Le prolifique écrivain de 39 ans prépare un quatrième album où l’oralité et le rythme des mots seront encore et toujours à l’avant-plan.

David GoudraultRomancier, poète et travailleur social, David Goudreault a déjà accumulé une belle collection de collaborations : Richard Séguin, Louis-Jean Cormier, Luce Dufault, Manu Militari et Florence K. Mais la liste pourrait s’allonger.

« Mes projets de disques, confie-t-il, c’est davantage des trips de studio. J’ai envie d’explorer d’autres genres littéraires. Donc, la chanson, le spoken word, le rap, ce sont des façons d’aborder la littérature qui m’intéressent, il y a des textes pour moi qui sont plus près de l’oralité que de l’écrit. Ça aide dans l’écriture d’un roman, il n’y a aucun doute. Il quelque chose dans le souffle, dans l’oralité qui va servir le romancier ».

Mentionnons que Goudreault a aussi à ce jour écrit des chansons pour Forestare, Gaële et Jipé Dalpé. Coco Méliès et Dominique Marien figurent également au nombre de ses occupations chansonnières.

« Je fais un (quatrième) album parce que j’ai envie d’écrire des chansons avec des professionnels même si je suis d’abord un romancier. Ce qui paye ma maison c’est les romans. Je le fais sans subventions, c’est mon argent d’écrivain que j’investis là-dedans ».

« Tous les jours, j’écris et je n’ai pas les moyens d’attendre l’inspiration. Tous les jours, je m’assois et je travaille. J’ai des commandes de chroniques, de textes de chansons, j’ai des projets de romans, ce que j’écris n’est pas toujours bon ! Si j’étais carriériste, je n’écrirais que des romans. Mais j’ai envie d’explorer, je suis une victime de mes passions. J’ai envie de toucher à tout ! »

Son rôle de directeur artistique à La grande nuit de la poésie à St-Venant, au Québec (coorganisé par Richard Séguin) n’y fait pas exception : « un événement important d’un point de vue littéraire, mais un point de vue qui inclut la chanson; je crois que ça fait du sens de mettre sur la même scène, le même soir, Les sœurs Boulay, Hélène Dorion, Joséphine Bacon et Manu Militari ».

« On peut passer d’un univers à l’autre assez aisément. L’exemple que je donne toujours dans les ateliers c’est que Gaston Miron n’était pas un parolier. Par contre, le projet Douze hommes rapaillés a fait vivre ses poèmes en chansons de façon exceptionnelle. Comme certaines chansons peuvent être imprimées et carrément être de la poésie. Desjardins en est un excellent exemple. C’est intéressant de lire Desjardins. Un soir avant un spectacle, j’arrive à sa loge et il était en train de lire un de mes romans, il a levé les yeux et m’a dit « toé t’écris ben en tabarnak ! » Mon bonheur de l’année ! »

« Le but, c’est de trouver ce point de contact où il y a aura du sens de part et d’autre »

Récemment, il écrivait Débrise-nous (musique Richard Séguin), qui est devenu le premier single du nouveau disque de Luce Dufault, Dire combien je t’aime.

« Avec Luce, j’étais vraiment très libre, je passais en boucle dans ma tête la puissance de sa voix qui évoque l’amour et la souffrance ». La chanson fut écrite durant la nuit de la Saint-Jean en 2019 dans sa chambre d’hôtel de Québec après qu’il eût fait connaissance avec elle la veille sur les Plaines.

« Parfois, j’écris des textes de chansons sans même savoir qui va les chanter, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. Sinon, j’ai des commandes (trois chansons sur le dernier de Florence K.) avec des thèmes très précis : je sais alors exactement qui va interpréter mon texte avec le ressenti nécessaire. C’est aussi une bonne chose d’avoir un côté directif ».

« Le but, explique l’écrivain, c’est de trouver ce point de contact où il y a aura du sens de part et d’autre. Avec Louis-Jean Cormier pour Les poings ouverts (album Quand la nuit tombe) qu’on a écrite ensemble, ce texte-là me parlait parce que lui et moi sommes en couple avec des femmes immigrantes ».

La star française du slam, Grand Corps Malade (Fabien Marsaud), dont Goudreault a aussi fait des premières parties de spectacle, a coécrit Juste de la poésie qui figure sur La faute au silence, troisième recueil sur disque du québécois publié en 2014.

Goudreault est clairement un impénitent défricheur : trois spectacles à son actif, dont le dernier, Au bout de ta langue, présenté plus de 200 fois. « Fabien m’a surtout appris l’importance de la générosité envers le public. Sa canne, c’est pas un accessoire de scène. Deux heures debout pour lui c’est exigeant et il va jusqu’au bout. Parfois il sort du texte pour échanger avec le public. Ça m’inspire ça ! »

Si Goudreault a déjà vécu à Trois-Rivières, capitale de la poésie au Québec, jusqu’à l’âge de dix-huit ans et dont il devait être le président d’honneur du Salon du livre cett année, il se souvient : « j’ai déjà été forcé de nettoyer des graffitis que j’avais faits sur les murs de la ville et là, de voir mes mots vissés sur une plaque sur ces mêmes murs ça me fait beaucoup rire. Je n’ai jamais raconté ça en entrevue ! »



Plus personne ne l’espérait: Jimmy Hunt lançait le 15 mai dernier Le silence, un nouvel album solo renouant (pour l’essentiel) avec les guitares acoustiques de son inoubliable premier disque en solo, paru en 2010. Inspiré de « la période la plus sombre » de sa vie (marquée par une rupture, par la mort de son père et par l’arrivée de la quarantaine), ce court album de 23 minutes conjugue dans une ambiance d’une familière étrangeté des climats parfois apaisants et parfois anxiogènes, ainsi que des textes souvent tout juste plus longs qu’un haïku.

Désormais installé pas loin du village de Maria, en Gaspésie, le leader du groupe rock Chocolat ralliait Montréal en décembre dernier, afin d’enregistrer en cinq jours (du 19 au 23) cette dizaine d’entêtantes méditations (presque des mantra) sur les splendeurs et (surtout) les misères de la solitude, en compagnie de quelques vieux compagnons (le bassiste Maxime Castellon,  le batteur José Major) et de nouveaux amis (le claviériste Benoit Parent, Mico Roy, guitariste des Hôtesses d’Hilaire). « J’avais jamais enregistré pendant cette période-là de l’année, quand les journées sont très courtes. On buvait des drinks chauds. C’était comme Noël. » Mais puisqu’un album de Jimmy Hunt ne serait pas un album de Jimmy Hunt sans un minimum d’excentricité, Le silence contient aussi une chanson portant sur les microbiotes et les microbiomes.

Conversation sur le pouvoir d’évocation des textes minimalistes, sur la pression induite par le statut culte de l’album Maladie d’amour et sur la liberté de créer quand il le souhaite, et non lorsque l’industrie le prescrit.


Ta chanson sur les microbiotes (Vieux amis) pourrait être complètement saugrenue, voire risible, si ce n’était de sa dernière phrase, dans laquelle tu te demandes « Qui est moi ?» Est-ce que c’est une question à laquelle tu trouves plus de réponses en vieillissant ?
« Non, c’est ça qui est fascinant. Quand on est jeune, on pense qu’on sait qui on est, mais plus on vieillit, moins on le sait. C’est pas tout à fait clair ce qui nous commande : est-ce que c’est l’espèce, nos sens, notre microbiote ? C’est plusieurs choses qui nous dirigent, mais on en prend conscience en vieillissant. On se guide peut-être un peu mieux, oui, il y a peut-être un meilleur pilote aux commandes pour ce qui est de notre rapport aux autres, mais qui est on est ? [Rire effaré.] Je le sais tellement pas. »

On présume la plupart du temps que lorsqu’un artiste chante au « je », il parle en son propre nom. Il y a quelques chansons sur ce nouvel album dans lesquelles ton « je » semble être un personnage, notamment Les gens qui m’aiment, dont le narrateur est particulièrement imbu de lui-même.
« Le «je» dans mes chansons est de moins en moins enchaîné à moi. Mais c’est sûr que le «je» de Les gens qui m’aiment, c’est un «je» absolument narcissique, qui parle du monde dans lequel on vit présentement. Il y a beaucoup de gens qui se convainquent qu’il y a des milliers de personnes qui les aiment et se convaincre de ça, c’est malsain. Les gens qui en sont vraiment convaincus sont peut-être pas des gens sur qui on peut se fier. Certains politiciens, certaines célébrités peuvent penser qu’ils ont cette puissance-là. »

Tu m’as l’air assez humble, mais est-ce que c’est pour fuir cette partie-là de toi-même que tu vis maintenant loin de Montréal et de l’industrie de la musique ?
« Non, je n’ai jamais eu d’ambition mégalo-vedette. Ça m’a toujours un peu inquiété, dès mes débuts, quand je me rendais compte que des gens que je ne connaissais pas me regardaient d’une drôle de façon. Les gens sont intrigués par les gens connus et ça me mettait un peu mal à l’aise. Moi, j’aime ça observer le monde, plus que d’être observé. Ça me brimait dans mon jeu. »

Sur Jazz engagé, de Chocolat, tu chantes sur un ton très satirique dans Fou fou fou mon minou que tu es « ceinture noire en poésie ». Tu m’as l’air particulièrement méfiant d’une poésie dont la beauté serait ostentatoire, soulignée à grands traits.
« C’est quelque chose auquel je réfléchis beaucoup dans l’écriture de chansons, cette espèce de besoin que plusieurs ont de rendre la poésie très stylée, cute, à la limite charmeuse, scintillante. On peut se contenter de moins. Dans le cas de ces nouvelles chansons-là, ce sont des extraits que j’ai pris de textes plus longs, parce que c’est l’extrait qui m’intéressait. Ça me fascine, ce minimalisme : dire beaucoup avec très peu. Souvent, le très peu peut englober de grandes idées. Ensuite, le défi que je trouve intéressant, c’est de faire en sorte que la musique devienne la continuité du message. »

Le texte de La chute est le plus court de l’album. Tu chantes « En février la chute coule derrière son manteau bleu / Infatigable chorale sans spectateurs », puis la musique devient de plus en plus angoissante. Est-ce à dire que tu as un rapport anxiogène avec la beauté ?
« C’est encore une fois un retour à la solitude. Le texte suggère que c’est super beau, le son de la chute qui coule, mais il n’y a aucun spectateur… La solitude, par moments, peut être une forme d’ouverture vers une paix intérieure, mais ça peut être aussi super angoissant. Je trouvais ça le fun que les deux émotions s’imbriquent. »

Comment est-ce que tu vis avec les fleurs que reçoit encore ton album Maladie d’amour (2013) ? L’émission Esprit critique le consacrait meilleur album de la décennie il y a quelques mois.
« C’est sûr que c’est hyper flatteur, mais après, c’est sûr que ça met une certaine pression pour la suite. J’ai essayé de ne pas tomber dans le panneau de vouloir satisfaire des attentes, même si je sais que lorsqu’on écoute un album qu’on aime, on aimerait qu’il y ait une suite. La suite, c’est souvent le gâchis…

[Le succès de Maladie d’amour], ça légitimisme le fait que j’ai choisi de faire de la musique dans la vie. Ça me donne une certaine confiance. Quand j’ai fait Maladie d’amour, j’ai pris des risques, je switchais de la guitare aux synthétiseurs. Il y en a beaucoup au Québec maintenant, des synthétiseurs, mais quand Maladie d’amour est sorti, il y en avait peu et la réponse a été étrange. C’était pas si chaleureux. Quand j’ai commencé la tournée, il y avait beaucoup de gens qui me disaient: J’aimais mieux ça avant. »

La photo sur la pochette du nouvel album, c’est un couteau ?
« C’est une dague, pour mettre au bout du fusil. C’était à notre père. Il avait ça depuis toujours dans un tiroir de sa commode de sa chambre. J’ai le souvenir que lorsque j’étais petit, on allait fouiller mon frère et moi dans les affaires de nos parents et le couteau, c’était comme interdit. Il s’est retrouvé sur le mur de ma maison en Gaspésie, pour cacher un clou. Je voulais sur la pochette une référence à mon père. Avec tout ce que j’ai vécu, j’aimais la symbolique du couteau dans sa gaine, comme s’il était apaisé. Il n’est pas si menaçant, mais ça reste un couteau quand même. »

Tu comptes parmi un groupe très restreint d’artistes, au Québec, qui semblent vraiment faire à leur tête. Tu fais des disques, des spectacles, quand t’en as envie…
Si j’avais voulu être forcé à faire des choses, je me serais trouvé une job normale ! [Grand rire] Tout ça sert à protéger l’essentiel, qui est l’amour que j’ai pour la musique. Le spectacle, c’est un peu une industrie. T’entres dans une sorte de machine à argent, il y a un rythme précis auquel se font les choses et ça peut être désillusionnant. Il y a des soirées magiques où tout se passe bien et il y en a aussi des difficiles. J’y vais prudemment. Le spectacle a endommagé beaucoup de créateurs géniaux, des artistes qui se sont autodétruits pour se sortir de ça. C’est pour pas l’oublier que je le dis: faut faire attention avec la vie publique et le spectacle. »



Catherine Major a choisi de ne pas choisir. Pour son cinquième album, elle prend le contrôle des rythmes électroniques et délaisse le piano pour que tout prenne racine en elle. Carte mère est l’emplacement géographique ou elle se trouve après vingt ans de carrière.

Catherine MajorLe poète Jeff Moran, qui partage sa vie avec la chanteuse, signe tous les textes de l’album sauf Tableau glacé, un hommage à une amie emportée par la maladie. « C’est un projet avec lequel on a tout commencé avec la musique et les mots sont venus après », dit Catherine. « La mélodie était déjà découpée rythmiquement et Catherine m’avait mis des onomatopées partout où il fallait des mots », complète Jeff.

Catherine se réveille la nuit pour créer, enregistrer ses dernières inspirations sur son téléphone. « Il y avait un désir de respecter son univers », dit Jeff. « Elle s’amusait beaucoup avec l’aspect technologique et moi j’ai l’habitude d’écrire pour Catherine. Ça fait un bout de temps qu’on est ensemble. On vit à peu près la même vie donc on n’a pas besoin de se parler longtemps pour savoir de quoi est fait notre quotidien. »

Le couple qui élève ses quatre enfants à la campagne souhaitait que le nouvel album parle de cette cohésion familiale, mais qu’il parle aussi de toutes les familles, dans l’ensemble de ses possibilités.

Cette complicité musicale est magnifiée et intensifiée par Antoine Gratton qui a réalisé des arrangements de cordes interprétés par le Bratislava Symphony Orchestra, sous la direction de David Hernando Rico.

Les chansons Sanglot orchestral et L’espace occupé ont fait partie de la course au titre d’album, mais l’idée de la carte mère était tellement évocatrice dans l’esprit de Catherine Major qu’il n’y avait aucune autre possibilité après ce déclic. « Ça rejoint l’ordinateur et tout ce que j’ai réussi à faire, pour la première fois, avec la technologie, mais ça ramène également à mon rôle de mère tellement central en ce moment », rapporte-t-elle.

Jeff Moran souhaite appartenir à une branche de la poésie qui soutient une certaine critique sociale tout en demeurant évasive. Dans sa description « magnifiée » du quotidien, il veut que ses mots soient universels. « Personne ne fait jamais face à la maladie, explique-t-il. Tout le monde comprend l’amour charnel, l’amour des enfants. C’est ce que j’ai écrit. »

« Je crois que les gens ont besoin de recevoir cette charge émotive »

Le commentaire social se fait tout de même plus soutenu sur L’espace occupé où l’on ouvre la voie vers la réflexion au sujet de la loi 21. « On avait besoin de souligner que c’était injuste que des profs excellentes ne puissent plus enseigner à nos enfants sous prétexte qu’elles portent le voile », dit Catherine. « Il y a plus de droits acquis et d’avancement sur des affaires aussi anodines que l’installation de fosses septiques », renchérit Jeff.

Les enfants gravitent dans la vie des deux parents tout comme ils se placent en piliers discrets au cœur des chansons. « Ça ne pourrait pas être un projet plus familial », lance Catherine qui a mis au monde une fille il y a moins d’un an. La famille se dresse aujourd’hui au plus près d’eux étant donné les règles de confinement que l’on vit.

« C’est un album intense qui cadre avec ces moments troubles, soutient Catherine Major. Je n’ai jamais prétendu être légère de toute façon. Ce que je fais, en ce moment, c’est charnu, musicalement. Les textes peuvent se mériter quelques relectures. Je crois que les gens ont besoin de recevoir cette charge émotive », croit-elle, soulignant la densité du projet. Puis, toute la place que prend désormais l’électro trouve sa contrepartie dans les cordes. « L’aspect organique d’un orchestre symphonique équilibre la présence de la machine », remarque Catherine.

Le lancement virtuel de l’album aura lieu ce vendredi 15 mai, de 17h à 18h. « C’est rare de vendre une place pour aller sur Internet, mais il faut réfléchir collectivement à ce qu’on peut faire pour rémunérer les artistes adéquatement malgré ce qui nous arrive », explique Jeff Moran.

Vingt années de musique créent des sillons solides derrière Carte mère et Catherine Major et c’est le bonheur qu’elle voit comme une facette tangible qui la distingue de ce qu’elle était au début. « Je suis bien plus heureuse maintenant et ça s’entend. On se juge longtemps durant sa vie, surtout dans l’art, croit-elle. On a souvent une petite voix qui nous dit de ne pas faire quelque chose ou de ne pas chanter ce qu’on voudrait. Peut-être que je suis, pour la première fois, à l’intérieur de moi au lieu d’être à côté. »