« [Casey] Manierka prépare un autre virage pour 2020 », écrivais-je en janvier dernier dans mon profil de Casey MQ. L’album pop solo babycasey dont il parlait alors vient de sortir, et les virages continuent de se multiplier.

« Ça a bien été. Genre, le monde entier a complètement changé », s’exclame Manierka huit mois plus tard. « Mais je veux dire que maintenant ça va bien. Aujourd’hui. Quand je me réveille. »

Reportez-vous à la mi-mars, lorsque la pandémie inspirait à Manierka la même panique que celle qui nous a tous saisis au moment où la noirceur a envahi le monde. Mais il ne s’est pas contenté de se cacher. Le producteur électronique/DJ s’est au contraire associé avec ses amis créateurs Andrés Sierra, Brad Allen et Mingus New pour faire briller un peu de lumière sous la forme d’un dance party numérique queer nommé Club Quarantine (alias Club Q).

« La première semaine, on a décidé d’organiser des partys en ligne, et ça a vraiment fait mouche », raconte Manierka. « C’était une magnifique façon – c’est toujours une magnifique façon – de rester connecté en ligne en isolement [et de] voir un espace où les gens peuvent continuer à s’exprimer. C’est parti de la culture torontoise locale, mais c’est très vite devenu un club mondial. »

D’abord présenté tous les soirs, le throwdown a rapidement menacé de dépasser le maximum de 1000 participants de Zoom avec des danseuses et des danseurs costumés qui créaient des installations artistiques dans leur salon dans l’espoir que leur fil soit mis en évidence. Le compte Instagram du Club Q, qui affiche les liens Zoom du club, devenu hebdomadaire, a 68 000 abonnés.

Les premières éditions de la fête ne présentaient que des talents locaux, mais les partys sont vite devenus l’affaire de tout le monde avec des drag queens brésiliennes, des DJ techno et des pop stars comme Charli XCX, Tinashe et même Lady Gaga. « Merci beaucoup d’être ici ce soir », lançait cette dernière pendant que, en costume, elle servait de DJ avec des remixes de ses tubes lors du party de lancement de son album Chromatica au Club Q à la fin de juin. « Vous vous amusez tellement tous ensemble au nom de quelque chose de généreux et de beau. »

Manierka explique que les organisateurs s’amusent tellement eux aussi qu’ils continueront de faire la fête chaque vendredi. « Notre ambition est de finir par présenter Club Quarantine en chair et en os », révèle-t-il, « mais il faudra probablement attendre encore un peu. »



Directrice de création, conceptrice visuelle et directrice artistique, Marcella Grimaux s’empare de la scène pour nous faire rêver. Rencontre avec une femme qui vit perpétuellement au bord du précipice artistique.

Concevoir le spectacle tant attendu de tel ou tel artiste d’ici. La valeur ajoutée que le public souhaite tant. Marcella Grimaux en a fait sa vie. Avec beaucoup d’audace et de talent. « On est dans une business où il faut mettre des idées et des images sur des mots. C’est pas toujours facile ! »

Elle a grandi à New York avec sa mère comme modèle et inspiration avant d’aller étudier le théâtre et la mise en scène en Californie à l’université (USC). Son premier contact avec le métier fut avec Dominic Champagne en 2009 qui présentait la pièce Paradis perdu (musiques de Daniel Bélanger). « Mon rôle était de filmer les répétitions, il n’y avait aucune créativité, mais j’étais heureuse de travailler avec lui ! »

Marcella Grimaux a commencé sa carrière chez Geodezik en 2010. Puis à faire de la mise en scène en 2018. Elle a désormais son propre studio, Noisy Head Studio.

Marie-Mai

Marie-Mai. Photo by/par Patrick Beaudry

La même question revient lors des rencontres de production:  « C’est quoi le trip qu’on a envie de faire vivre au monde, c’est quoi la signature visuelle ? » Dans le cas de la star pop Marie-Mai qui avait changé de compagnie de disque pour se joindre à Spectra Musique avec un nouveau son et une nouvelle image, il fallait un habillage visuel à la mesure de son retour sur scène. Un retour au Centre Bell, de surcroît.

Pour la tournée Elle et moi en 2019, Grimaux est directrice de création. « On a dessiné la scénographie, conçu la vidéo; le set list, on l’a fait avec elle et David Laflèche son directeur musical. « Où peut-on amener c’te gros bateau-là ? Chaque chanson est un tableau. On a visualisé en 3D les angles de vues de n’importe où assis dans le Centre Bell. On a rajouté un escalier, des écrans bougeaient, ça nous donnait des accès de scène, des entrées, des sorties. L’ouverture du show était spectaculaire. On a pré-filmé Marie avec les mêmes vêtements qu’elle portait pour la continuité de l’image parfaite. Dans la chanson Empire elle dit : est-ce que je renais maintenant ? On s’est inspiré de cette phrase-là ! »

Pour ce spectacle, Marcella et son équipe ont remporté le Félix: Conception éclairages et projections au gala de l’Industrie de l’ADISQ en 2019.

Loud

Loud. Photo by/par Susan Moss.

L’entrée de Loud lors de son spectacle au Centre Bell fait encore jaser. Le cockpit d’avion, l’effet saisissant, c’est tout Marcella dans son rôle de directrice de création. Elle signe la scénographie, puis une courte mise en scène avec Simon Cliche, (Loud), en plus de la conception du contenu vidéo.

« À la première rencontre avec son gérant, il me dit: on aimerait ça que Simon arrive sur scène dans un avion. C’est le genre de moment où tu lèves les sourcils et tu écris ça sur tes notes: ‘‘arriver en avion”… »

Nous sommes au début février 2019 et le spectacle est prévu le 31 mai…

« On a commencé à dessiner la scène et au mois de mars on n’avait toujours pas trouvé notre avion. Construire de toutes pièces un cockpit, même un décor, était hors de prix. Savais-tu que tu ne peux pas acheter des morceaux d’avions ? Chaque morceau a son numéro de série et son propriétaire. C’est illégal et c’est pour contrer le marché noir des pièces ».

Un mois plus tard, un ami a aperçu une carlingue d’avion quasi abandonnée sur un terrain à Saint-Jean-sur-Richelieu ! Bénédiction !

Michel Rivard

Michel Rivard. Photo by/par Marc-Étienne Mongrain.

À l’opposé, le spectacle l’Origine de mes espèces de Michel Rivard, couronné spectacle de l’année au gala de l’ADISQ 2019 ( le fatidique instant où Rivard ouvre dans le cadre de porte la lettre révélant l’ADN de son père, puis blackout ! ), avec sa mise en scène sobre de Claude Poissant, suggérait une autre approche.

« Comment accompagner ce que Michel racontait dans ses flashbacks. On a dû scanner environ 350 photos de ses archives personnelles pour créer la vidéo. On aimait que les images soient floues, comme la mémoire parfois… La règle d’or de la vidéo c’est qu’elle sert à accompagner. Avant, les éclairagistes lançaient eux-mêmes des images parce que c’était dans leur terrain de jeu. Aujourd’hui, c’est deux opérations séparées », constate-t-elle.

Puis, avec Jean Leloup, mémorable spectacle solo à la Place des arts en 2016, où régnait en guise d’objet de scène un immense crâne sculpté en fibre de verre transpercé de faisceaux de lumière.  Marcella est DA sur ce projet, ou, si vous préférez, directrice artistique.

« Jean n’arrêtait pas de nous parler de feu de camp. Il voulait une ambiance feu de camp à la salle Wilfrid-Pelletier ; il est tellement à une place et partout à la fois, l’ancrer dans quelque chose de trop concret aurait été une erreur. Mon rôle était d’apporter des univers vidéo qu’on ne souhaitait pas narratifs et continus, il fallait les concevoir pour qu’ils soient flexibles parce que Jean n’a pas de setlist. Il peut décider qu’il chante Je joue de la guitare avant L’amour est sans pitié, faut s’ajuster et être archiii-flexible. On avait quatre univers visuels pour suivre quelle trajectoire musicale il emprunte. Le plus gros défi était technique: la taille de l’écran des projections arrière était proche de celle d’un IMAX: 50 pieds par 32 pieds de haut ! ».

La longue pause occasionnée par la COVID-19 aura permis à Marcella Grimaux de coréaliser le clip de la chanson de Patrice Michaud, La grande évasion, avec son partenaire de création Daniel Faubert, puis d’opérer une direction de création audacieuse sur Asteria, nouveau projet de réalité virtuelle en musique lancé récemment par la boîte La Maison Fauve et Studio La Fougue.

« Je suis souvent la seule femme autour de la table lors des réunions et j’ai la chance d’être entourée d’hommes pour qui cela n’a aucune importance. Mais je ne connais pas d’autres studios du genre à Montréal (Noisy Head Studio) qui sont menés par une femme ».

 



« Tous les jours printemps » n’est pas un vœu, mais une certitude. Le titre du deuxième album d’Original Gros Bonnet, septuor jazz rap qui a remporté l’édition 2019 des Francouvertes sous l’acronyme O.G.B., est donc davantage à prendre comme un adage annonçant un constant changement de cycle qu’un mantra incarnant l’espoir d’un jour meilleur.

« Dans ce cas-ci, le printemps est quelque chose d’inévitable. Ça représente la renaissance, le renouveau. Le cycle est annuel, mais aussi quotidien. Il faut l’accepter pour savoir en profiter et le célébrer… plutôt que l’encaisser », explique le rappeur François Marceau (alias Franky Fade), principal vocaliste du groupe.

« C’est aussi un portrait de notre ambition », poursuit Samuel Brais-Germain, réalisateur de l’album et arrangeur en chef. « C’est un spin positif de notre rapport au hustle, au travail qu’on fait pour arriver à nos fins. »

Au centre des thématiques de cet opus : l’épanouissement. Sur Watch a Flower Bloom, l’image de la fleur colle tout particulièrement bien au sentiment qui habitait le jeune rappeur durant l’écriture de l’album. « La fleur éclot tranquillement. C’est imperceptible, mais elle s’ouvre pour vrai. Faut accepter que l’évolution prend du temps. »

Et considérant la fragilité de la fleur, son évolution n’est pas toujours évidente ni même garantie. De là l’anxiété qui guette le rappeur sur certaines pièces comme Sous stress et Jusqu’au noyau. « J’ai un rapport craintif par rapport au succès. J’ai parfois peur que ça finisse par me détruire… On a tellement vu de monde atteindre le sommet et finir par crasher. C’est pour ça que je me demande constamment ce que je veux », confie le rappeur. « J’ai pas tendance à prendre les meilleures décisions sous pression. Je dois dealer au quotidien avec les remises en question. »

Si les doutes ont nourri les textes de Marceau, ils n’ont pas altéré les sessions de création du réalisateur et des cinq autres membres : le guitariste John Henry Angrignon, le pianiste Vincent Favreau, le bassiste Vincent Bolduc-Boulianne, le batteur Louis René et le saxophoniste Arnaud Castonguay. Anciens collègues du programme de musique au cégep de Saint-Laurent, les musiciens et amis montrent avec Tous les jours printemps qu’ils sont maîtres de leur instrument respectif et qu’une fois leurs forces combinées, ils peuvent composer des chansons aussi impressionnantes et audacieuses que concises.

Deux résidences de création ont été particulièrement bénéfiques pour ces sept grands mélomanes de jazz, qui ont tous vécu une illumination il y a quelques années après avoir entendu To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar, bougie d’allumage de leur amour pour le rap. L’une d’entre elles a eu lieu dans un chalet aux abords du lac Castor, à Saint-Paulin, en octobre 2019. « On est restés cinq jours, c’était super beau. On avait acheté une grosse console portative et on l’a installée pour enregistrer tout ce qu’on joue. Dès qu’on avait une bonne idée, on réécoutait les takes. Ensuite, on s’organisait des réunions pour savoir qui fait quelle partie. Entretemps, on avait aussi du temps pour chiller, faire du canot, fumer des battes. On a joint l’utile à l’agréable », relate Marceau.

Enregistré juste avant la pandémie aux studios Madame Wood et Dandurand à Montréal, Tous les jours printemps profite aussi des sessions d’un quatuor à cordes et d’une section d’instruments à vent, en plus de pouvoir compter sur la présence du rappeur Jam (sur Ballade) et sur l’expertise de l’ingénieur de son et mixeur Manuel Marie.

OGB, Original Gros BonnetBref, comme le stipule Marceau dans Jusqu’au noyau, la formation s’est « donné les moyens de [ses] ambitions » avec cet opus, éminent successeur à leur album Volume Un (2018) et à leurs EPs Original Gros Bonnet (2017) et Fruit Jazz (2018). « On n’a pas voulu couper dans quoi que ce soit. Dès qu’on avait une idée, on allait jusqu’au bout », explique Arnaud Castonguay. « Mais bon, c’est sûr qu’on a pu faire ça grâce aux bourses et aux prix qu’on a eus, notamment durant les Francouvertes. »

« Ouais, ça va être différent pour le prochain. La pochette va être faite sur Paint », ajoute Samuel Brais-Germain, en riant.

Et à sept musiciens, avoir les moyens de ses ambitions passe par un amalgame bien dosé des goûts et influences de tout un chacun. Cette fois, le groupe a choisi de rendre hommage aux ambiances cinématographiques de compositeurs émérites comme Quincy Jones et Henri Mancini plutôt qu’à Kendrick. Leur amour commun pour Tyler, The Creator, Playboi Carti et PNL a aussi teinté leur création, ce qui a provoqué un changement esthétique, notamment perceptible par l’utilisation plus harmonieuse et planante de la voix de Marceau sur certaines pièces.

« Ça s’est pas fait de manière consciente, mais oui, ma voix sonne un peu plus comme un instrument [que d’habitude]. Avant, j’étais dans l’interprétation des textes, tandis que là, je les ressens plus. Ça donne un résultat que je trouve plus authentique et qui s’intègre mieux à la musique », analyse le principal intéressé, qui a fait le choix (conscient, cette fois) de délaisser le franglais. « Je voulais être plus en phase avec les origines et la facture esthétique d’O.G.B… Et on a tous été élevés en français. »

Original Gros Bonnet préfère donc le consensus au compromis. « Si on veut que tout le monde soit content de l’album, on peut pas aller dans un vibe hyper électro ou trop commercial », résume Brais-Germain. « On n’a pas le choix d’aller vers un son (aussi niché que ça). C’est la musique qui nous ressemble. »