Voici sans doute l’une des « success stories » les plus connues du monde de la musique indépendante : Le groupe torontois The Pursuit of Happiness ont connu un succès instantané grâce à leur premier 12 » grâce à un vidéoclip à petit budget qui a été mis en grande rotation sur les ondes de MuchMusic, la célèbre station qui en était alors à ses premiers pas. La chanson power pop qui parle raconte comme ce n’est pas facile de grandir a immédiatement plu aux ados autant qu’aux adultes. Une version réenregistrée figurait sur le premier album du groupe, Love Junk, lancé en 1988 et elle n’est certes pas étrangère au fait que cet album ait été certifié Platine. Le guitariste, chanteur et auteur-compositeur de TPOH, Moe Berg, est désormais producteur de disques à plein temps et nous parle de sa plus célèbre création.

Quel âge avais-tu lorsque tu as créé cette chanson, à quelle étape de ta carrière en étais-tu??

J’étais au début de la vingtaine, j’habitais encore à Edmonton. J’ai composé des chansons toute ma vie et j’étais à une étape où je commençais à trouver que mes créations s’amélioraient. La genèse s’est produite dans le sous-sol chez ma mère, là où j’ai appris à jouer de la guitare.

Tu as écris les paroles à la première personne — “I can’t write songs about girls anymore/I have to write songs about women.” (Je ne peux plus écrire de chansons sur les filles/Je dois écrires des chansons sur les femmes). Pourquoi??

C’est quelque chose que je fais fréquemment. J’imagine que je suis de l’école des paroliers qui se confessent comme Lou Reed ou Joni Mitchell, ils s’incluent dans leurs propres chansons, même si c’est sous le couvert d’un personnage. Vous savez que ce sont eux qui racontent l’histoire.

À quel point est-ce que la chanson est autobiographique?? Vivais-tu une crise de la vingtaine??

J’imagine, oui. Il ne se passait rien de remarquable dans ma vie, j’ai simplement écrit au sujet de ce qui se passait à un moment donné. J’imagine que cette journée-là je réfléchissais sur le fait de vieillir, la constatation que votre adolescence est terminée et que votre perception de la vie gagne en maturité.

J’ai beaucoup lu au sujet du processus de création d’autres auteurs-compositeurs et bon nombre d’entre eux décrivent un processus où les chansons viennent à eux, comme s’ils canalisaient un esprit bienfaisant. Je trouve cela étrange. Pourquoi Dieu serait-il particulièrement généreux à l’endroit de Bob Dylan ou de Paul McCartney et moins à l’égard du reste de la population. Je crois que certaines nous viennent plus facilement et que pour d’autres, il faut travailler pour devenir meilleur. Je crois que cela est plus près de la réalité qu’un Dieu qui nous balance une chanson de temps en temps.

Je ne sais pas si j’avais prévu écrire cette chanson quand c’est arrivé, mais je crois qu’une fois que vous organisez votre façon de penser en fonction de devenir un auteur-compositeur, que vous commencez à penser en termes de rimes, de refrains, à partir de ce moment, chacune de vos pensées peut devenir une chanson. Ça devient intuitif.

Trois après avoir été un hit indé, vous êtes retournés en studio avec Todd Rundgren aux commandes pour enregistrer votre premier album, Love Junk, et vous avez réenregistré la chanson. Comment c’était??

L’une des raisons pour lesquelles il est bon d’avoir un producteur et un impresario quand on est jeune est que ces gars-là ont une vision. Lorsqu’est venu le temps d’enregistrer notre album, on se disait qu’on était là pour enregistrer notre nouveau matériel, les autres pièces étaient déjà dans le paysage, elles étaient complétées. Mais tout le monde disait « Non, vous devez inclure “I’m An Adult Now” sur l’album, c’est votre chanson signature. » Je n’ai ressenti aucune pression de changer ou d’ajouter quoi que ce soit lorsque nous l’avons réenregistré. Ce n’est qu’une chanson. Nous l’avons fait rapidement, sans flaflas, et ça a bien fonctionné.

Quelle vie a-t-elle connu depuis son lancement?? Y a-t-il eu des réinterprétations ou des licences pour le cinéma ou la télé??

Il y a eu une période où on me demandait souvent de l’utiliser dans des pubs, mais je refusais systématiquement, car à cette époque, ce n’était pas quelque chose de cool. De nos jours, tout le monde veut vendre une licence pour ses chansons. Je ne crois pas qu’elle a été réinterprétée. Mais il faut dire que c’est une chanson plutôt idiosyncrasique, et j’ai bien de la difficulté à imaginer quelqu’un d’autre que moi la chanter.



Récemment lauréat du 7e prix Écho de la chanson pour sa pièce « St-Eustache », le jeune rappeur Koriass, Emmanuel Dubois de son vrai nom, s’est taillé une place enviable sur la scène hip-hop québécoise. En effet, en quelques années, il s’est fait connaître pour ses textes intelligents et ses excellents rythmes mais aussi pour son efficacité dans le « battle-rap ».

Rencontré en compagnie de son ami producteur Steve Jolin (Anodajay), il explique comment tout a commencé : « Je me suis tout de suite reconnu beaucoup dans le hip-hop. Quand tu es au début de ton adolescence, tu es un peu révolté et c’est une musique de la révolte. J’ai d’abord commencé à écrire pour le plaisir avec mes amis. J’ai toujours aimé écrire des histoires et j’avais de la facilité en français, en rédaction. Par le rap, j’ai trouvé un véhicule qui me représentait bien. »

Fasciné par le rappeur Eminem, il s’intéresse au « battle-rap », compétition dans laquelle deux rappeurs se mesurent en faisant valoir leur aisance au micro. « Ce que j’aime beaucoup, c’est que c’est très condensé, tu peux exprimer beaucoup de choses en peu de temps. » C’est entre autres en analysant ce genre d’artiste qu’il a élaboré son propre style, y appliquant évidemment sa propre couleur.

« J’ai eu la chance de débuter en 1998, alors que ça commençait vraiment à être effervescent sur la scène québécoise. Puis vers 2001, j’ai enregistré des chansons avec les moyens du bord dans le sous-sol d’un de mes amis et je les diffusais sur Internet. Ensuite il y a eu des tournois de “battle-rap” sur Internet. C’est quelque chose que je voulais faire et il y avait peu d’événements dans mon coin. C’est ce qui a lancé un peu l’intérêt pour moi. De là sont venues des invitations à participer à des spectacles. » Son premier album Les racines dans le béton est lancé en 2008 et connaît du succès auprès des critiques et du public.

«Généralement quand je travaille un beat que j’aime, je l’écoute sans arrêt et je construis ensuite le texte qui va vraiment s’harmoniser avec la musique. »

Pendant ses phases d’écriture, le rappeur de 28 ans commence généralement par faire une maquette de la chanson à la maison et invite ensuite des amis musiciens à ajouter leur touche. « C’est très rare que j’écrive le texte avant d’établir le rythme, mais je n’ai pas nécessairement de démarche précise, alors ça peut aussi arriver. Généralement quand je travaille un beat que j’aime, je l’écoute sans arrêt et je construis ensuite le texte qui va vraiment s’harmoniser avec la musique. »

Quels sont ses objectifs et comment qualifie-t-il sa propre démarche? « Ce que j’essaie de faire, c’est d’enlever cette idée de médiocrité intellectuelle souvent associée au rap. J’ai aussi envie d’exprimer des opinions politiques mais je trouve parfois difficile d’assumer le rôle d’un artiste dit engagé, parce qu’il faut que tu défendes tes idées sur la place publique et pas nécessairement de la façon que tu voudrais le faire. Simplement favoriser l’intelligence et l’ouverture d’esprit, je pense que c’est ça mon vrai cheval de bataille.»

Artiste aux nombreuses facettes, il ne tient pas à se limiter à une seule dimension : « Je n’ai pas le goût que toutes mes pièces soient lourdes de sens, je valorise aussi l’humour et le côté festif me vient très naturellement. » Ainsi, sur son deuxième album Petites victoires paru en 2011, des pièces plus sensibles côtoient sans difficulté un humour parfois décapant ou encore des messages sociopolitiques plus subtils. Il ajoute : « Je suis quelqu’un qui n’est pas capable d’arrêter d’analyser le monde et ça me fournit la matière dont j’ai besoin dans mes chansons. »

À propos du prix ÉCHO, qui comporte un choix des finalistes par des acteurs de l’industrie puis un vote du public, il dit avoir été surpris d’être sélectionné mais pas nécessairement de gagner : « Juste la nomination c’était beaucoup, j’étais surpris qu’ils sélectionnent un artiste rap, donc plus marginal. Par contre, pour ce qui est du vote du public, les fans de hip-hop sont très présents et se mobilisent pour les artistes qui leur plaisent. »

Fort de cet accomplissement et de sa notoriété grandissante (Koriass était notamment en nomination au récent Gala de l’ADISQ pour le Félix de l’auteur ou compositeur de l’année), il poursuit sa démarche réfléchie et aspire à une plus grande visibilité dans d’autres pays francophones. Les amateurs de hip-hop « songé » ne sauraient passer outre cet artiste unique au verbe facile et à l’esthétique très travaillée. Maintenant établi à Québec, le jeune père de famille originaire de St-Eustache est un magnifique exemple de sincérité, qui sans se prendre trop au sérieux, demeure un redoutable adversaire au micro.



À l’origine, rien ne prédestinait Roch Voisine à devenir une icône de la musique pop québécoise et vendre plus de 11 millions d’albums dans la francophonie mondiale et au Canada anglais. Après tout, il n’y avait aucun musicien au sein de sa famille immédiate, pas même de système de son à la maison. Grand-papa jouait un peu d’orgue et grand-maman pianotait sur les touches noires, mais rien de plus. « Pour être honnête, je ne vivais pas vraiment dans un environnement pro-musique, lance Voisine d’emblée. S’il y avait une tradition, c’était celle du sport. Il y avait de très bons joueurs de hockey. Il est évident que je n’ai pas eu un cheminement typique de musicien de carrière. Je ne pratiquais pas dans le garage. Ado, ce n’était pas mon but dans la vie. Je jouais dans une ligue de hockey, mais je revenais souvent à la musique. À 18 ans, je savais que je ne jouerais pas au hockey professionnellement. Une guitare, ça se transporte facilement et je me suis mis à prendre goût à cet instrument. »

On connaît la suite : méga-succès de l’album Hélène en 1989, qui le propulse dans les hautes sphères du showbiz. Depuis, une vingtaine d’albums ont vu le jour, livrés autant dans la langue de Shakespeare que de celle de Molière. Suivant les traces country-folk de la trilogie Americana, Confidences vient tout juste de paraître dans les bacs. Enregistré à Nashville, berceau de la musique country, l’album propose cette fois-ci du matériel original. Marquant un retour en français sur disque pour Voisine, Confidences a d’abord été lancé en France en 2010. C’est une version adaptée au marché québécois (et entièrement remixée) qui est présentée au public de chez nous.

« Après Americana, ça me tentait d’arriver avec un vrai album country. Je pensais que les Français étaient prêts pour ça. Malheureusement, ils ne l’étaient pas vraiment! C’était un projet bien personnel et j’ai pris un risque. J’ai voulu raconter des histoires, les accrocher en parlant d’eux, de leurs villes et villages. Mais là-bas, le country est une sous-culture pas aussi répandue qu’en Amérique. On n’en entend pas beaucoup parler. Ici, le country influence les gens depuis des générations. Je crois que l’album est taillé sur mesure pour les gens d’ici. Le Français moyen semble allergique à la guitare électrique. Je suis donc retourné à Nashville l’été dernier et j’ai rajouté des guitares. C’était important pour moi de donner plus de punch à certaines chansons, » avance l’homme de 49 ans, la voix vibrante.

«Ça fait 25 ans que je fais mes classes. Je considère que je suis sur le point de graduer. »

Se raconter en chanson
Personnels (« Les p’tits loups », qui évoque Beau Dommage), parfois même carrément autobiographiques (« Le chemin », long morceau de 14 minutes aux élans progressifs) les textes des nouvelles chansons de Roch sont teintés de nostalgie et sertis de souvenirs. L’homme explique : « Plus on avance dans ce métier, plus il devient difficile de trouver une ligne de pensée, de créativité pour un album. À un moment donné, tu as envie de parler au monde, de te confier. Le country renvoie à la nostalgie, au temps passé. À cette période-ci de ma carrière, je pensais qu’il était temps de me raconter. La chanson “Le chemin” est née ainsi. Elle renferme deux pièces en une et parle de mes expériences. Elle a mûri pendant de nombreuses années avant de naître enfin. On m’a dit : “Tu ne pourras jamais sortir ça!” Je l’ai donc laissé dormir. Puis, on m’a répété : “Tu ne vendras plus jamais de disques au Québec! C’est fini!” Ça m’avait choqué d’entendre ces mots car c’était l’avis de bureaucrates. Pas du public. C’est alors que j’ai eu envie de me faire entendre. Pour ce projet, je trouvais que le timing était bon pour ressortir ce vieux morceau. »

Passion pour le métier
Ayant célébré ses 25 ans de carrière en 2011, l’homme continue de multiplier les projets à un rythme impressionnant : une collection best of destinée au Canada anglais, un projet pour la France, des spectacles et un nouvel album en anglais sont déjà à son agenda.

Productif, amoureux des planches, Voisine est un être passionné par le métier. Ça se voit. Ça s’entend. Depuis quelque temps, ce qu’il observe chez certains artistes de la nouvelle génération le déçoit profondément. « Il faut pratiquer ce métier pour les bonnes raisons. Beaucoup d’artistes de la nouvelle génération font ça pour passer à la télé, pour l’argent et la gloire. Avec cette mentalité, ils ont davantage de chance de jouer dans la ligue nationale de hockey que de réussir à vendre des disques! C’est un métier difficile et il faut le faire pour la passion. Rien d’autre. Il ne faut pas lâcher, continuer d’y croire, travailler comme un fou, peu importe les embûches. De plus, il faut être là au bon moment car la chance joue aussi un rôle dans la carrière d’un artiste. Enfin, il faut être bien entouré car ce n’est pas un métier qu’on peut faire tout seul. La compétition est féroce. »

Le Néo-Brunswickois estime qu’il lui reste encore de nombreux défis à relever, comme celui de séduire de nouveaux publics. « Je réalise que j’ai accompli beaucoup de choses dans ma carrière, mais j’ai encore de nombreux rêves. Il y a beaucoup d’endroits où j’aimerais aller chanter. Des publics qui ne connaissent pas ma musique. Je sais que je vais manquer de temps pour tout faire, mais je n’ai jamais donné un spectacle en territoire américain, par exemple. Tout ça prend du temps et de la patience, mais le succès est une chose qui peut arriver très vite. Sortir la bonne chanson au bon moment. Il faut être prêt. Ça fait 25 ans que je fais mes classes. Je considère que je suis sur le point de graduer. »