C’est en 2001, lors d’un séjour au Mexique, que l’idée de former un groupe ayant des racines ancrées dans la musique latine a germé dans la tête de Shantal Arroyo, alors membre de la formation hardcore Overbass. « Dans un bar de Puerto Vallarta, je m’étais plainte qu’il n’y avait que de la musique américaine. Mes amis m’ont répondu : “Si t’es pas contente, forme un groupe et viens jouer!” J’ai trouvé ça intéressant, mais les gens qui gravitaient autour de moi n’étaient pas des latinos. C’était des punks et des métalleux! Toutefois, plusieurs de ces gens développaient leur talent sur un deuxième instrument. J’ai commencé à leur en parler. Plus ça avançait, plus des membres se greffaient au projet. Finalement, à la fin, on était 17! Ça ne s’est jamais vraiment arrêté depuis ce temps, » raconte la volubile chanteuse, Mexicaine d’origine.
Composée de figures issues de la scène alterno montréalaise (dont Joe Evil, membre de Grimskunk, entre autres), la bande souhaitait non seulement élargir ses horizons musicaux, mais aussi son public. « On avait envie de faire un autre genre de musique. On avait tous beaucoup d’expérience et on caressait ce désir fou de se frotter à de grosses scènes. Avec ce projet, le marché mexicain s’ouvrait à nous. On voyait nos chums de la Mano Negra passer des bars aux stades et on avait envie que ça nous arrive aussi. C’était un gros défi au niveau musical : gueuler et chanter, ce n’est pas la même chose!, » s’exclame l’artiste âgée de 40 ans.
Si les reprises sont nombreuses dans l’arsenal de chansons de Colectivo lors des premiers balbutiements, c’est que la troupe ressent le besoin de bien saisir la musicalité de la langue latine. Shantal explique : « Une fois qu’on a compris ça, on s’est dit qu’on devait faire un disque. La première expérience en studio fut très difficile. On était nombreux et très tassés pour Hasta la fiesta… siempre! C’était aussi une période de transition au niveau de l’enregistrement : on passait de la bobine au numérique. Ce fut tout un défi de faire cet album, » avance-t-elle.
Puis, en 2005, un deuxième opus (Especial) plus mûr et diversifié voit le jour. Enregistré en partie dans un théâtre montréalais, Tropical Trash (2011) marquait une nette évolution sur le plan sonore pour le clan. Paru dans les bacs cet été, Jaune électrik réaffirme la force de frappe de la tribu : déferlement de rythmes exotiques, mélodies ensoleillées, esprit festif. Assurément, l’amateur se retrouve en terrain connu. Un changement notable par contre : des textes majoritairement livrés dans la langue de Renaud. « On a beaucoup exploré sur les trois premiers albums. Pour celui-ci, on sentait le besoin de chanter en français. On était rendus là. Pour la réalisation de ce disque, on est allé chercher Vander. C’était une belle énergie à amener dans le groupe. Il sort des Colocs et est habitué avec un groupe nombreux, multiethnique. Il est capable de dealer avec du monde qui ne parle pas en termes académiques. Il y a beaucoup d’autodidactes et c’était important que quelqu’un comprenne cet esprit, » explique-t-elle.
C’est une méthode particulière qu’utilise la clique Colectivo pour l’écriture de ses brûlots énergiques et festifs. Arroyo : « On retrouve trois compositeurs principaux : Denis Lepage, Joe Evil et Joël Tremblay. Ils arrivent avec les bases d’une chanson. Puis, on l’arrange par section : cuivres, batterie et percussions, cordes. Travailler de cette manière requiert beaucoup d’humilité. Tout le monde y va de son coup de hache! Mais on est comme une vieille famille et on n’a aucune difficulté à se dire nos quatre vérités. Aujourd’hui, on est capables de se parler et de se dire les vraies choses. Il faut simplement ne pas tout prendre à cœur. Notre façon de fonctionner est un chaos bien structuré. »
Si Shantal mentionne sa mère (guitariste et chanteuse) ainsi que son collègue Joël (lui aussi membre d’Overbass) parmi ses héros musicaux, son véritable coup de cœur côté carrière va à l’artiste basque Fermin Muguruza, coréalisateur du deuxième album du collectif. « Je considère qu’il a un parcours pratiquement impeccable. Malgré le fait qu’il ait été approché par des maisons de disques importantes, il est demeuré intègre à ses valeurs et à sa vision artistique. C’est remarquable. J’aime l’authenticité. On a tenté des choses afin d’intéresser le public et avoir un son plus commercial, mais on se sentait terriblement mal à l’aise. Comme des éléphants dans un jeu de quilles! On est des punks d’abord et avant tout. Il ne faut pas l’oublier. »
Aujourd’hui composée de 11 membres (dont huit issus du noyau initial), la famille Colectivo poursuit son chemin même si elle a quelque peu ralenti sa vitesse de croisière dernièrement (plusieurs membres sont devenus parents). Carburant à la passion musique, Shantal Arroyo demeure toutefois lucide et réaliste en ce qui concerne le métier d’artiste. « Tout le monde a un job au sein du groupe. Personne ne vit de son art. Ça fait longtemps que j’ai décidé que la musique était ce qui me maintenait en vie. Mais j’ai aussi choisi de ne pas crever de faim. La musique demeure mon occupation principale, mais je refuse de faire des concessions. Je préfère avoir deux jobs et me casser la tête afin de tout coordonner. Colectivo, c’est ça : une énergie vitale. »