana Del Ray ont fait un travail remarquable lorsqu’il est question de montrer aux gens que c’est OK d’être soi-même. C’est mon but aussi. »