Avec tous ces créateurs confinés à domicile, peut-on déjà prévoir une récolte musicale exceptionnelle en lien avec la crise du COVID-19 ? KROY, pince-sans-rire, y va d’une prédiction sans équivoque: «il va y avoir un baby-boom et un album-boom.» 

C’est dans les pires moments, bien souvent, que les artistes livrent et révèlent le meilleur d’eux-mêmes. Après tout, c’est pendant la Grande Dépression que La Bolduc a fait paraître ce qui allait devenir son titre le plus célèbre: Ça va venir découragez-vous pas. Un message d’encouragement qui réconforte, une ode à la résilience sur fond de turlute qui ravigote encore le cœur. À l’instar des peines d’amour, véritables catastrophes intimes, les crises sociales et planétaires comme celle de la COVID-19 inspirent les paroliers. Ce qui contamine l’imaginaire collectif teinte forcément la musique populaire.

L’isolement et la solitude seront, nul doute, des thèmes généreusement abordés dans les chansons qui naîtront de cet événement. « Écoute, moi j’écris tout le temps des paroles qui parle de ça !, confie KROY en éclatant de rire. Mais j’ai l’impression que ce qui va pas mal être abordé dans les prochains mois, c’est le besoin de connecter, de rester ensemble, le désir de s’entourer de gens et le fait de s’ennuyer du contact humain, mais aussi communautaire. »

« C’est les petites histoires qu’il va y avoir dans ce grand sujet-là qui vont être intéressantes. », Nelson Minville

Nelson Minville, auteur de plus de 350 chansons écrites à l’attention de Céline Dion comme Paul Daraîche et beaucoup d’autres, prévoit que les effets du marasme ambiant et de cette pause obligatoire tarderont à se faire sentir sur les ondes hertziennes.

« Il est encore trop tôt pour prendre le sujet de front.  En fait, c’est les petites histoires qu’il va y avoir dans ce grand sujet-là qui vont être intéressantes. C’est comme si quelqu’un me demandait de faire une toune sur l’environnement, mais l’environnement, c’est pas un sujet en soi. Le sujet, c’est le grand-père qui va marcher sur le bord du ruisseau avec son petit fils et qui dit: ‘’tu vois, avant, on pêchait des poissons ici.’’ Ça c’est une chanson. L’environnement c’est pas une chanson, c’est trop large, c’est plate. Il va y avoir de belles chansons qui vont se faire, c’est sûr, mais elles ne seront pas nécessairement sur le sujet de la pandémie comme telle. Il va y avoir des histoires dans le sujet. » Quelqu’un qui perd son emploi ou qui voit mourir une personne chère à son cœur, par exemple.

Créer à brûle-pourpoint

Les artistes, il en va même d’un lieu commun, sont le reflet de notre société. Dans des moments aussi cruciaux et étranges, c’est d’autant plus palpable. Ils se font les porte-voix du plus grand nombre.

Alors que tout cela est encore très frais et qu’on peine à s’accorder aux aléas de la distanciation sociale, Michel Rivard a déjà pris le taureau par les cornes et entrepris de livrer une chanson par jour. Coeur de Pirate, pour sa part, a rapidement répondu à l’appel du premier ministre François Legault et en musique, priant ses fans de rester chez eux pour éviter de propager la coronavirus. Un exercice humoristique qui fait écho à celui de l’autrice-compositrice-interprète et productrice Laurence Nerbonne. Le 18 mars dernier, la Montréalaise a mis en ligne le très divertissant COVID-19 Remix.

« Je voulais exprimer le trop-plein [d’inquiétude] que tout le monde a vécu cette semaine en attendant, finalement, qu’on ferme les frontières, qu’il y ait une réaction des États-Unis et que Trudeau dégèle. C’est un peu ma job aussi de ressentir le pouls de la société et de le transmettre en art pour faire sourire. C’est ça le commentaire qui en ressort le plus, en fait. Ça fait rire les gens. »

Au-delà des thèmes intrinsèques au virus, les consignes de réclusion forcent les auteurs et compositeurs à reprendre la plume, ne serait-ce que pour tuer le temps. Encabanés entre quatre murs, comme il en adviendrait d’un séjour dans un chalet, ils sont nombreux à profiter de cette situation réellement exceptionnelle pour pondre du nouveau matériel.

Marc-Antoine Barbier de Choses Sauvages est l’un d’eux. « Avant que ça pète, on était tous dans la van ensemble pour aller jouer à Alma et à Dolbeau. Finalement, notre dernière date a été annulée. […] Il n’y a pas de shows qui auront vraiment lieu, Félix et Thierry travaillent dans les bars et moi, je suis pigiste dans le domaine du cinéma et il n’y a plus de tournages… Tout le monde est un petit peu à off, t’sais. Dans le groupe, on est tous sur le chômage. En ce moment, on se met en mode composition et ça va pas mal devenir notre tâche à temps plein. »

La solitude à tous les jours 

Pour celles et ceux qui ne carburent pas aux jams, l’introspection reste le terreau le plus fertile pour les couplets et les refrains. Comme Nelson Minville (« je passe ma vie avec la tête entre deux speakers à essayer de trouver des mots »), Laurence Nerbonne ou Camille Poliquin alias KROY, Hubert Lenoir fleurit dans le silence et l’ennui. « Dans mon cas, sérieux, ça adonne à un moment où je faisais quasiment déjà du confinement volontaire depuis genre un mois. Quand c’est arrivé je me suis dit ‘’ok, I guess que je continue à faire ce que je fais.” […] Ça tombe dans un moment où j’ai arrêté de faire des shows. Ma dernière tournée, c’était en Europe en novembre dernier. Depuis ce temps-là, je suis comme dans un mood de création. »

Alors que d’autres s’empressent de sortir du matériel, tant pour se délasser que par peur d’être oubliés du public, le fils de personne s’avoue serein, relax même, et il remercie le hasard. « Je me considère vraiment chanceux. Si c’était arrivé il y a deux ans, quand je sortais mon album, c’est sûr que j’aurais trouvé ça rough de voir tous mes shows se faire annuler. […] Même si c’est reporté, il y a toute une affaire de timing… J’ai vraiment une pensée pour tous mes collègues musiciens qui sont touchés par ça. »



Beat SexuConnu sous le sobriquet DJ Charny, en hommage à la petite ville ferroviaire qui l’a vu grandir, le guitariste Jean-Michel Letendre Veilleux laisse transparaître son goût de la danse sur ce premier vrai album de Beat Sexü. Concoctée sur une période de cinq ans et avec l’étroite complicité de Jean-Étienne Collin Marcoux, cette parution leur a permis de se propulser bien au-delà des frontières du 418. D’une mention au Télé-Journal radio-canadien de la Côte-Nord aux quatre étoiles attribuées par La Presse, leur musique fait beaucoup de bruit.

« On ne s’attendait pas à ça, confie celui que tout le monde appelle Jim. J’ai l’impression que c’était comme une relation amoureuse où ça brette, des fuck friends ensemble depuis deux ans et qui ne se sont jamais dit ‘’je t’aime’’ pour passer à un prochain step. On avait tout fait ensemble, mais on ne s’était pas encore commis. »

Jean-Étienne, son coloc et collègue, justifie l’attente avec pragmatisme. « Sans dire que c’était notre side project, disons qu’on était impliqués dans tellement d’affaires que ça finissait toujours par être le truc qu’on mettait de côté. […] C’est ça qui est arrivé avec Anatole. C’était full pressant à sortir à cause du contrat de disque qu’Alex avait signé… On était déjà en train de travailler sur des trucs en studio, mais on s’est mis dispo pour lui. C’était jamais contre notre gré, on était willing, pareil pour la fois où Hubert Lenoir m’a demandé de le suivre en tournée… Sauf que c’était du temps qu’on était censé passer sur Sexü. »

Jean-Michel et Jean-Étienne, c’est aussi les deux cofondateurs, directeurs artistiques et hommes de maintien du Pantoum, lieu phare de la scène indépendante à Québec. À force d’accueillir des groupes dans leur studio d’enregistrement et dans les locaux de pratiques conscrits entre leurs murs, il leur tardait de lever le voile sur leur propre matériel.

Après de multiples remaniements dans l’alignement de Beat Sexü, le duo a recruté la claviériste et choriste Odile Marmet Rochefort (ex-Men I Trust) en plus du bassiste Martin Teasdale. C’est avec eux qu’ils ont scellé la version finale de Plumage, la piste 1, un titre étrenné à leur passage aux Francouvertes il y a déjà une demi-décennie. Depuis, la pièce s’est considérablement enrichie. Jim raconte : « Notre idée de base, c’est de faire danser les gens. On a toujours tripé sur la musique dansante, Jean-Étienne et moi. Dès 2007, j’adorais Justice. Un peu plus tard, je suis tombée dans le house, puis j’ai découvert la cumbia, les musiques brésiliennes et africaines. On voulait embrasser ces influences-là. »

C’est le même groupe, c’est indéniable, cette envie de déclencher les déhanchements reste inchangée, mais les arrangements de Beat Sexü se sont raffinés sur Deuxième Fois. « Avant, c’était très disco rock et là, ça nous tentait plus trop, admet Jean-Étienne. Du disco, moi j’en fais déjà avec Gab Paquet, on a fait avec Anatole. On aime encore ça, on est encore des bons fans de Giorgio Moroder… Mais l’affaire, c’est qu’il y a tellement d’autres sortes de musiques qui sont dansantes et qui permettent d’explorer d’autres sonorités… Le disco, c’est quand même assez typé et tu plafonnes vite parce que la structure en 4/4 te permet pas d’aller plus loin. »

Batteur, chanteur, principal et parolier, il s’en est donné à cœur joie dans le choix des percussions. Sur P.S., il manie le vibraphone, mais c’est surtout avec De jardin à courge qu’il surprend en saupoudrant leur composition de cuíca. « Si t’écoutes la samba brésilienne, surtout celle de Rio, c’est ultra, ultra présent. C’est une peau dans un fût de métal et il y a une tige de bambou au milieu. Tu prends un linge mouillé, tu mets ta main à l’intérieur et tu frottes la tige pendant que tu mets une pression avec ton autre main sur la peau. La toune la plus connue avec du cuíca, je pense que c’est la chanson-thème d’Austin Powers. »

La musique de Beat Sexü, c’est une réponse basse-vilaine au décloisonnement des genres. En cette ère du streaming où, plus que jamais, le monde entier tend l’oreille, les gars visent aujourd’hui un marché global. « C’est drôle parce que sur les statistiques d’Apple Music, tu vois aussi celles de Shazam et la plupart des recherches pour nous se font à l’extérieur du Québec. Paris, Calgary, Hamilton, parfois même les États-Unis. C’est pas énorme, on en a environ une dizaine par semaine, mais on sait que notre musique voyage. »

« On sait que ce qu’on fait peut s’exporter, complète le guitariste. On l’a vu avec Corridor… ça peut se faire en français ! Ce serait le fun de continuer dans cette vibe-là. »



renforshort (sic), l’artiste torontoise auparavant connue sous le nom de Ren, s’apprêtait à lancer son EP teenage angst sur étiquette Interscope/Geffen lorsque le monde tel qu’on le connaissait a soudainement changé du jour au lendemain. Ses vitrines prévues en mars à Toronto, New York et Los Angeles ont été reportées dans la vague des mesures prises afin d’aplanir la courbe de transmission du coronavirus. Cette jeune de 17 ans parle en notre nom à tous lorsqu’elle dit de la période que nous traversons tous que « ce n’est pas amusant ».

La jeune chanteuse, bassiste et guitariste qui, pendant de nombreuses années, mettait en ligne ses réinterprétations de chansons connues sous son vrai nom, Lauren Isenberg, a même remporté un concours en chantant un chant traditionnel chinois, « Mo Li Hua », en mandarin. En 2019, deux de ses chansons originales parues sous le pseudo Ren ont accumulé plus de cinq millions d’écoutes, soit « Waves » le ver d’oreille « Mind Games ».

C’est après avoir rencontré le producteur Jeff Hazin en 2016 que son « son » a commencé à prendre forme tandis qu’elle laissait derrière elle « sa pop de chambre » — qu’elle semble maintenant considérer totalement ennuyeux et sans imagination — pour se tourner vers une pop frondeuse qui n’est pas sans rappeler Billie Eilish. Son approche pour l’écriture de ses textes est sans filtres et ses strophes semblent provenir directement de la série Netflix The End of The F___ing World, mais sans musique.

« Sometimes I wanna stick a cigarette in my eyes » (parfois, j’ai envie de m’écraser une cigarette dans l’œil), chante-t-elle sur « I Drive Me Mad », tandis que sur « idc », elle avoue « Right now all I wanna do is choke you till your face turns blue » (Là, maintenant, j’ai envie de t’étrangler jusqu’à ce que ton visage devienne bleu). Qui n’a jamais eu de telles pensées, voire même les dires à voix haute ? Mais renforshort, elle, les chante, pour la postérité.

Ses collaborateurs aux textes « adorent ça, ils en redemandent, c’est ce qu’ils recherchent », avoue-t-elle en riant.

Bien que teenage angst ait d’autres collaborateurs, les principaux sont, depuis 2016, Hazin, Matthew Kahane et David Charles Fischer.

« À mesure que je vieillissais, Jeff et moi expérimentions jusqu’à ce qu’on trouve ce qu’on cherchait. Il nous a fallu pas mal de temps », dit Ren. « Les productions de Jeff sont très aventureuses et chaque fois que j’arrive avec un texte qui est trop osé, ou que je crois trop osé, on finit toujours par se dire que c’est le meilleur truc qu’on a jamais entendu », dit-elle encore en riant. « On est tous un peu tordus. »

« C’est un peu comme des frères, mais ce sont avant tout des amis. On oublie notre différence d’âge quand on est tous ensemble. Je n’ai pas l’impression d’être avec un groupe de gars dans la mi — ou fin vingtaine. On est tous passés par l’école secondaire et ils comprennent d’où je viens. Ça facilite nos conversations et nos séances d’écriture. »

« On aime chacune de nos chansons plus que la précédente. »

Ren a écrit sa première chanson à l’âge de 13 ans, « Hopeless Town », produite par Nathan Ferraro, à l’époque connu sous le nom de Midway State, avant de travailler sur trois pièces originales avec le producteur Justin Gray à L.A. Ses premières chansons, avant l’apparition de renforshort, ne faisaient pas étalage de certains aspects de sa personnalité — son doute, son humour, sa langue acérée, sa confusion — et de ce que c’est que de grandir dans un monde où les réseaux sociaux et leur culture du « Like » sont au centre de l’univers.

« Je partais d’expériences personnelles, mais je les gonflais hors de proportion ou je jouais un personnage », dit-elle au sujet de cette époque. « Je n’avais rien vécu d’extraordinaire au chapitre des relations amoureuses dans ma courte vie. »

Sur Teenage Angst se trouve la plutôt agressive « Luv Is Stooopid » qui ravage un amoureux potentiel pour avoir même considéré penser à ces trois petits mots, et plusieurs autres morceaux du projet révèlent ses insécurités. Dans « Bummer », elle écrit « Looking in the mirror/My reflection got me triggered. . . I can’t hear the compliments/Just feeling shitty. . . Will it always be a bummer? » (librement : Je me regarde dans le miroir/Mon reflet déclenche quelque chose… Je n’arrive pas à entendre les compliments/Je me sens comme une merde… Est-ce que ce sera toujours aussi difficile ? ») Dans « I Drive Me Mad », elle raconte une crise d’anxiété accompagnée d’un épisode d’hyperventilation. « C’est pas facile d’être humain », chante-t-elle.

Faire preuve d’autant d’honnêteté est nouveau pour elle. « Il a fallu que je vive cette crise d’anxiété en studio – et ils ne pensaient pas que j’arriverais à écrire une chanson ce jour-là, pour que je comprenne qu’écrire des trucs plus personnels me fait du bien », avoue-t-elle. « C’est vrai et honnête. C’est là que j’ai commencé à écrire des trucs plus personnels comme ça. Je ne pensais pas arriver à écrire une chanson ce jour-là moi non plus, mais au final, ç’a fonctionné et ç’a ouvert un tout nouveau pan de créativité musicale pour moi. »

Elle louange Hazin, Kahane et Fischer de l’avoir aidée à traverser les moments où elle avait de la difficulté à écrire « parce que je me sentais comme une vidange ». Elle dit des trois hommes qu’ils sont très drôles et que « passer du temps avec eux, c’est pratiquement rigoler sans arrêt. Ils sont bourrés de talent et ne s’en rendent pas compte. »

Ren se rend-elle compte de son propre talent ? « Pas tout le temps », avoue-t-elle. « Tout le monde doute de lui-même. Si vous n’avez aucun doute à votre sujet, vous ne pouvez pas vous améliorer, puisque vous croyez que tout est déjà parfait. Je pense que c’est une bonne chose de douter. »

Ren n’a toutefois aucun doute sur la qualité des 7 pièces sur Teenage Angst. « Je ne pourrais pas être plus heureuse du travail qu’on a accompli, mais on ne sait jamais si on va y arriver », dit-elle. « On continue d’être aventureux dans notre son, et on va continuer à l’être encore longtemps. Ça nous a permis d’arriver où nous en sommes, et on aime chacune de nos chansons plus que la précédente. »